Des autocollants « Grève bientôt » sont apparus sur les autobus et les rames de métro de Montréal. Ils faisaient suite à la publication d’un communiqué du Syndicat du transport de Montréal (CSN), rapportant que ses membres ont voté à 98 % pour des moyens de pression, incluant une banque de six jours de grève à exercer au moment jugé opportun, dans le cadre du renouvellement de leur convention collective.
« Grève » et « bientôt », deux mots qui ont de quoi mettre sur le qui-vive les dizaines de milliers de personnes qui empruntent quotidiennement le transport en commun à Montréal. Pour faire le point sur la situation, nous avons rencontré Gleason Frenette, le président du syndicat qui représente les 2400 employés d’entretien.
« Les négociations ne sont pas rompues, mais la nouvelle Loi 24 nous oblige à agir de la sorte », nous confie-t-il. La loi limite à 150 jours la période de négociations – avec une prolongation possible de 30 jours – pendant laquelle peut s’exercer le droit de grève, avant l’entrée en scène d’un médiateur. Après une période de médiation d’au plus 120 jours, le dossier est soumis à un arbitre qui impose une nouvelle convention collective.
La menace est néanmoins sérieuse comme en témoigne la participation record de 1350 travailleuses et travailleurs à l’assemblée syndicale. Déjà, échaudés par la Loi 15 qui, dans le cadre du Pacte fiscal adopté par le gouvernement Couillard, a réduit de 4 millions $ par année la contribution de l’employeur à leur fonds de pension, les employés ont senti le besoin de se mobiliser pour faire face à un employeur, qui envisage des privatisations, réclame des concessions dans les conditions de travail et n’offre que 8,5 % d’augmentation salariale pour un contrat de sept ans.
Le directeur général, Luc Tremblay, est, selon le président du Syndicat, un adepte du « core business », une pratique qui prône la privatisation de tout ce qui ne concerne pas le « noyau central » des activités d’une entreprise. « Il a déjà privatisé l’entretien des vêtements et l’imprimerie chez le Syndicat des employés de bureau; il vise à privatiser, chez nous, l’entretien sanitaire des bureaux, et plusieurs autres secteurs à déterminer. »
Un autre enjeu important est la flexibilité de la plage horaire. Gleason Frenette donne l’exemple des mécaniciens qui peuvent entreprendre leur journée de travail entre 6 h 00 et 9 h 00 le matin. « Plus de 90 % arrivent à 6 h 00. Ça leur permet de finir à 2 h 00. Ils évitent le trafic et ça désengorge les routes le matin. Luc Tremblay veut supprimer ou réduire cette option, tout comme la possibilité d’allonger la journée de travail de 2 heures et prendre une journée de congé. »
Ces deux mesures, qui permettent une meilleure conciliation famille-travail, le président Frenette est allé dernièrement les défendre devant les membres du conseil d’administration de la STM.
« Je leur ai apporté un exemplaire du dernier numéro du journal des Cols blancs dans lequel la nouvelle mairesse Valérie Plante déclarait vouloir mettre l’accent sur la conciliation famille-travail. Je leur ai signalé qu’elle prenait la peine de mettre le mot famille en premier. Ce qui n’est sûrement pas anodin. Et qu’elle voulait aussi mettre l’accent sur le maintien de l’expertise interne à la Ville. »
Gleason Frenette a profité de son intervention pour rabrouer le d.-g. Luc Tremblay qui avait dénigré les travailleurs dans une entrevue accordée à Paul Arcand. « Curieusement, cet extrait de la période des questions a été coupé avant d’être rendu disponible sur YouTube. Belle transparence ! », s’indigne-t-il.
Une autre demande litigieuse de l’employeur est l’instauration de l’obligation du temps supplémentaire. « Il s’en fait déjà trop. 500 000 heures l’an passé. Ça équivaut à 236 postes permanents supplémentaires, s’il était supprimé. On ne veut pas le supprimer, mais le réduire. Mais le temps supplémentaire est plus économique, à court terme, selon les prétentions de l’employeur quand on calcule le fonds de pension, les outils, les vêtements, etc. Mais pas à long terme, si on calcule la fatigue, le danger accru d’accident, la baisse de productivité », constate-t-il.
L’administration veut aussi transférer des travailleurs sur l’horaire de nuit. « C’est déjà le cas pour les maçons, nous fait remarquer le dirigeant syndical. On veut faire de même pour d’autres métiers. Leur argument : ‘‘améliorer l’expérience client’’. Pourtant, il est possible de travailler, en dehors des heures de pointe, sans déranger les usagers. C’est ce qu’on a toujours fait ! »
Avec de telles demandes patronales sur la table, l’affrontement est-il inévitable et imminent? « Pas nécessairement, répond Gleason Frenette. Nous avons tenu 34 réunions de négos depuis le 1er mai dernier. Nous avons jusqu’à la fin décembre pour nous entendre. Mais la STM aimerait bien signer la nouvelle convention au mois de juin, parce qu’elle doit rendre des comptes à l’ARTM, la nouvelle Autorité régionale de transport métropolitain. »
Pour le moment, l’administration jette de l’huile sur le feu avec l’imposition de sanctions disciplinaires abusives. Rien pour impressionner Gleason Frenette, qui a déjà été congédié pour avoir supposément menacé un contremaître. Après 3 ½ ans passés devant les tribunaux du travail, Gleason a retrouvé son poste. « J’ai gagné. L’administration a dû repayer mon salaire, mon fonds de pension, les avantages sociaux et même du temps supplémentaire proportionnel aux autres employés. Mais ça ne les dérange pas. Ils sont prêts à payer quand ça leur sert de tactique d’intimidation. »
Gleason Frenette a été élu à la présidence du Syndicat en 2016 avec un tout nouvel exécutif. Pour montrer à quelle enseigne ils logent, il me remet un exemplaire d’un petit livre publié en 1974, relatant l’héroïque grève de cette année-là pour la réouverture des conventions collectives face à l’inflation et la résistance aux injonctions.
Le syndicat entend republier ce livre, mais le dirigeant syndical est bien conscient que le contexte est différent. Le gouvernement du Québec a répondu à la demande des maires Coderre et Labeaume en accordant aux municipalités une modification au Code du travail, permettant au gouvernement de décréter ultimement les conditions de travail des employés municipaux, en échange, dans le cadre du Pacte fiscal 2016-2019, de compressions de 1,2 milliard $ dans les transferts de Québec vers les municipalités.
« La Loi 24 change la donne, reconnaît le leader syndical. Cependant, la STM doit aussi tenir compte de l’arrêt de la Cour suprême du Canada de 2015 dans la cause Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan ». La Cour a alors statué que l’interdiction faite aux salariés du secteur public de cette province de faire la grève entravait substantiellement leur droit à un processus véritable de négociation collective, portant ainsi atteinte à leur liberté d’association reconnue par la Charte canadienne des droits et libertés.
« Nous examinons tout cela de près. Des grèves rotatives sont-elles possibles? Combien de postes de travail font vraiment partie des services essentiels? Il va falloir innover, faire preuve d’imagination. Les vielles manières de faire ne marchent plus », de conclure un Gleason Frenette, déterminé à profiter de toutes les avenues possibles pour faire reculer l’employeur et améliorer la situation des membres de son syndicat
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