Revue du livre Why Nations Fail

2012/10/31 | Par Gabriel Ste-Marie

Les économistes Daron Acemoglu, professeur au MIT, et James A. Robinson, de Harvard, ont récemment publié un ouvrage majeur en économie du développement. Le best-seller Why Nations Fail, qui n’est pas encore traduit en français, tente d’expliquer le chemin que doivent emprunter les pays qui veulent sortir de la pauvreté.

Dans une entrevue au journal La Presse, le nouveau ministre des Finances, Nicolas Marceau, s’est dit emballé par cet essai et prédisait même à ses auteurs un Nobel d’économie.

Selon Acemoglu et Robinson , la clé du développement est l’inclusion de la majorité de la population à la vie économique. Lorsqu’un individu peut améliorer son sort en travaillant plus, en prenant des risques ou en innovant, la société se développe. Et les fruits de son labeur doivent lui revenir, du moins en grande partie.

Les pays ou les nations qui demeurent dans la pauvreté sont ceux où le pouvoir politique accapare par la terreur la majeure partie de la valeur créée par la majorité. La population perd alors son intérêt à produire, épargner et, encore plus, à innover.

Pour Acemoglu et Robinson, les formes d’institutions politiques jouent un rôle clé dans le développement d’une économie.

À la base, l’État doit être suffisamment centralisé pour permettre la mise en place d’institutions favorisant l’activité économique. On pense, entre autres, au système judiciaire et monétaire, à la sécurité publique, aux voies de communication et, éventuellement, aux systèmes de santé et d’éducation.

Les auteurs donnent comme exemples négatifs la Somalie et l’Afghanistan. Dans ces pays, le pouvoir est partagé entre des gouvernements régionaux en conflit les uns avec les autres. Ils citent également l’exemple d’Haïti, un État qui s’est effondré. L’absence de gouvernement central empêche l’implantation des institutions nécessaires à l’émergence d’activités économiques d’envergure.

Cependant, le pouvoir de ce gouvernement central ne doit pas être hégémonique. Pour éviter les systèmes où une minorité au pouvoir exploite la majorité, il doit y avoir une pluralité de lieux de pouvoirs dans la société. Cet équilibre des forces passe par l’existence de plusieurs partis politiques, une société civile organisée et des médias forts et indépendants.

Règle générale, lorsque le pouvoir politique se retrouve entre peu de mains, l’appareil étatique ne sert plus la majorité, mais est détourné afin d’assurer le maintien des privilèges de la minorité.

Acemoglu et Robinson parlent alors d’un système extractif. On extrait la valeur produite par la majorité. L’élite vise uniquement son enrichissement personnel.

Les auteurs illustrent leurs propos avec l’Amérique du Sud du temps des conquistadors. On pille sans relâche. La minorité s’enrichit incroyablement, mais au détriment du reste de la population. Les institutions économiques extractives sont appuyées par des institutions politiques extractives.

La valeur concentrée et accumulée sert à bâtir une armée ayant pour mission de briser les révoltes, payer des mercenaires, poursuivre l’exploitation avant de mettre, éventuellement, en place un système électoral et de justice. Nous sommes devant un mécanisme d’auto-renforcement qui agit comme un cercle vicieux.

Ce type de société stagne économiquement. La majorité ne veut plus épargner, investir, innover ou travailler plus fort. Le fruit de tels efforts ne profiterait qu’à l’élite. Au fil du temps, cette culture s’implante et les changements deviennent très difficiles, mais pas impossibles.

Les auteurs donnent plusieurs exemples de sociétés extractives, et ce, à plusieurs époques. Ils nomment et détaillent entre autre les cas suivants : le Zimbabwe, la Sierra Leone, la Colombie, l’Argentine, l’Ouzbékistan, la Corée du Nord et l’Égypte.

Tous ces pays ont peu en commun. Ce n’est pas la géographie, le climat, la langue ou le fait d’avoir été colonisé par un pays particulier qui explique cet état de stagnation économique. C’est le fait d’avoir une minorité qui maintient son hégémonie sur le reste de la population, quoique avec différentes intensités.

Pour décrire les systèmes inclusifs, où la majorité participe à l’économie et à son développement, les universitaires donnent l’exemple des colonies américaines.

L’Angleterre a colonisé l’Amérique du Nord parce que l’Espagne, bien plus puissante alors, avait déjà conquis le Sud.

Au départ, la Virginia Company a cherché à implanter un modèle d’exploitation similaire aux colonies espagnoles.

Mais l’absence d’or et de métaux précieux, combinée à la faible densité de la population, tant autochtone qu’européenne, a rendu caduc le système. Les gens fuyaient la contrainte, même si leur tête était mise à prix.

Les circonstances ne favorisant pas la mise en place d’un système extractif, s’est progressivement mis en place un système où le colon défriche sa terre et profite de son labeur, de son épargne et de ses innovations.

Avec un pouvoir économique mieux distribué, le pouvoir politique est mieux partagé. Contrôler l’État n’est plus le moyen privilégié pour s’enrichir. La majorité, participant à l’économie, exige des institutions politiques qui renforcent ses intérêts. Avec le temps, une culture d’égalité des chances se développe et la croissance économique est au rendez-vous, ce qui renforce le système, tel un cercle vertueux.

Acemoglu et Robinson affirment que les nations riches sont toutes, à un moment de leur histoire, passées du stade d’institutions extractives au stade d’institutions inclusives. Pour illustrer ce processus, ils décrivent la Révolution française, la Glorieuse Révolution glorieuse en Angleterre, la Restauration japonaise, la Guerre de sécession aux Etats-Unis et le cas du Botswana!

Enfin, leur théorie leur fait prédire le déclin économique de la Chine. Le pouvoir politique y est trop concentré. Les dirigeants craignent laprésence d’autres pouvoirs économiques et vont tout faire pour en bloquer l’émergence. C’est l’affirmation la plus surprenante du livre, qui constituera à coup sûr un véritable test pour évaluer la robustesse de leur théorie.

Les auteurs rappellent également que l’aide internationale, les réformes du FMI et même les programmes de micro-crédit ne peuvent briser le cercle vicieux de la pauvreté et de la stagnation économique, parce qu’elles ne mettent pas en place d’institutions inclusives.

Implanter de telles institutions représente tout un défi. Les auteurs rappellent qu’elles voient le jour à travers les luttes politiques, où la présence de médias d’information joue un rôle crucial.

L’essai est fort nuancé. Toutefois, la théorie présentée minimise certains éléments, à commencer par l’existence de pauvreté dans les pays riches. Les institutions inclusives continuent à exclure une partie importante de la population.

À la lumière de cette théorie, il aurait aussi été intéressant d’analyser le présent recul des institutions inclusives dans les pays développés, notamment en lien avec l’actuelle crise économique.

Plusieurs économistes, comme Paul Krugman et Joseph Stiglitz, ciblent l’accroissement des écarts de richesse et sa plus grande concentration comme cause des problèmes économiques actuels.

Acemoglu et Robinson ne se mouillent pas suffisamment. Par exemple, il n’est pas dit si les États-Unis constituent aujourd’hui un exemple de réussite de société inclusive, malgré le nombre impressionnant d’exclus, leurs politiques étrangères agressives, ou encore leur niveau de pollution. Il reste que cette théorie un outil d’analyse dynamique très intéressant, rappelant souvent la méthode d’analyse de Karl Marx!

Daron Acemoglu et James A. Robinson, Why Nations Fail, Crown Business, 2012, 529p.

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