Dans la nuit du 11 janvier, la direction de l’aluminerie ABI de Bécancour, propriété à 75% d’Alcoa et 25% de Rio Tinto a déclenché un lock-out mettant à pied les 1030 travailleurs de l’usine.
Clément Masse, le président du Syndicat, ne s’explique pas la décision de l’entreprise. Le 21 décembre l’employeur a subitement quitté la table des négociations pour déposer une offre finale « Je ne comprends pas. Sur les deux points en litige dans la négociation de la convention collective, le régime de retraite et les mouvements de main-d’œuvre, il y avait des progrès », nous confie-t-il. Les travailleurs ont rejeté à 80% cette offre finale en assemblée générale les 9 et 10 janvier 2018.
Avec un déficit de 157 millions $ à sa charge dans la caisse du régime de retraite, l’employeur demandait de transformer le régime à prestations déterminées en un régime RRFS où tous les risques auraient été assumés par les travailleurs. Le régime est administré par les travailleurs. Si jamais il y a un déficit, il est possible de le réduire en suspendant, par exemple, l’indexation des prestations. Les négociations allaient bon train là-dessus », explique Clément.
Quant aux mouvements de main-d’œuvre dans l’usine, le Syndicat était ouvert à l’idée d’une certaine flexibilité. « Cependant, précise Clément, il n’était pas question de céder sur l’ancienneté. Il va y avoir de nombreux départs à la retraite au cours des prochaines années et plusieurs postes sont convoités. »
Ce désaccord était-il suffisant pour décréter un lock-out? D’autant plus qu’interrompre la production n’est pas sans conséquence. L’aluminium liquide fige dans les cuves et, pour les remettre en état de produire, il faut les soumettre à de violents électrochocs, au risque de les briser. Le procédé prend plusieurs semaines.
Avec une production assumée par les cadres qui ne représente qu’un tiers des 430 000 tonnes métriques d’aluminium produites en temps normal, Clément Masse évalue à 100 millions $ les pertes encourues par l’entreprise. Pour Alcoa, la perte n’est pas négligeable, car l’aluminerie de Bécancour est sa plus importante usine de production de métal. Impossible donc, selon lui, que les deux points en litige dans la négociation expliquent l’arrêt de la production.
Alors, quelle est donc la véritable cause du lock-out? Clément spécule : « Peut-être qu’on veut réduire les stocks d’aluminium pour faire grimper les prix. Il est aussi possible qu’on veut faire pression sur le gouvernement pour renégocier à la baisse les tarifs d’électricité ».
Bien qu’il soit évident que la responsabilité du conflit ne repose pas sur le syndicat, les radio-poubelles et les réseaux sociaux se déchaînent néanmoins contre les travailleurs. Les médias traditionnels ne sont pas en reste. Dans un reportage publié dans La Presse du 20 janvier, le journaliste affirmait que la reprise des activités ne pouvait avoir lieu « dans les périodes de floraison et de pâturage en raison de son impact sur l’environnement » et que « Bécancour, région largement agricole, pourrait donc devoir attendre jusqu’à l’automne avant que les choses ne reviennent à la normale ».
Ce à quoi Clément rétorque : « Il est toujours possible d’avoir une dérogation. Cela a été le cas à l’usine d’Alma. Après le conflit, la production a repris en plein été ».
En fait, il n’y a rien pour décourager Clément Masse et son syndicat. Leurs négociations n’ont jamais été faciles. En 2004, ils ont été quatre mois en grève. Quand il a fallu faire des concessions, comme en 2009, ou accepter le rapport du conciliateur en 2013, ils ont cherché à en minimiser les conséquences.
Bien conscient que le conflit a un impact économique important dans la région – les travailleurs d’ABI sont les mieux payés, plusieurs sous-traitants seront touchés – le Syndicat s’organise pour établir le meilleur rapport de forces possible.
Pour ce faire, il ne peut compter sur les pouvoirs en place. « Je n’ai pas eu d’appel du gouvernement, ni du député caquiste, ni du maire », raconte imperturbable Clément avant de s’enthousiasmer sur les appuis syndicaux qui se manifestent.
« Le Syndicat des 550 travailleurs d’ArcelorMittal à Contrecoeur nous donne 1100 $ par semaine jusqu’à la fin du conflit. Nous avons aussi eu l’appui d’Unifor et de la CSN. Cette semaine, on va recevoir la visite des représentants du Syndicat des Métallos d’Alma », énumère-t-il, avant de répéter en terminant l’entrevue : « On ne cèdera pas sur l’ancienneté ».
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