L’auteur est député du Bloc Québécois.
Il y a six ans, la province de Terrre-Neuve s’est lancée dans un projet démesuré de centrale hydroélectrique et de câble sous-marin. Le projet Muskrat Falls est aujourd’hui devenu le plus grand fiasco économique de son histoire.
Sans la complicité et le soutien d’Ottawa, ce projet n’aurait jamais vu le jour et tout ce fiasco aurait été évité. À Ottawa, les libéraux, les conservateurs, mais aussi les néodémocrates, avaient apporté leur soutien au projet. Seul le Bloc Québécois et le Parti Vert s’y étaient opposés.
Muskrat Falls a été lancé par le gouvernement du premier ministre conservateur terre-neuvien Danny Williams, qui l’avait décrit comme une déclaration d’indépendance face à la domination du Québec. Rien de moins !
Le projet était de construire un barrage et un câble sous-marin vers la Nouvelle-Écosse, afin de contourner le Québec et d’exporter de l’électricité dans les Maritimes et en Nouvelle-Angleterre.
On se trouve devant une situation d’injustice totale. Terre-Neuve vient concurrencer Hydro-Québec, grâce au soutien d’Ottawa, alors qu’Hydro-Québec ne reçoit aucune aide fédérale.
Pire encore, via leurs impôts versés à Ottawa, les Québécois se trouvent à assumer financièrement une part importante d’un projet qui leur nuit directement. Et pas un seul élu québécois des partis fédéralistes pour s’opposer ou décrier le projet !
D’entrée de jeu, le projet Muskrat Falls était démesuré pour la petite nation d’un demi-million d’habitants qui, de surcroit, n’a pas d’expertise en la matière.
On parle d’une centrale hydroélectrique de 824 MW, située à Muskrat Falls sur le fleuve Churchill au Labrador; d’une ligne à haute tension de 1 100 km reliant la centrale à St. John’s, à laquelle s’ajoute une autre ligne à haute tension de 400 km vers Churchill Falls, pour se brancher au réseau existant et ses interconnections vers le Québec; puis, enfin, d’un câble sous-marin de 425 km reliant l’île de Terre-Neuve à l’île du Cap-Breton, où il se branche au réseau électrique de la Nouvelle-Écosse d’où, par les interconnections existantes, il pourra concurrencer Hydro-Québec sur le marché de l’électricité du Nouveau-Brunswick et du nord-est des États-Unis.
Tout ça coûte très cher. Au départ, le barrage devait coûter 6,2 milliards $, soit 12 000 $ par habitant. Ayant connu des ratés majeurs, le coût du projet a presque doublé, atteignant 11,4 milliards $. On est encore loin de la facture finale, mais on parle déjà d’un coût dépassant les 21 000 $ par habitant !
L’ancien premier ministre de Terre-Neuve, Roger Grimes, vilipende son successeur Danny Williams et explique qu’avec cette explosion des coûts, l’électricité produite reviendra à 35¢ ou même 40 ¢/kWh. Muskrat Falls ne sera jamais rentable.
Jamais une si petite économie n’aurait réussi à financer un tel projet sans l’aide d’Ottawa. Le fédéral lui a d’abord accordé une garantie de prêts de 6,3 milliards $, à laquelle se sont ajoutés un autre 2,9 milliards $ en novembre dernier.
Jusqu’à maintenant, Ottawa a donc annoncé une garantie de prêt de 9,2 milliards $. Comme il s’agit d’un projet non rentable, il ne fait aucun doute qu’Ottawa va payer, donc nous aussi, pour une bonne part.
Pour justifier son soutien, le gouvernement fédéral nous répond, dans une langue de bois, qu’il faut soutenir les projets d’énergie renouvelable, en même temps qu’il affirme qu’il faut aussi soutenir les oléoducs pour développer les sables bitumineux. Finalement, Ottawa soutient n’importe quoi, tant que ce n’est pas pour le Québec!
Dans le développement de Muskrat Falls, les erreurs ont été multiples. Tout d’abord, comme il s’agissait dès l’origine d’un projet portant une signature « anti-Québec », le gouvernement terre-neuvien a choisi de se passer de notre expertise. Pourtant, c’est nous qui détenons l’expertise mondiale en la matière.
Terre-Neuve a préféré engager une firme italienne pour construire le barrage. Une firme qui manquait d’expertise et qui avait mal pris en compte le phénomène du gel-dégel. Résultat : toute l’assise du barrage a dû être refaite.
L’emplacement a aussi été mal choisi, puisqu’une des pointes du site est en glaise plutôt qu’en roc, avec la très grande difficulté d’y asseoir l’imposant barrage, comme on peut l’imaginer. Avec les coûts supplémentaires que cela met en cause.
Les câbles commandés pour les lignes à haute tension de 1100 km de long n’avaient pas le niveau de solidité requis. On n’avait pas calculé les possibilités que la glace puisse s’y déposer. On n’a pas commandé le bon produit. Il a dû être retourné. 1100 km, c’est plus que la distance qui sépare Gatineau de Sept-Îles!
Et on ne parle pas du câble sous-marin qui sera construit, avec toutes les difficultés qui lui seront propres!
Sans compter non plus l’opposition qu’a suscitée le projet chez les Autochtones, qui voient leur milieu de vie perturbé. Non seulement les consultations préalables ont-elles été bâclées, mais on avait oublié de faire des analyses de sol. On découvre aujourd’hui, après avoir englouti des milliards, que le projet entraînera une forte contamination au mercure.
En avril dernier, Ed Martin, le pdg de Nalcor, l’Hydro-Québec de Terre-Neuve, a démissionné tout comme l’ensemble du conseil d’administration. Son successeur, Stan Marshall, parle ouvertement d’un fiasco. Mais il entend poursuivre le projet, trop de milliards ayant déjà été dépensés. Et, pour la même raison, Ottawa entend continuer à le soutenir.
Au départ, lorsqu’Ottawa a décidé d’appuyer le projet, il ne l’a pas sérieusement étudié. Les raisons de l’appui du fédéral au projet étaient politiques. Soutenir Terre-Neuve et les Maritimes, au détriment du Québec, cela a plu. D’où l’appui unanime de la Chambre des communes, à l’exception du Bloc Québécois et du Parti Vert.
Dès le départ, six milliards ont été engagés, sans étude sérieuse de l’aspect économique de Muskrat Falls, ni des risques qui y sont associés.
À l’heure actuelle, plutôt qu’arrêter net le projet, on préfère continuer à s’y embourber, en votant des milliards de dollars additionnels en soutien.
Une rumeur veut même qu’une ligne à haute tension reliant le Labrador à l’Ontario pourrait être imposée au Québec, toujours dans l’objectif de renflouer ce projet déficitaire.
Au cours des quinze dernières années, Terre-Neuve a connu un sérieux boom économique, à cause du pétrole. La province est depuis replongée dans la morosité, avec la chute des cours de l’or noir.
La population y vit de grandes difficultés et de la détresse. Nous ne sommes pas indifférents à la situation des Terre-Neuviens, bien au contraire.
Toutefois, en aucun cas, cela ne constitue une raison pour soutenir un projet qui ne sera jamais rentable et qui entre directement en conflit avec le Québec.
L’appui d’Ottawa au projet de Muskrat Falls nous permet de tirer deux leçons sur le Canada.
D’une part, le gouvernement central ne fait pas d’analyses rigoureuses avant de prendre ses décisions, affichant un laxisme certain quant à la gestion des fonds publics et faisant reposer sa décision sur des enjeux politiques d’abord.
D’autre part, l’influence du Québec à Ottawa est aujourd’hui terriblement marginale. Le fédéral peut prendre des décisions qui vont à l’encontre du Québec, sans véritables conséquences. Et les élus québécois des partis fédéralistes se contentent de jouer leur rôle de béni-oui-oui quant aux décisions du gouvernement et de leur parti.
Du même auteur
2024/11/29 | La gestion de l’offre mise à mal par le Canada anglais |
2024/11/06 | The Economist pourfend le gouvernement Trudeau |
2024/10/04 | Deux gains importants possibles pour le Québec |
2024/06/20 | L’arnaque des fondations créées par Ottawa |
2024/05/17 | Le pétrole sale au cœur de l’économie canadienne |
Pages
Dans la même catégorie
2024/12/04 | Bloquons le PL 69! |
2024/11/20 | Bien gérée, la migration peut être une force positive |
2024/11/13 | Quand La Presse+ trouve du « positif » dans la victoire de Trump |
2024/11/06 | The Economist pourfend le gouvernement Trudeau |
2024/11/06 | Les syndicats et l’action politique |