Dans son livre Dans l’intimité du pouvoir, où il tient quotidiennement un registre de ses rendez-vous, Dominique Lebel nous fait prendre conscience de l’extraordinaire pression que les milieux d’affaires ont exercé sur le gouvernement Marois.
Jour après jour, le chef de cabinet adjoint de la première ministre rencontre des dirigeants d’entreprises qui font valoir leurs intérêts. Le patron d’Arcelor Mittal veut de l’énergie à bas prix, celui d’Alcoa menace de fermer son usine de Baie-Comeau, s’il n’obtient pas une réduction des tarifs d’électricité.
À ces demandes spécifiques s’ajoutent les pressions des représentants d’organismes patronaux et les menaces de décote des agences de cotation. Et ceux-ci ont leurs relais au sein même du gouvernement et de la fonction publique.
Le débat sur une nouvelle loi sur les mines, qui a opposé, au sein du gouvernement, la ministre des Ressources naturelles Martine Ouellet et le ministère des Finances Nicolas Marceau en est une belle illustration.
D’entrée de jeu, Lebel campe les deux protagonistes. « Martine est une battante qui défend ses idées jusqu’à l’extrême. Elle ne lâche jamais. Il y a quelque chose d’à la fois exaspérant et attachant chez elle », écrit-il.
Quant au ministre des Finances Nicolas Marceau, il est, aux yeux de Lebel, « un intellectuel en politique. (…) Il a tendance à demeurer en retrait de son administration. Il est vrai qu’à Québec il est bien difficile de s’imposer à une équipe comme celle des Finances ».
La confrontation implique aussi les fonctionnaires des deux ministres. Lebel relate : « Martine Ouellet me prend à part. Elle estime que sa machine administrative bloque. Elle a peur de ne pas pouvoir réaliser ses engagements. Elle dit manquer de marge de manœuvre. Elle veut changer de sous-ministre et de directeur de cabinet. Grosse commande. Je vois déjà la tête de la première ministre ».
Rien de tel du côté de Marceau, dont le sous-ministre Monty était en poste sous le gouvernement de Jean Charest.
Le 11 décembre 2012, Lebel consigne dans son journal : « Je reviens d’un petit-déjeuner avec Nicolas Marceau et Martine Ouellet au sujet des redevances minières. C’est un sujet difficile entre les deux ministres depuis plusieurs semaines ».
Difficile également au sein du ministère des Ressources naturelles. « Martine revient à la charge au sujet du changement de son sous-ministre. J’en discute à nouveau avec la première ministre. Elle s’impatiente. ‘‘Martine, elle est bien intelligente, mais son défaut c’est qu’elle pense qu’elle peut tout faire toute seule’’. On organise sur-le-champ une rencontre entre Madame et la ministre. C’est tendu. Martine Ouellet répète qu’elle n’a pas le soutien de ses hauts fonctionnaires. »
Finalement, Martine obtient la nomination d’un nouveau sous-ministre et d’un nouveau chef de cabinet.
Début janvier 2013, elle revient à la charge auprès de Lebel : « Martine Ouellet ne voit pas comment concilier la vision des Finances et la sienne sur la question de la refonte du régime des redevances minières ».
Un mois plus tard, nouvelle démarche. « Martine veut parler des redevances minières. Elle trouve que les Finances la talonnent. Madame lui dit qu’elle ne peut pas travailler seule et qu’elle doit collaborer avec les Finances, car le régime minier a des impacts fiscaux ».
La ministre ne lâche pas prise. « Martine Lauzon et Bernard Lauzon viennent me rencontrer au cabinet de Montréal. Lauzon était le conseiller économique de Jacques Parizeau avant d’entrer dans la fonction publique au milieu des années 1990. Il est aujourd’hui fonctionnaire aux Ressources naturelles. Lui et Martine Ouellet viennent discuter du dossier des redevances minières. »
Lebel enchaîne : « Lauzon a fait ses propres calculs et projections et il me présente le résultat de ses recherches à la manière d’un professeur d’université. Ses résultats sont très différents de ceux des Finances. Je me dis qu’il faut quand même être culotté pour faire soi-même des projections qui viennent contredire celles de la batterie d’experts du ministère des Finances. J’admire l’audace, mais je ne vois pas très bien à quoi rime tout ça ».
Pourquoi ne voit-il pas à quoi ça rime? On en a une bonne idée quand on lit la phrase suivante de son journal.
« J’ai Françoise Bertrand au téléphone. Présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec, elle est certainement l’une des femmes les plus influentes du monde économique québécois. Elle connaît tout aussi bien le fonctionnement et les besoins des entreprises que ceux des gouvernements. On discute du dossier des redevances. Elle veut s’assurer que le point de vue des entreprises sera bien pris en compte dans nos décisions. »
Mais Martine est tenace. « En marge du Conseil des ministres, Martine Ouellet me reparle des prévisions des Ressources naturelles sur les redevances minières. C’est comme une histoire sans fin. Je pense à Sisyphe. »
Le même jour, Dominique Lebel nous informe qu’il discute avec Yves-Thomas Dorval du Conseil du patronat. Parmi les sujets abordés : les redevances minières! C’est drôle que ça ne lui fasse pas penser à Sisyphe.
Finalement, le ministère des Finances s’impatiente. « Jean-François Gibeault, directeur de cabinet de Nicolas Marceau, m’appelle pour me parler de la question des redevances minières. Il est découragé et ne voit pas très bien comment on va s’en sortir. Il souhaite que la première ministre impose sa décision. »
Puis, c’est au tour de Nicolas Marceau. « Le ministre des Finances me joint au téléphone. ‘‘Sur les redevances, nous sommes prêts aux Finances. Il faut qu’on en finisse au plus vite’’. »
Un mois plus tard, après le Forum surs redevances minières, « la première ministre convoque Nicolas Marceau et Martine Ouellet à ses bureaux. ‘‘Sur la hauteur des redevances minières, je voudrais qu’on prenne une décision aujourd’hui. Ça ne peut plus attendre. On décide et on prend quelques semaines pour bien préparer l’annonce. Je sais que vous avez encore des débats entre vous, mais il est temps de trancher. Par la suite, il faudra présenter tout cela au caucus, attacher les fils avec l’industrie. Je vise mi-avril pour l’annoncer’’. »
Finalement, la première ministre tranche. Lebel rapporte : « Nicolas Marceau et Martine Ouellet annoncent la position du gouvernement sur les redevances minières. Les principes défendus par le Parti québécois sont respectés, mais la hausse est minime par rapport à ce qui avait été envisagé. »
Le lobby des minières a gagné. Faute d’un lobby aussi efficace pour l’appuyer, Martine a perdu. Le Parti Québécois a perdu. Le Québec a perdu. Lebel le reconnaît : « Tout le monde autour de la table est bien conscient que sur le plan politique nous avons déjà perdu ».
Martine Ouellet se signalera également, raconte Lebel, par son souhait que le secteur éolien soit dorénavant entre les mains d’Hydro-Québec plutôt que du privé – ‘‘C’est ce qui est écrit dans le programme du Parti québécois’’, clame-t-elle –, et sa critique des hausses de tarifs d’Hydro-Québec qu’elle trouve excessives.
Concluons avec cet hommage que lui rend Dominique Lebel. « Martine est imbattable quand il s’agit de défendre des projets innovateurs portés par des Québécois. Elle mène ses combats tête première en montant au front chaque fois qu’elle le juge nécessaire, quitte à bousculer. Sous son physique un peu frêle, elle cache une détermination hors du commun. »
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