Ceci n’est pas une pipe…

2016/08/31 | Par Michel Rioux

Désormais, celles et ceux qui ne sauront admettre que les artistes ont un sacré pif et qu’avant le commun des mortels, ils sentent les choses et les devinent, ceux-là n’auront pas réfléchi, le temps d’une poffe, à la signification profonde du nom donné par René Magritte à une peinture réalisée en 1927 : Ceci n’est pas une pipe !

On a beau regarder cette peinture sous tous les angles et sous toutes les coutures, force est d’admettre que nous sommes bel et bien en présence d’une pipe. Tout juste si on ne respire pas les effluves d’un tabac capiteux, tant le réalisme est puissant.

Ces derniers temps, j’ai souvent pensé à Magritte.

 

Bain

Prenez l’affaire Richard Bain.

Pendant quatre ans, on a emprunté toutes sortes de circonvolutions pour nous amener à croire que l’attentat du Métropolis était l’œuvre d’un timbré, et non pas un crime politique commis par un homme aveuglé par une haine profonde des indépendantistes.

Cela a même pris onze jours pour qu’un jury en arrive à la conclusion que le geste n’était pas prémédité, même si Bain était arrivé sur les lieux armé jusqu’aux dents, qu’il avait procédé à une inspection de la place plusieurs heures avant l’attentat, qu’il s’était assuré que la porte arrière donnait directement sur la scène où se trouverait Pauline Marois.

« Les bons assassins sont difficiles à trouver, ces jours-ci », a écrit un dénommé Blake Marsh en anglais sur sa page Facebook, ajoutant ceci: « Je ne donne pas un mois à cette pute avant que quelqu’un fasse ce qui doit être fait avec davantage de précision. »

L’avocat Maxime Laporte a bien résumé cette tendance à refuser de voir la pipe, alors qu’elle était pourtant là en trois dimensions. « On a l'impression que, pour plusieurs, ne serait-ce que réfléchir aux actes criminels posés présumément par Richard Henry Bain en termes d'implications ou de déterminations sociopolitiques, se révèle anxiogène. On ne veut surtout pas risquer de bousculer la paix sociale, linguistique et politique, autant dire le statu quo ou l'ordre établi des choses. Alors on se tait ou on se convainc que l'accusé, même s'il a multiplié les déclarations politiquement incendiaires, est un détraqué sorti entièrement de nulle part, en dehors de toute matérialité sociale ou politique... »

Ce furent les premiers mots de Pauline Marois : « Un acte de folie… » Des mots confirmés quelques heures plus tard par le maître à penser de Gesca, Yves Boisvert : « On ne sait pas grand chose de Richard Bain, mais assez pour avancer ceci : l’attentat meurtrier de mardi soir était moins politique que psychiatrique. »

 

Canadian Tire

Prenez les Jeux Olympiques.

Le 9 février 2011, avant que ses grotesques histoires de bobettes ne le fassent chuter de l’Olympe, l’ineffable Marcel Aubut avait déclaré, dans un élan d’enthousiasme pan canadien : « Les Olympiques, ça crée une méchante job au niveau de bâtir une nation. C’est incroyable. Il n’y a rien qui ressemble à ça. » Le français cloche, c’est vrai. Mais c’est apprécié dans le ROC.

La bien nommée compagnie Canadian Tire a entendu l’appel. Vingt fois par jour, il a fallu se farcir une pub qui disait : « Nous jouons tous pour le Canada… » Réquisitionnés et embrigadés à notre corps québécois défendant, nous fûmes. Ce n’était pas, bien sûr, une opération de canadian building extrême. Non ! Ce n’était pas une pipe, aurait dit Magritte, même si cela en avait toutes les formes et toutes les apparences.

 

Burkini

Prenez le burkini.

On ne fera jamais croire à une personne normalement constituée qu’il s’agit là d’un uniforme conçu pour favoriser la pratique des sports aquatiques. Ni même de l’une de ces créations particulièrement loufoques dont la mode a le secret. S’il s’agissait d’un simple vêtement sorti de l’imagination d’un couturier se faisant une spécialité de compliquer la vie des gens, on ne voit pas pourquoi les hommes ne seraient pas eux aussi invités à le porter.

Car pour les téméraires, cela augmenterait singulièrement le coefficiant de difficulté dans le cas d’un cent mètres papillon ou celui d’un plongeon d’une tour de dix mètres, comme on dit dans les piscines olympiques…

Ne pas convenir qu’il s’agit bel et bien là d’un vêtement à forte teneur politique relève du défi, sinon du déni. Mais encore là, Magritte intervient. Ce n’est donc pas une pipe puisque ce n’est pas un vêtement porteur d’un fort message politique.

Le nouveau ministre des Transports n’a pas ménagé les siens dans une entrevue avec Paul Arcand. Laurent Lessard y a en effet affirmé que le doute était la mère de tous les vices ! Nom d’une pipe, aurait sans doute murmuré un Magritte tout étonné en mordant la sienne entre ses dents...