Le médias, les fondations et les déductions fiscales

2022/10/26 | Par Pierre Dubuc

Un des donateurs à notre campagne de sociofinancement nous demandait si nous pouvions émettre des reçus pour déductions fiscales. Nous avons bien créé en 2001 une fondation Les AmiEs de l’aut’journal, incorporée comme organisme sans but lucratif, et nous avons fait des représentations pour faire reconnaître la possibilité d’émettre des reçus pour déductions fiscales. Sans succès. Les médias étaient exclus d’office. Nous avons même déposé un mémoire avec cette demande, lors de la commission parlementaire sur les médias mise sur pied par le gouvernement Landry en 2001. Encore là, sans succès. À noter, un incident loufoque, néanmoins révélateur, qui y est survenu. (voir plus loin)
 

La Presse jubile

Le journal La Presse a eu plus de succès. Lorsque la famille Desmarais a décidé au printemps 2018 de s’en départir, La Presse s’est détachée de Power Corporation pour se transformer en structure sans but lucratif avec pour objectif de demander le statut fédéral d’organisme de bienfaisance permettant l’émission de « reçus officiels de dons » aux fins fiscales. Et, devinez quoi ! Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a répondu présent ! Une loi a été votée au mois de juin 2019 permettant d’octroyer le statut d’organisme de bienfaisance à des médias.

Depuis le 1er janvier 2020, La Presse envoie automatiquement des reçus fiscaux pour les dons d’un montant supérieur à 20 $ annuellement. Le reçu fiscal est valide pour les deux paliers du gouvernement, tant au provincial qu’au fédéral. Un don annuel de 100 $ ne coûte que 65 $ une fois la déduction fiscale appliquée. Ce qui signifie une subvention de 35 $ des deux paliers de gouvernement à La Presse. Une contribution mensuelle de 25 $ ne coûte que 15$ au donateur. Ce qui signifie une contribution annuelle de 120 $ des gouvernements à La Presse. Depuis le lancement du programme, près de 65 000 lecteurs de La Presse ont versé près de 14 M$ en dons. Nous vous laissons calculer ce que représente la subvention des gouvernements à La Presse.
 

Le Devoir tape du pied

La loi autorisant l’émission par les médias de « reçus officiels de dons » a la caractéristique d’avoir été taillée sur mesure pour La Presse. Le Devoir, qui a pourtant une fondation, Les Amis du Devoir, organisme sans but lucratif, n’y a toujours pas droit ! L’étude de sa demande pour obtenir le statut d’organisation journalistique enregistrée (OJE), qui lui permettrait de remettre des reçus fiscaux, est toujours devant l’Agence de revenu du Canada (ARC).

L’an dernier, son directeur Brian Myles expliquait comment l’incertitude entourant le statut fiscal du Devoir avait hypothéqué sa campagne de financement : « De nombreux donateurs ont préféré retarder ou diminuer leurs dons jusqu’à ce que l’ARC statue sur notre demande. En plus de pénaliser nos donateurs individuels, la situation actuelle fait en sorte que les grandes fondations ne peuvent pas nous soutenir puisque leurs règles de gouvernance exigent que nous possédions un statut d’OJE. Selon nos estimations, nous sommes ainsi privés de dons potentiels d’un million de dollars par année. »

Un an plus tard, la situation n’est toujours pas réglée ! L’ARC étudie toujours le dossier du Devoir. En fait, seulement cinq médias au Canada se sont qualifiés pour le statut d’OJE.

Inutile de dire que l’aut’journal n’a aucune chance d’obtenir ce statut. D’ailleurs, un des membres du comité aviseur mis sur pied pour élaborer les critères de la loi nous a confié que les fonctionnaires fédéraux veillaient au grain ! Ils s’assuraient qu’aucun journal comme le nôtre ne puisse se qualifier.
 

L’aut’journal devant la commission parlementaire

Au mois de mars 2001, nous comparaissions avec le magazine Recto-Verso (aujourd’hui disparu) devant la commission parlementaire chargée d’examiner la concentration de la presse mise sur pied par le gouvernement de Bernard Landry. Notre mémoire dénonçait l’effet de cette concentration sur les médias indépendants et réclamait des mesures de soutien de l’État à la presse indépendante.

En pleine commission parlementaire, le député d’Outremont, Pierre Étienne Laporte se déclara publiquement opposé à toute subvention directe ou indirecte à l’aut’journal. « Je m’oppose, de déclarer le député Laporte, parce que, en 1995, vous m’avez attribué le prix de la traîtrise, à l’aut’journal, pour une déclaration que j’ai faite alors que j’étais président du Conseil de la langue française ». Et le député de rapporter devant ses collègues que « le prix de la traîtrise était le prix Cugnet » et de devoir expliquer, en se couvrant de ridicule, devant un auditoire abasourdi, que le Prix Cugnet avait été instauré par l’aut’journal en déshonneur de Jean-Baptiste Cugnet qui avait guidé les troupes de Wolfe sur les plaines d’Abraham en 1759 !!!

Soulignons que Recto-Verso et l’aut’journal demandaient, entre autres, dans leur mémoire que le gouvernement autorise que des fondations, mises sur pied pour recueillir des fonds pour la presse indépendante, puissent émettre des reçus pour fins fiscales comme cela se pratique dans le cas des fondations de charité ou des partis politiques.

Nous avons eu moins de succès que La Presse.
 

L’aut’journal vous interpelle !

Alors, vous avez compris pourquoi nous ne pouvons émettre de reçus pour fins d’impôt pour vos dons. Par contre, vous avez la satisfaction de soutenir un journal qu’aucun fil ne rattache aux gouvernements ni aux grandes entreprises, l’aut’journal n’ouvrant pas ses pages à la publicité des grandes corporations.

En passant, le Parti conservateur a promis, s’il prenait le pouvoir, de revoir, voire d’abolir, la loi sur les OJE. Bien entendu, cela n’a aucun effet sur la ligne éditoriale de La Presse.

Alors, soutenez une presse libre et indépendante, participez à notre campagne de sociofinancement en cliquant ici.