Est-ce que le visa exigé des voyageurs mexicains pour entrer au pays va abaisser considérablement le nombre de demandeurs d’asile arrivant au Québec?
Soyons lucides, les aéroports de Montréal et de Toronto, avec ceux de New York, sont les portes d’entrée de l’Amérique du Nord. Ces deux grands aéroports canadiens, surtout depuis que la frontière terrestre avec les États-Unis est officiellement fermée aux migrations irrégulières, vont toujours accueillir la grande majorité des demandeurs d’asile au Canada. Vraisemblablement, le Québec recevra proportionnellement toujours plus de ces personnes que son poids démographique au Canada.
Cela étant dit, la fermeture du chemin Roxham a réduit de beaucoup le rythme de croissance des demandes d’asile au Québec comparé à l’Ontario. Entre 2022 et 2023, leur nombre a augmenté de 11,5 % (58 780 à 65 555) au Québec et de 139 % (26 500 à 63 390) en Ontario.
Au-delà des chiffres sur leur répartition au pays, un examen détaillé des données des dernières années remet en question l’efficacité des visas pour freiner l’arrivée des demandeurs d’asile au Canada.
Les visas plus ou moins efficaces
Ce ne sont pas les demandeurs mexicains qui ont augmenté le plus rapidement au cours de la dernière année. En fait, la croissance a été beaucoup plus importante pour d’autres citoyennetés exigeant un visa que pour les ressortissants mexicains.
Les demandes mexicaines ont augmenté dans les deux dernières années de 36% au Québec (11 855 à 16 100) et de 60 % (3 675 à 5 875) en Ontario. Au total, 46 % pour le Canada.
Le nombre des demandes d’asile au Canada en 2023 a pourtant presque triplé par rapport à 2022 parmi les personnes d’origine indienne (4 100 à 11 285) et quintuplé parmi celles d’origine nigériane (1 830 à 9 155). Au Québec, pour la même période, le nombre de demandes des personnes originaires de l’Inde a augmenté de 160 % (1 800 à 4 680), de la République démocratique du Congo de 148 % (1 155 à 2 865) et du Nigeria de 182 % (870 à 2455).
Il est également pertinent de noter qu’entre 2016 – l’année de la levée du visa pour les personnes originaires du Mexique – et 2019, les demandes des personnes originaires de l’Inde ont augmenté davantage (Inde : de 560 à 4 535; Mexique : de 260 à 3 315).
La voie aérienne
On entend des histoires tragiques depuis des années à propos des migrations par bateau dans la Méditerranée et dans la traversée de la Manche. D’autres passent par voies terrestres de Syrie vers l’Europe ou de l’Amérique du Sud vers la frontière sud des États-Unis.
On constate maintenant que l’industrie mondiale de passeurs de migrants, devenue très lucrative, s’oriente de plus en plus vers la voie aérienne. Les faux documents sont préparés par les cartels mexicains pour les vols au Canada; des personnes originaires de la Chine arrivent au Mexique pour passer aux États-Unis; des vols amènent des passagers de l’Afrique vers l’Amérique du Sud.
Pour la « modique » somme de 43 000 $, un employé de British Airways autorisait les personnes originaires de l’Inde à monter à bord des vols de Londres vers le Canada sans le visa canadien requis. Une filière indienne de passeurs du Canada vers les États-Unis a été responsable de la mort de familles indiennes à la frontière du Manitoba en plein hiver et dans le fleuve Saint-Laurent dans la réserve d’Akwesasne.
Des États-nations se servent des personnes migrantes comme leviers politiques dans leurs contentieux avec d’autres pays. Le Nicaragua a allégé ses exigences de visas pour inciter l’arrivée de gens souhaitant faire une demande d’asile aux États-Unis, leur permettant ainsi d’éviter le passage dangereux de la jungle panaméenne. Le but est de convaincre les Américains de retirer les sanctions qui frappent le Nicaragua. La Russie instrumentalise des personnes originaires du Proche-Orient et d’Afrique en les déposant à la frontière avec la Finlande en vue de déstabiliser son voisin devenu membre de l’OTAN.
Une décision irréfléchie
D’autres facteurs influencent la hausse du nombre de demandeurs d’asile au Canada. Pendant l'automne de 2022, les très longs délais dans le traitement des demandes de visas de visiteur ont défrayé les manchettes dans nos médias. Pour y remédier, le 28 février, à la demande publique du premier ministre Trudeau, l’ordre a été donné aux agents traitant les demandes de ces visas, reçues avant le 16 janvier 2023, de ne plus appliquer deux importants critères, c’est-à-dire l’obligation de faire la démonstration de la capacité financière de subvenir à ses besoins pendant son séjour et de son intention de quitter le pays au plus tard à la fin de la durée de son visa.
Cette décision, comme bien d’autres, a été prise à l’encontre des conseils des fonctionnaires fédéraux.
L’ordre a été révoqué par le ministre Miller en décembre, mais on ne connait pas encore les résultats de ce geste de générosité. Quel rôle a-t-il joué dans la hausse des demandes d’asile? Y a-t-il eu des effets positifs sur l’inventaire des demandes de visa et sur le délai de traitement? Si oui, ces gains seront-ils abolis par l’ajout du visa pour les voyageurs mexicains?
Les conséquences de l’immigration temporaire
N’importe quel type de visa ou de permis de séjour temporaire ouvre la porte à des demandes d’asiles. Dans les cinq dernières années, 16 000 personnes avec un permis d’étude au Canada ont fait une demande d’asile. En fait, entre 2018 et 2022, l’Université du Québec à Trois-Rivières figurait au quatrième rang du palmarès canadien des établissements postsecondaires pour les titulaires de permis d’étude qui ont demandé le statut de réfugié (435 comptabilisés).
Les personnes avec des permis de travail temporaire sur le point d'expirer peuvent également être tentées de demander l’asile en espérant pouvoir demeurer au pays légalement le plus longtemps possible.
Une autonomie pour le Québec?
Outre l’expérience du chemin Roxham, le Canada et le Québec ont été épargnés jusqu’à récemment par les migrations irrégulières que vivent d’autres pays développés. Les visas appliqués aux arrivées aériennes ont généralement suffi pour minimiser le nombre de personnes voulant demander le statut de réfugié sur place.
Il faut cependant se rendre compte, dans le contexte mondial actuel, qu’il s’agit au mieux d’un pansement. Plus on exigera de visas, plus il sera difficile de traiter les demandes dans un délai raisonnable. D’autres solutions seront nécessaires.
Comme province, il est de bonne guerre pour le Québec de demander au Canada de répartir ces personnes ailleurs au pays. Soulignons, en passant, qu’un Québec indépendant n’aurait plus cette option.
Que peut faire le Québec sans avoir recours au fédéral? Voici quatre idées que nous lançons pour débat :
• En amont, y a-t-il des programmes d’immigration permanente qui encadreraient mieux ces arrivées et qui seraient donc planifiés?
• Cet enjeu des demandes d’asile étant clairement lié à l’immigration temporaire, ne serait-ce pas un autre argument pour la réduction à un minimum de ce type d’immigration?
• À l’arrivée, qu’est-ce qui empêche le Québec de mieux répartir, sur son propre territoire, ces personnes qui pourraient, s’il s’agit de francophones ou de personnes plus efficacement francisées, contribuer à la revitalisation des régions ayant la capacité de les recevoir?
• En aval, il est critique de mieux planifier les seuils d’immigration humanitaire pour s’assurer que les personnes reconnues comme réfugiées n'ont pas à attendre dix ans pour obtenir leur statut de résidence permanente.
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