Les données sont pourtant claires. En 2015, 1 950 allophones sont passés du secondaire francophone au cégep anglophone et 2 250 francophones ont fait le même choix. C’est l’équivalent du recrutement annuel d’un très gros cégep.
Le phénomène n’est pas nouveau. Il s’amplifie même. Les organismes qui devraient sonner l’alerte, comme le ministère de l’Éducation, l’Office de la langue française et le Conseil supérieur de la langue française, retiennent les statistiques, les trafiquent, leur font dire le contraire de ce qu’elles révèlent.
Au cours des ans, des chercheurs reconnus, comme Michel Pagé et Marc Termote, ont participé à cette opération de camouflage. Des éditorialistes et des commentateurs politiques, pourtant nationalistes comme Bernard Descôteaux du Devoir et Christian Dufour, ont minimisé le problème.
Mais les faits sont têtus. Depuis bientôt dix ans, Charles Castonguay les rappelle avec toujours plus d’insistance, comme en font foi les articles de ce recueil. Et les répercussions de ce « libre-choix » en faveur du cégep anglais sont connues : une plus grande fréquentation des universités anglaises, davantage d’anglais au travail, des comportements anglicisés en matière de langue utilisée dans les commerces, la consommation de créations culturelles, avec les amis et à la maison.
L’aboutissement ultime est aussi connu : le déclin du français. Déjà, de 2001 à 2006, le poids de la majorité francophone au Québec a plongé de 81 % à 79,1 %, une dégringolade jamais vue dans l’histoire des recensements canadiens, soit depuis 1871.
Le poids de l'anglais a commencé en même temps à progresser. Cette nouvelle dynamique s'est confirmée en 2011 et, selon les projections de Statistique Canada, si rien ne change, elle se poursuivra.
Après de nombreux échecs auprès des Bouchard et Landry, les militantes et les militants du Parti Québécois avaient de nouveau réussi avec Pierre Curzi à faire inscrire dans le programme de leur parti, au congrès de 2011, l’extension des dispositions de la Loi 101 au cégep. Mais, en l’absence d’un Pierre Curzi, qui avait démissionné lors du scandale de l’amphithéâtre de Québec, Pauline Marois a pu prétexter le statut minoritaire de son gouvernement pour passer à la trappe l’article du programme concernant les cégeps.
Aujourd’hui, le chef du Parti Québécois Jean-François Lisée mobilise l’ensemble des membres de son caucus pour qu’ils combattent activement dans les congrès de circonscription et les congrès régionaux toute résolution en faveur de l’application des dispositions de la Loi 101 au cégep. Malgré cela, des résolutions en ce sens ont été adoptées dans trente-trois circonscriptions.
L’avenir nous dira si les défenseurs du français réussiront à faire triompher leur point de vue au congrès du mois de septembre 2017.
Au-delà des aléas du prochain congrès du Parti Québécois, se pose la question de cet engouement pour l’anglais, mais aussi et surtout de la capitulation d’une bonne partie des élites francophones dans le combat pour la langue.
L’emballement pour l’anglais est évidemment une conséquence de la mondialisation, dont un des effets est la régression du statut du français au Québec même si, dans les milieux nationalistes, on propage encore l’idée que les Québécois contrôleraient leur économie et que le slogan « Maître chez nous ! » traduiraient toujours bien la réalité actuelle. La saignée vers les cégeps et les universités anglaises montrent que des étudiants allophones et francophones, toujours plus nombreux, ont instinctivement une meilleure compréhension de l’état des lieux.
Plus inquiétant cependant est l’absence de réaction énergique des élites francophones, contrairement aux années 1960 et 1970, alors que, devant un exode similaire d’élèves allophones mais aussi francophones, elles avaient mobilisé la population pour arracher au gouvernement Bourassa la reconnaissance du « français, langue officielle » (Loi 22) et imposer la Charte de la langue française (Loi 101) avec le gouvernement Lévesque.
Qu’est-ce qui explique l’absence d’une réaction aussi vigoureuse aujourd’hui ? Bien sûr, il y a le « bon-ententisme » des Lisée et compagnie face aux anglophones.
Mais encore ? Serait-ce que nous aurions perdu la lutte idéologique aux mains des trudeauistes ? Que plutôt que de pouvoir compter dans notre combat indépendantiste sur les « enfants de la Loi 101 », nous nous retrouverions aujourd’hui avec les « enfants (allophones et francophones) de la Charte de Trudeau » ?
Peu importe les raisons de ce recul, il n’y a qu’une façon d’entreprendre, de poursuivre et d’assurer le triomphe du Québec français, c’est de s’appuyer sur des faits précis et des données incontestables. C’est cette arme indispensable que nous procure Charles Castonguay dans ce recueil.
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