L'auteur est député du Bloc Québécois de la circonscription de Joliette
Des propos racistes, dégradants, odieux, inacceptables. Ce sont les dernières paroles entendues par Joyce Echaquan avant de trépasser, dans des circonstances plus que troublantes à l'hôpital de Joliette. La Commission Viens, qui a déposé son rapport il y a un an, a entendu des témoignages semblables lors de ses audiences à Joliette. Moi, qui représente la circonscription de Joliette au Parlement fédéral, je suis frappé par cette énorme injustice qu'est la disparité du niveau de vie et de traitement entre les Atikamekws et le reste de la population. C’est vrai tant à Manawan qu’à l’extérieur de la communauté, comme à Joliette.
La Loi raciste et désuète sur les « Indiens » du gouvernement fédéral stipule que les Premières Nations ont droit au même niveau de services que le reste de la population. Dans les faits, Ottawa s’est défilé de sa responsabilité historique et ça perdure encore et toujours.
Juridiquement, les Autochtones sont toujours considérés comme des personnes mineures par Ottawa. La communauté doit justifier chacune de ses décisions auprès des responsables fédéraux, qui accordent ou pas leur aval selon des critères arbitraires.
Par exemple, si un Atikamekw de Manawan veut se faire soigner dans un autre établissement hospitalier que celui de Joliette - et on peut comprendre pourquoi - il doit assumer lui-même la facture. Autre exemple, les règles de financement de la communauté ne reflètent pas la croissance démographique. Pour ne pas rouvrir l’entente, le gouvernement fédéral menace de diminuer l’enveloppe financière actuelle si jamais le conseil en exigeait un réexamen.
Une communauté isolée
La communauté de Manawan se trouve géographiquement isolée. Pour y accéder, on doit emprunter un chemin forestier sur près de 90 km à partir de Saint-Michel-des-Saints. Les fondations du chemin sont instables et des sections entières sont fréquemment fermées. Pour faire le trajet, il faut un gros camion ou un VUS et les accidents sont nombreux. Un transfert médical par ambulance ou un véhicule d’urgence est fort complexe. Le mauvais état de la route limite aussi le développement économique de la communauté, de même que l’essor de l'industrie touristique. La liste est longue des autres problèmes résultant de cette situation.
Évidemment, l’accès aux ondes cellulaires est inexistant et les pannes d'électricité sont fréquentes. Cela représente tout un défi notamment pour le centre de santé Masko-Siwin, qui parvient néanmoins à réaliser de véritables miracles.
Dans cette population de 2 400 habitants en pleine croissance démographique, le logement est un véritable casse-tête. Les familles sont fréquemment forcées de s'entasser à dix ou plus dans des maisons dont plusieurs sont insalubres. Les règles imposées par le ministère ont forcé la communauté à construire un parc d’habitations dans un milieu humide, d’où une détérioration accélérée et l’apparition, après seulement une dizaine d’années, de moisissures. La situation n’est guère plus reluisante à Joliette où, à cause des préjugés et du racisme à leur égard, les Atikamekws peinent à s’y trouver des logements décents.
Situation aussi catastrophique au chapitre de l'éducation. L’école primaire de Manawan manque cruellement d’espace. Les interventions des professionnels auprès des élèves sont reléguées dans des placards de concierge. Le service de garde et la bibliothèque sont confinés dans des locaux d’entreposage dans un sous-sol sans fenêtre. L’enseignement du français y est sous-financé. Ottawa a décidé que le français n’est pas la langue seconde des Atikamekws, même si leur langue maternelle est évidemment l’atikamekw. Hors de leur communauté, les élèves atikamekws sont constamment l'objet de discriminations.
De nombreuses personnes âgées se voient forcées de quitter leur communauté pour recevoir des soins de dialyse à l’hôpital de Joliette. Les fréquentes coupures d’électricité à Manawan empêchent leur centre de santé d’offrir ce service sur place. En plus de faire face aux préjugés et à la difficulté de se trouver un logement, ces aînés se font couper tout soutien d’Ottawa après quelques mois passés à l’extérieur de leur communauté.
Historiquement, la population de Manawan a vécu de nombreux traumatismes résultant des politiques coloniales. Ses membres n’ont pas échappé aux pensionnats autochtones et à la tragédie des enfants enlevés et disparus.
Il y a quelques décennies, le surintendant de la communauté était généralement un militaire retraité qui faisait régner un climat de terreur. Par exemple, devant le refus d’un Atikamekw d'autoriser la coupe de bois sur son territoire familial par une forestière américaine, le surintendant lui a faussement diagnostiqué la tuberculose et l’a forcé à s’exiler pendant deux ans dans un sanatorium. À son retour, son territoire avait été rasé et il avait, entre-temps, contracté la maladie.
Les témoignages bouleversants, d’hier et d’aujourd’hui, sont nombreux. Les Atikamekws, comme l’ensemble des Premières Nations, vivent dans un cadre législatif qui les empêche de s’émanciper. Les lois doivent être complètement changées.
À travers cet encadrement qui freine leur développement, les Atikamekws forment une nation dynamique et intelligente qui porte un savoir et une culture d’une valeur inestimable. Il est à souhaiter que la tragédie vécue par Joyce Echaquan, son conjoint et leurs sept enfants, ainsi que toute leur communauté, permette une prise de conscience qui va contribuer à changer les mentalités et les lois et à accorder des chances égales de développement aux Atikamekws et aux Première Nations.
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