En 2019, Mélanie Joly « fête » le cinquantième anniversaire de la « Loi sur les langues officielles », loi conçue par Trudeau père sur les décombres fumants de la commission Laurendeau-Dunton. J’ai déjà expliqué (cliquez ici) qu’il n’y avait rien à fêter pour le Québec – mais vraiment rien – à cette occasion.
Pourquoi? Parce que toute la Loi sur les langues officielles est construite à partir de deux principes aussi séducteurs que mensongers, soit celui de l’égalité absolue entre les langues (au mépris de la réalité sociologique du rapport de force réel entre les langues) et celui du principe de personnalité, la langue étant conçue comme le résultat d’un libre-choix effectué par un individu (et non comme l’émanation d’un phénomène collectif). La Commission Laurendeau-Dunton recommandait pourtant l’adoption du bilinguisme accompagné du « biculturalisme », l’idée étant que la culture est le vivier qui irrigue la langue et que celle-ci meurt si coupée de ses racines culturelles. Séparer le bilinguisme du biculturalisme et remplacer ce dernier par le multiculturalisme fut la grande trouvaille de Trudeau père pour neutraliser et rendre stérile sa propre Loi sur les langues officielles, avant même sa promulgation.
Cette loi nous a fait perdre un temps précieux – et c’était probablement là le véritable but de Trudeau père – en nous faisant miroiter le rêve d’un Canada bilingue où les francophones seraient chez eux ad mari usque ad mare. Qu’en est-il cinquante ans après?
On le sait grâce à un vaste sondage dont les résultats du volet « attitudes concernant le bilinguisme » vient de sortir.
Qu’y apprend-on?
En premier lieu, que tout le monde est pour la vertu. Aucune surprise ici. Ainsi, l’appui général à la Loi sur les langues officielles et à la politique de bilinguisme du gouvernement fédéral est relativement stable depuis 2001 (78% des anglophones, 84% des allophones et 93% des francophones l’appuie).
Les choses se corsent cependant dès la deuxième question du sondage: « Est-il important pour vous que vos enfants apprennent une langue seconde? » (sans préciser laquelle!) : Au Canada hors-Québec, l’importance accordée à l’apprentissage d’une langue seconde a beaucoup baissé entre 2001 et 2019, soit de 48 à 32% pour la réponse « très important ». La baisse est encore plus marquée chez les plus jeunes, avec une chute de 17 points chez les 18-34 ans comparativement à 10 points chez les 55 ans et plus.
Les choses se gâtent encore plus quand on demande quelle langue seconde les gens souhaitent que leurs enfants apprennent. Les francophones optent pour l’anglais à 88%, les anglophones pour le français à 67% et les allophones pour le français à 35% seulement. L’on comprend, même si ce n’est pas précisé dans le sondage, que la grande majorité des allophones sondés parlent déjà anglais. Un nombre non négligeable de ceux-ci opte pour le chinois et l’espagnol au lieu du français comme langue seconde pour leurs enfants.
Que doit-on conclure?
Que l’importance accordée par les anglophones au français s’est érodée de façon importante dans les 20 dernières années. Que l’appui des allophones au français à travers le Canada est faible; seule une minorité d’allophones jugeant que l’apprentissage du français par leurs enfants est « très important ». Cet appui au bilinguisme anglais-français, qui était l’incarnation politique, pensions-nous naïvement au Québec, du concept des « deux peuples fondateurs » est en train de s’étioler chez les anglophones et n’a jamais véritablement pris racine chez les nouveaux arrivants. Il est d’ailleurs important de rappeler que l’idée même des « deux peuples fondateurs » a été brutalement mise à mort lors du rapatriement de la constitution en 1982. La Cour suprême du Canada a même dit que ce concept n’avait jamais existé.
Ce n’est pas un hasard si la première question du sondage précise que « le Canada a actuellement deux langues officielles » (c’est moi qui souligne). Cette formulation implique que, oui, le Canada a deux langues officielles en ce moment, mais cela pourrait bien changer dans l’avenir… L’appui au « bilinguisme » qui ressort du sondage ne signifie ainsi plus un appui, nécessairement, au français. La possibilité de déclarer d’autres langues comme langues officielles a toujours été présente dans la pensée de Trudeau père. A l’époque du rapatriement, on le sait, celui-ci n’avait pas fermé la porte à reconnaitre l’ukrainien comme langue officielle.
La Commission Laurendeau-Dunton avertissait d’ailleurs ce qui nous attendait si ses propositions étaient perverties: « L'État bilingue n'existe pas pour propager le bilinguisme chez les individus. Car, si chacun devient complètement bilingue dans un pays bilingue, l'une des langues sera superflue comme moyen de communication, tous pouvant communiquer dans l'autre. Dans de tels cas, la langue prédominante accroît son avantage et l'autre langue s'éteint graduellement, parfois en quelques générations ». C’est ce qui est en train d’arriver au Québec; le taux énorme et grandissant de bilinguisme anglais-français est en train de rendre le français superflu au Canada et, de plus en plus, à Montréal.
Les données du même sondage, non rapportées dans les médias comme La Presse ou The Globe and Mail, indiquent que le pourcentage des répondants qui déclarent que « la langue française est menacée au Québec » a augmenté de 10 points depuis 2001 (de 60 à 70%).
Sous nos yeux, le multiculturalisme est en train de manger le bilinguisme. Dans les prochaines décennies le français va, à toutes fins pratiques, disparaitre comme force structurante au Canada. Le Québec doit en prendre acte. Il doit trouver une façon novatrice de conjuguer l’essor de l’anglais sur la scène internationale avec la volonté de préserver le français au Québec.
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