L’énergie fantastique et souriante des manifestantes « pro-choix » argentines
Partageant l’enthousiasme si bien communiqué par Pascale Camirand[i] sur le film Femme(s) de Yann Arthus-Bertrand et Anastasia Mikova, présentement en salle au Québec, j’ai apprécié sa première impression qui dénonçait non seulement ceux qui chipotent sur le féminisme comme son intellectuel, mais aussi ceux qui coupent les cheveux en quatre en stériles analyses, se privant ainsi de l’appréciation de synthèses artistiques, comme nous offre ce chef d’œuvre aussi complimenté par Josée Blanchette du Devoir. Mais il existe aussi un autre film qui présente une réalité de ce qu’on appelait autrefois le tiers-monde, avec des femmes très loin d’être à égalité quoique plurielles, pourtant filmées en 2018!
Que sea ley ! : un film aussi intitulé Femmes d’Argentine
Ce film de Juan et Victoria Solanas documente le courage de centaines de milliers de femmes mobilisées puis massées dans les rues pour suivre sur des écrans géants les débats au Sénat remettant en question le vote des députés argentins en faveur de la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Si le verdict négatif du patriarcat sénatorial est tombé à trois heures du matin le 9 août 2018 sous une pluie froide, l’énergie extraordinaire des femmes populaires n’est jamais retombée : « Aujourd’hui n’est pas une défaite, c’est un triomphe monumental » a déclaré sans se tromper le sénateur pro-choix, père du cinéaste, celui qui nous avait donné la hora de los hornos, un film qui a déterminé en grande partie l’orientation politique de gauche de ma génération.
Une marée humaine arborant les foulards verts populaires en faveur de l’IVG en Argentine
Car l’énergie des femmes s’est reportée sur l’élection d’un nouveau président, Alberto Fernandes, qui quoique péroniste a déclaré le 1er mars 2020 lors de la rentrée parlementaire : « Je présenterai dans les dix jours un projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse, qui autorisera l’avortement dans les premiers mois». Lors de la Journée internationale des femmes du 8 mars, les partisanes de l’IVG ont donc à nouveau envahi les rues, exhibant le foulard vert qui les identifie, avec comme mots d’ordre :
« Éducation sexuelle pour décider,
contraceptifs pour ne pas avorter,
avortement légal pour ne pas mourir »
et « Ni una menos » contre les féminicides en Argentine, un par jour en 2020, probablement pires au Brésil, au Chili et au Mexique.
Le film documente la réalité des femmes misérables du sud qui meurent - plus de trois mille d’entre elles en trente ans selon les chiffres officiels minimisés vu l’illégalité des avortements clandestins. La police va jusqu’à interroger les femmes se vidant de leur sang sur leur lit d’hôpital pour leur faire avouer qui les a aidées, avant de laisser les rares médecins volontaires intervenir, quand la douleur aiguë des infections et l’odeur pestilentielle d’une septicémie annonçant la mort les laissent sans voix. Mais la mort survient, celle en 2007 à 19 ans d’Ana Maria Acevedo d’un cancer, après le refus d’un hôpital de faire une chimiothérapie – et une IVG – pour préserver, en priorité sur sa propre vie, son fœtus ; et celle de Liliana Herrera, mère d’autres enfants trop pauvre pour augmenter la famille, que les médecins ont laissée agoniser toute la nuit pour la punir d’avoir avorté.
L’Argentine devient le troisième pays d’Amérique latine après Cuba et l’Uruguay à donner aux femmes le droit de décider, contre l’hypocrisie des sectes évangéliques et de l’Église catholique (même si le cinéaste filme des prêtres ouvriers dissidents). Le pays revient de loin, alors que pendant la dictature militaire de 1976 à 1983, après leur accouchement en prison, on embarquait des militantes de gauche dans des avions d’où elles étaient précipitées dans l’océan, leur bébé offert en adoption aux couples infertiles de militaires. Seules quelques grand-mères militantes avaient le courage exceptionnel alors de manifester sur la place de mai.
Notre passé à ne pas oublier
Si nous sommes au Québec éloignés de cette réalité sordide, ma mère, qui a accouché de moi en 1949 à l’Hôpital de la Miséricorde, m’a raconté avoir été témoin de la violence des religieuses québécoises aggravant les souffrances des filles-mères métis qui leur étaient confiées, en les culpabilisant de leur péché (peu importe si elles avaient été violées), pour kidnapper ensuite leurs bébés dans les institutions d’«orphelins de Duplessis». Le regretté Bruno Roy, à la fois secrétaire des Artistes pour la Paix, fondateur de la Maison des Écrivains (UNEQ) et président métis des orphelins de Duplessis au moment de sa mort, a écrit sur ces institutions des pages immortelles car vécues, transcrites en une poignante série télévisée[ii]; et sa bonté naturelle retenait surtout celle d’une religieuse qui avait nourri en secret chez ce « débile » - son statut décidé ainsi par Duplessis et les autorités religieuses de l’époque afin d’obtenir des subventions fédérales expertes en pensionnats -, son immense amour de la chanson.
Et la métis Marie-Claire Séguin, Artiste pour la Paix 1995, créa sur des paroles d’Hélène Pedneault, notre première APLP posthume, la célèbre chanson Du pain et des roses qui anima de son idéal d’équité sociale la grande marche des femmes organisée par Françoise David. Qui sait, si elle avait été accueillie par un autre sentiment que le mépris patriarcal du Premier ministre Lucien Bouchard proche des évêques et si Bernard Landry qui a suivi avec des mesures sociales avait présenté les excuses de son parti, Jean-François Lisée aurait peut-être réussi sa politique de main tendue avec Québec Solidaire…
[ii] Les Orphelins de Duplessis est une mini-série historique, réalisée par Johanne Prégent et scénarisée par Jacques Savoie, d’abord diffusée les 16 et 23 mars 1997 sur Radio-Canada et rediffusée récemment à la chaîne culturelle ARTV.
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