Le contrôle de l’immigration temporaire au Québec

2023/10/13 | Par Anne Michèle Meggs

L’autrice est ancienne directrice de la planification et de la reddition de comptes du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. Elle a aussi publié L’immigration au Québec : comment on peut faire mieux aux Éditions du Renouveau québécois en juin 2023.

Il est facile de se perdre dans le débat entre Ottawa et Québec sur qui est responsable de l’explosion de l’immigration temporaire. En fait, les deux contribuent, mais grâce à l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains de 1991, le Québec peut la contrôler sur son territoire.

Il y a quatre sources légales d’immigration temporaire : les demandeurs d’asile et trois programmes de permis, un pour les permis d’études et deux pour les permis de travail, soit le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et le Programme de mobilité internationale (PMI). Selon les données publiées sur le nombre de titulaires de ces trois programmes au 31 décembre 2022, les permis d’études représentaient 46 % du total, le PTET 17,5 % et le PMI 36,5 %.

En ce qui concerne les demandeurs d’asile, la situation géopolitique du Canada le rend unique parmi les pays développés. Depuis l’application de l’Entente sur les tiers pays sûrs à l’ensemble de la frontière canado-américaine, le seul moyen d’arriver au Canada pour demander l'asile est l’avion.

Le Canada se sert des visas et des permis temporaires pour tenter de limiter l’arrivée des personnes demandant l’asile. Une décision au début de l'année du gouvernement fédéral, visant à réduire rapidement un inventaire important de demandes de visas de visiteurs, semble avoir donné lieu à une augmentation significative de demandeurs d’asile aux aéroports, surtout de Toronto et de Montréal.

Le Québec contrôle, par les seuils d’immigration permanente, le nombre de ceux qui seront admis éventuellement pour rester au Québec, mais pas le nombre de ceux qui arrivent.

Concernant le Programme des étudiants étrangers, les provinces – compte tenu de leur compétence en matière d’éducation – peuvent adopter des politiques visant à réduire le nombre d’inscriptions de l’étranger dans leurs systèmes d’éducation. Elles ont aussi la responsabilité de désigner les établissements d’enseignement pour les fins d’un permis d’étude.

Au Québec, grâce à l’Accord, le fédéral ne peut délivrer un permis d’études sans le consentement du ministère québécois responsable de l’immigration. Pour signaler son consentement, le Québec délivre un Certificat d’acceptation du Québec (CAQ) pour études. Il établit les conditions afférentes et peut décider d’en limiter le nombre accordé annuellement. À ce jour, il n’y a pas eu de plafond sur le nombre de CAQ-études délivré.

Il est évident que c’était l’intention des négociateurs de l’Accord que le Québec contrôle l’ensemble des admissions, permanentes et temporaires. On le voit dans le titre même de l’Accord et dans le préambule, ainsi que dans le titre et la substance de l’Entente Cullen-Couture (1978) sur laquelle l’Accord a été basé, ainsi que dans l’Accord du lac Meech.

En ce qui concerne les travailleurs, au moment de la signature de l’Accord, le PTET était le seul programme visant les travailleurs étrangers temporaires. Il s’agissait d’un programme relativement mineur incluant surtout les travailleurs agricoles saisonniers. Il servait réellement et uniquement de dernier recours pour les employeurs souhaitant pouvoir des postes d’une durée limitée et ayant fait la démonstration que tout effort a été fait pour trouver de la main-d’œuvre locale.

Il n’est donc pas très surprenant que l'article de l’Accord sur le consentement du Québec pour l’admission des travailleurs étrangers fasse référence à ceux « dont l’admission est régie par les exigences du Canada touchant la disponibilité de travailleurs canadiens ».

Il n’y avait pas non plus de politique visant à offrir la résidence permanente aux travailleurs temporaires. Pour demander la résidence permanente, il fallait le faire de l’étranger, une stipulation qui demeure dans l’Accord, mais ne s’applique pas depuis plus de 20 ans.

En ce qui concerne donc ce PTET, la source des fameux « permis fermés », le Québec détermine quels employeurs seront autorisés à embaucher, le nombre d'effectifs et sous quelles conditions. Il délivre par la suite un CAQ-travail aux personnes embauchées en vertu de ce programme. Encore une fois, il établit les conditions du CAQ-travail et peut en limiter le nombre. À ce jour, le gouvernement n’a pas mis de plafond annuel sur le nombre de CAQ-travail.

En 2014, le gouvernement Harper a divisé le PTET en deux afin de pouvoir resserrer les règles concernant l’embauche de main-d’œuvre de l’étranger pour les besoins du marché du travail. Il a créé un autre programme, le Programme de mobilité internationale, pour les personnes étrangères travaillant temporairement au Canada pour d’autres raisons.

Normalement, la création de ce programme aurait dû être examinée par le Comité mixte, l’instance bilatérale créée par l’Accord pour gérer son application et résoudre les différends en matière d’immigration, mais on ne sait pas si cela a été le cas. On ne peut que constater que le Québec ne délivre pas de CAQ-travail dans le cadre du PMI.

Deuxième programme en importance après les permis d’études, le PMI a connu une croissance fulgurante dans les dix dernières années et est devenue le chemin principal pour la transition d’un statut temporaire à un statut permanent.

Si le Québec veut contrôler l’ensemble de son immigration, dans le cadre quasi-constitutionnel qu’offre l’Accord, il suffirait de donner instruction au Comité mixte de négocier les démarches nécessaires pour s’assurer du consentement du Québec relativement aux permis de travail du PMI.

Cela étant dit, même avec un tel contrôle, le gouvernement serait-il prêt à s’en servir pour inclure l’immigration temporaire dans sa planification pluriannuelle d’immigration?