Roméo Bouchard est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le développement des communautés territoriales.
La question autochtone revient de nouveau dans l’actualité. Les rencontres obtenues de force se solderont une fois de plus par des promesses de dialogue, de négociation territoriale, de fonds supplémentaires pour des logements, des écoles et de l’aide sociale afin de soulager la misère et les calamités qui affligent un grand nombre de réserves indiennes. Mais personne ne voudra s’attaquer au cœur du problème qui est la tutelle et la ségrégation inconcevables que perpétuent notre infâme Loi des Indiens et le système des réserves.
Abraham Lincoln a osé proclamer, en pleine guerre de sécession, l’émancipation des esclaves noirs et faire le pari que Blancs et Noirs apprendraient progressivement à vivre ensemble sur le territoire des États-Unis d’Amérique.
Mais aucun dirigeant des deux Amériques, sauf peut-être Evo Morales dans la récente constitution de Bolivie, n’a encore osé proclamer l’émancipation des « Indiens ». Partout, sous des formes toutes plus odieuses l’une que l’autre et en dépit des déclarations claires de l’ONU et des documents constitutionnels, les premières nations autochtones sont tenues à l’écart du territoire et de la société, et leur droit de se gouverner comme nation et d’utiliser leur territoire ancestral pour vivre et se développer est confisqué. L’état de ségrégation et de dépendance qui en est résulté suffit largement à expliquer toutes les misères matérielles et morales qu’on leur reproche.
Le Canada n’est pas en reste. La Loi des Indiens de 1876, anciennement appelée l’Acte des Sauvages, n’a pas été substantiellement modifiée. Elle fait des membres des Premières nations des citoyens mineurs sous la tutelle du gouvernement fédéral. Elle fait partie d’un vaste plan visant l’appropriation des terres occupées par les Autochtones, ainsi que l’assimilation et la disparition pure et simple des nations amérindiennes, considérées désormais comme un obstacle au développement des territoires.
La seule façon de solutionner la question autochtone est de proclamer l’émancipation des premières nations, c’est-à-dire d’abolir la Loi des Indiens et de reconnaître leur droit d’exister, de se gouverner et de se développer, comme nations, sur le territoire que nous partageons désormais avec elles. Il faut donc accepter de négocier, de nation à nation, des règles de cohabitation et de partage du territoire (et de ses ressources) qui permettront à leurs nations comme aux nôtres de vivre dignement.
Comme Lincoln, il faut faire le pari qu’on peut vivre ensemble comme nations autonomes, sur un territoire commun, et abandonner une fois pour toute l’idée d’assimiler, de tenir à l’écart ou de faire disparaître les premières nations autochtones.
Au Québec, la Convention de la Baie-James et la Paix des Braves, convenues avec les Nations Crie et Naskapis et les Inuits (Nunavik), constituent un modèle, en évolution constante d’ailleurs, qui ouvre la voie à cette émancipation et à l’autonomie gouvernementale et territoriale de ces nations. Des solutions semblables sont recommandées dans l’imposant rapport Erasmus-Dussault, toujours tabletté.
Toute autre approche n’est qu’une odieuse hypocrisie.
Note : Il y a au Québec 11 premières nations: les Cris, les Naskapis, les Algonquins, les Attikameks, les Mohawks, les Hurons-Wendat, les Abénaquis, les Malécites, les Micmacs, les Innus et les Inuits. Ces 11 nations totalisent 80,000 personnes, les plus nombreuses étant les Innus (16,000), les Cris (15,000), les Algonquins (10,000), les Inuits (10,000). Au Canada, on dénombre plus de 600 premières nations totalisant près de 1.5 million de personnes (Indiens inscrits ou non, métis et Inuits). Chaque nation a son territoire traditionnel et une langue autochtone orale et écrite, et correspond aux critères de nation autochtone définis par l'ONU. Une réserve n'est pas une nation mais une communauté appartenant à une des nations
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