L’auteur est député du Bloc Québécois
À la fin janvier ou au début février, la Chambre des communes sera appelée à se prononcer sur un projet de loi qui établirait un rapport d’impôt unique administré par le Québec. Les chances sont bonnes pour que principe soit adopté en deuxième lecture.
À Ottawa, les députés ont la possibilité de présenter une motion ou un projet de loi qui peut être soumis au vote des parlementaires. Un tirage au sort permet d’établir l’ordre de priorité. Seuls les projets de loi en tête de liste sont retenus, surtout dans le contexte d’un gouvernement minoritaire. J’ai eu beaucoup de chance; j’ai pigé le troisième rang. Pour refléter la priorité de mon parti, j’ai présenté à la fin octobre un projet de loi instaurant un rapport d’impôt unique. Le débat se poursuivra au retour de la session cet hiver et sera soumis au vote peu de temps après.
Sans surprise, les Libéraux ont fait part de leur opposition, avec des arguments aussi ridicules que de prétendre qu’une seule déclaration d’impôt coûterait plus cher que deux ! Bien qu’il soit peu probable qu’un éventuel gouvernement conservateur appuie une telle loi, les députés conservateurs, soucieux de faire des gains au Québec lors des prochaines élections, ont annoncé leur appui.
Les néo-démocrates sont coincés entre l’arbre et l’écorce. Bien qu’étant le parti le plus centralisateur du Parlement, ils doivent tenir compte de leur Déclaration de Sherbrooke qui reconnaît la nation québécoise. Pour s’en sortir, ils ont annoncé qu’ils appuieraient le principe, tout en laissant entendre qu’ils voteront contre lors des étapes suivantes. Ils vont mettre de l’avant l’exigence suivante : qu’aucun emploi de fonctionnaire ne soit perdu. Cela tombe bien, le projet de loi a justement été rédigé de façon à protéger ces emplois. Mais le NPD fait le pari que l’étude en comité va révéler l’impossibilité de pouvoir bien protéger ces emplois.
Or, il est tout à fait possible de maintenir ces emplois en réaffectant les fonctionnaires à d’autres tâches. La fonction publique demeure en sous-effectif et le Québec n’a pas sa juste part de fonctionnaires fédéraux. Donc, il n’en tient qu’à la volonté du gouvernement de régler cette question.
Le projet de loi a reçu l’appui unanime de tous les députés de tous les partis de l’Assemblée nationale du Québec en 2018. En 2016, le Syndicat de la Fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) lançait une campagne en faveur de ce projet et avait notamment reçu le soutien de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Tout le Québec inc. endosse l’idée : les chambres de commerce, le conseil du patronat, les entreprises indépendantes, l’ordre des comptables, etc. Les deux tiers des Québécoises et Québécois ont exprimé leur accord et François Legault en a formellement fait la demande à Justin Trudeau en 2019. La réponse du fédéral n’a pas tardé : c’est non.
Pourtant, selon une étude réalisée par l’Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales (IRAI), une déclaration unique permettrait d’économiser 425 millions $ par année en supprimant les dédoublements. En plus de simplifier la paperasse, l’organisme évalue les économies à 39 millions $ pour les particuliers, 99 millions $ pour les entreprises et 287 millions $ pour l’élimination des dédoublements.
Le gouvernement fédéral pourrait être d’accord, mais à la condition que la déclaration unique soit administrée… par Ottawa. On ne pouvait s’attendre à moins d’une machine à centraliser qui cherche constamment à accroître son pouvoir sur le dos du Québec et des provinces.
Mais, une telle avenue ne tient pas la route. D’abord, au plan constitutionnel, l’impôt relève de la juridiction du Québec et des provinces. Même si les autres provinces choisissent de laisser cette compétence à Ottawa, le fédéral devrait tout de même reconnaître la volonté exprimée par le Québec et acquiescer à cette demande.
Ottawa devrait le faire surtout par souci d’efficacité. Il y a déjà un précédent qui le démontre. Après des années de négociations, Québec a réussi à conclure une entente avec Ottawa pour la perception de la taxe de vente auprès des entreprises. C’était il y a presque 30 ans. Plutôt qu’Ottawa perçoive la TPS et le Québec la TVQ, Revenu Québec perçoit les deux taxes en même temps. Il en découle beaucoup moins de paperasse pour les entreprises et d’importantes économies. Revenu Québec est présent dans chaque région du Québec et tout fonctionne bien. C’est un succès.
Laisser la perception de l’impôt à Ottawa et des taxes à Québec serait complètement illogique. Cela ne réglerait pas du tout les dédoublements administratifs. Au contraire. L’efficacité commande que les taxes et les impôts des entreprises et les impôts de leurs employés soient traités par la même instance, en l’occurrence Revenu Québec. Sinon, on replonge dans les dédoublements.
Un autre avantage considérable découlant de l’adoption de ce projet de loi est de permettre au gouvernement du Québec de mener sa propre lutte contre l’utilisation des paradis fiscaux. Pour percevoir les impôts, Québec doit avoir accès aux renseignements fiscaux à l’étranger. Comme formulé dans le projet de loi, Ottawa serait obligé de le faire. Concrètement, le gouvernement fédéral devrait informer les pays étrangers, incluant les paradis fiscaux, de leur obligation de partager les renseignements fiscaux avec le gouvernement du Québec. À partir de ce moment-là, nous aurions en main les outils qui nous manquent pour lutter efficacement contre ce cancer.
Ottawa étant un cancre en matière de lutte à l’évasion et à l’évitement fiscal, notamment parce que ça fait bien l’affaire des banques de Bay Street, le projet de loi permettrait à Québec de faire son bout de chemin. Ce qui n’est pas négligeable.
L’an dernier, Revenu Québec a perçu plus de 100 millions de dollars en taxe de vente auprès des géants du Web. Ottawa ? Zéro ! Toujours en 2019, Québec a récupéré 200 millions $ en débusquant des stratagèmes d’évitement fiscal abusifs au plan international, en plus d’un autre 200 millions $ auprès de contribuables qui se sont dénoncés eux-mêmes plutôt que de risquer de se faire pincer. 400 millions $ au Québec, ça représenterait 2 milliards $ à l’échelle canadienne.
C’est dans ce contexte que Québec a dû harmoniser sa fiscalité internationale avec Ottawa pour avoir accès aux données fiscales à l’étranger. Avec ce projet de loi, il serait possible de faire beaucoup plus.
Un rapport d’impôt unique géré par le gouvernement québécois fait consensus au Québec. Il permettrait de simplifier la vie des citoyens, de sauver 425 M$ par année et de lutter plus efficacement contre l’utilisation des paradis fiscaux. Et, comme rédigé, le projet de loi protège les employés de l’Agence en permettant leur réaffectation. Est-ce que le Parlement qui représente la nation canadienne-anglaise est capable de répondre favorablement au désir légitime de la nation québécoise ? C’est à suivre…
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