La reprise passera par la Banque de l’infrastructure du Canada

2020/04/28 | Par Pierre Dubuc

À l’abri des regards indiscrets, les fonctionnaires fédéraux et les représentants des milieux d’affaires torontois préparent fébrilement la reprise économique. Dans un environnement dévasté – où bon nombre de PME québécoises seront des proies faciles pour les multinationales – le maître mot sera : infrastructures.  Déjà, les institutions, le modèle et le dirigeant sont en place.

L’institution, c’est la Banque de l’infrastructure du Canada créée par le gouvernement Trudeau. Le modèle, c’est le REM du Québec et le dirigeant est Michael Sabia, l’ex-pdg de la Caisse de dépôt, qui vient d’être nommé à la tête de la Banque de l’infrastructure du Canada.

 

L’institution

Dans son livre The Sport & Prey of Capitalists. How the Riche Are Stealing Canada’s Public Wealth (Dundurn, 2019), la journaliste Linda McQuaig dévoile les tractations secrètes qui ont mené à la création de la Banque de l’infrastructure du Canada. Selon McQuaig, la conception de cette banque, telle qu’elle apparaissait dans la plate-forme électorale du PLC, a complètement été transformée après une rencontre à Davos, à la fin du mois de janvier 2016, entre Justin Trudeau et le financier Larry Fink, organisée par Dominic Barton.

Barton était à l’époque le directeur général de la plus importante firme de consultation au monde, McKinsey & Company, qualifiée dans certains milieux d’« éminence grise du capitalisme ». Fink était le pdg de BlackRock, le plus important gestionnaire d’actifs sur la planète, avec près de 6 960 milliards $US d’actifs à la fin du mois de septembre 2019.

D’après McQuaig, Trudeau a invité BlackRock à travailler secrètement avec des fonctionnaires du Conseil Privé à Ottawa à la redéfinition de la banque d’infrastructures. La participation de BlackRock n’a été révélée qu’un an plus tard, grâce à une demande d’accès à l’information d’un journaliste.

En mars 2016, le ministre des Finances Bill Morneau a créé le Comité consultatif en matière de croissance économique avec pour mission d’élaborer « officiellement » le projet de banque et il a choisi Dominic Barton pour le présider. Il a nommé sur ce conseil aviseur Mark Wiseman, le pdg du Canada Pension Plan Investment Board (CPPIB) et Michael Sabia de la Caisse de dépôt. Rappelons que l’entreprise du ministre des Finances, Morneau Shepell, a pignon sur rue à Bay Street et que celui-ci est marié à Nancy McCain, l’héritière d’une des plus grandes fortunes canadiennes.

Peu de temps après ces nominations, raconte McQuaig, Larry Fink a embauché la femme de Wiseman comme responsable des affaires canadiennes de BlackRock. Deux mois plus tard, Wiseman démissionnait du CPPIB pour accepter un poste de direction au sein de BlackRock à New York.

À l’automne 2016, Larry Fink a réuni au luxueux Shangri-La Hotel à Toronto des représentants des plus importants fonds de placement au monde pour leur présenter la nouvelle banque d’infrastructures, rapporte Martin Lukacs dans son livre The Trudeau formula. Seduction and betrayal in an age of discontent (Black Rose Books, 2019).

Étaient entre autres présents : la Norges Bank de Norvège, le plus important fonds souverain au monde; le Groupe Olayan de l’Arabie saoudite, détenteur d’actifs de 100 milliards de dollars; le Holding Temasek de Singapour, avec des actifs deux fois plus importants; et l’Autorité monétaire de Hong Kong, qui vaut le quadruple. L’ensemble des participants représentait des actifs d’une valeur de 21 billions de dollars. Justin Trudeau était évidemment présent, flanqué par pas moins de neuf membres de son cabinet.

Trudeau leur a présenté l’énorme potentiel de cette nouvelle banque canadienne pour faciliter leurs investissements dans les infrastructures.

Au terme de la rencontre, les commentaires étaient dithyrambiques, rapporte Martin Lukacs. « C’est sans précédent » s’est exclamé John Manley du Business Council of Canada. « Une opportunité qui ne se présente qu’une fois par génération », s’est enthousiasmé Dominic Barton. « Si le premier ministre prend cela en mains et mène le projet à terme, il va changer le futur de ce pays », a déclaré Kenneth Courtis, un ex-vice-président de Goldman Sachs.

Le ministre des Finances Bill Morneau a annoncé la création de la Banque de l’infrastructure du Canada dans son budget de 2017, soit dix-huit mois après la rencontre entre Trudeau et Fink.

Linda McQuaig rapporte que les fonds de pension comme BlackRock sont à la recherche de placements à faibles risques et procurant de bons rendements, d’où leur intérêt pour les infrastructures (routes et ponts à péage, travaux d’aqueducs et d’égouts, réseaux de distribution d’électricité ou de transport en commun).

C’est ce que confirmait Michael Sabia au Toronto Board of Trade. « Pour des investisseurs spécialisés dans le long terme, les offres d’investissements dans les infrastructures ne sont pas faciles à trouver aujourd’hui; un investissement stable avec un retour entre 7% et 9% avec peu de risques de pertes – c’est exactement ce dont nous avons besoin pour répondre aux besoins à long terme de nos clients. »

 

Profits privés garantis

La banque d’infrastructures a cette particularité que le gouvernement a une participation minoritaire, mais assume tous les risques. Advenant qu’un projet soit déficitaire, le gouvernement fédéral prendra le relais et remboursera l’investisseur privé. Une réserve de 21 milliards $ est prévue à cet effet, rapportait le député bloquiste Gabriel Ste-Marie.

Toujours selon le député Ste-Marie, la Banque de l’infrastructure du Canada constitue une « véritable révolution dans la façon dont sont financées nos infrastructures. Au Québec, le fédéral est assez absent dans ce domaine. Il ne détient que 2 % des infrastructures, comme les ports, qui sont presque tous sous-financés, et contribue à hauteur d’à peine 5 % au financement de l’ensemble de nos infrastructures. Ainsi, presque la totalité du financement de nos infrastructures publiques (95 %) est prise en charge par Québec et les municipalités ».

À l’origine, poursuit-il, « l’idée d’une banque d’infrastructures était bonne et aurait comblé un véritable besoin. Elle devait servir à garantir les emprunts effectués par les municipalités pour de tels travaux, ce qui aurait eu pour effet de faire baisser le taux d’intérêt des emprunts et, par voie de conséquence, de diminuer leur coût.  Cependant, une fois au pouvoir, le gouvernement Trudeau a préféré offrir son soutien à ses amis des banques et des fonds de placement plutôt qu’aux municipalités ».

 

Le modèle

On connaît déjà le modèle des interventions de la Banque de l’infrastructure du Canada, puisqu’il a été mis en œuvre par la Caisse de dépôt, alors présidée par le même Michael Sabia. Ce modèle, c’est le Réseau électrique métropolitain (REM), qui a été le premier investissement de la banque des infrastructures. Rappelons en quoi ce modèle consiste.

Le REM est le plus gros projet de privatisation de l’histoire du Québec, comme le rappelait Mathieu Vick du Service de recherche du SCFP. Alors qu’un système de transport en commun traditionnel est habituellement planifié, financé, opéré, entretenu et détenu par le secteur public, c’est plutôt la Caisse de dépôt (CDPQ), un acteur motivé par le profit, qui est responsable de l’ensemble du projet. Celui-ci est en effet financé à un taux d’intérêt de huit pour cent, soit le rendement minimum assuré à CDPQ Infra, alors que le gouvernement provincial pourrait obtenir un taux de trois ou quatre pour cent. Une étude de l’IRÉC a aussi démontré que la facture annuelle de 500 millions $ sera refilée aux municipalités.

Quand le gouvernement québécois voudra relancer l’économie avec des travaux d’infrastructures, comme le souhaite le premier ministre Legault, il n’aura d’autre choix, devant l’ampleur des déficits appréhendés, que de contacter Michael Sabia à la Banque des infrastructures du Canada, où des requins comme BlackRock ont déjà fait connaître leur disponibilité.

En effet, dans un article publié le 24 avril dernier dans le Globe and Mail, Stephen Schwarzman, le directeur général de BlackRock, déclarait : « Nous entrons dans cette crise en position de force, ayant récemment complété un cycle de deux ans de collectes de fonds pour un montant de près de 250 milliards $. Nous avons d’amples réserves de capitaux, des structures pour des fonds à long terme et plus de 150 milliards $ de disponibles – plus que tout autre dans notre industrie – et nous sommes dans une position unique pour investir l’argent de nos clients en cette période de dislocation historique ».