Lawrence Hill, la conscience des injustices

2023/01/20 | Par Olivier Dumas

Le printemps prochain, Aminata, le roman maintes fois primé (traduction française à la Pleine Lune en 2011) de l’auteur canadien Lawrence Hill, paraîtra en France dans la collection Folio de Gallimard. Le Mois de l’histoire des Noirs m’a donné envie d’aborder quelques fragments d’une œuvre forte et diversifiée. 

Paru originalement en anglais à l’hiver 2007, Aminata raconte l’histoire d’une fillette (Aminata Diallo) enlevée dans son village d’Afrique de l’Ouest à l’âge de onze ans. Il a connu un succès foudroyant, a remporté le prix du Commonwealth Writers' Prize, le Canada Reads de la CBC, le Combat des livres de Radio-Canada et le prix littéraire Fetkann (Mémoire de l’humanité) en 2013. L’ouvrage, dur et foisonnant, nous entraîne d’un village africain à Londres, en passant par une plantation au large de la Caroline du Sud, un séjour douloureux en Nouvelle-Écosse après la guerre d’Indépendance américaine pour retrouver enfin le continent africain.   

Avant la naissance de leur fils aîné, Daniel (qui connaîtra une gloire internationale dans les années 1970 avec la chanson Somewhere when we touch), les parents de Lawrence Hill quittent la ville de Washington pour Toronto. Le père, Daniel, est noir, la mère, Donna Mae, blanche. Mais aucun propriétaire ne voulait louer un appartement à un couple interracial; heureusement, une astuce est trouvée pour remédier à la situation. 

Lawrence Hill voit le jour en 1957 à Newmarket en Ontario, en banlieue de Toronto. Son enfance est ponctuée de conversations autour du travail des parents pour les droits de la personne au Canada, qui ont cofondé l’Ontario Black History Society. En 1980, Donna Mae a édité l’ouvrage A Black Man's Toronto, 1914-1980: The Reminiscences of Harry Gairey, tandis que le père a publié un an plus tard, The Freedom Seekers: Blacks in Early Canada

Ancien journaliste au Winnipeg Free Press et au Globe and Mail, Lawrence Hill démontre une sensibilité similaire pour les noirs ou les réfugiés. Il dissèque les effets pervers du racisme et de la discrimination. En 1992, sort son premier roman (Some Great Thing), traduit une première fois en français en 1995 aux Éditions du blé au Manitoba (sous le titre De grandes choses), et une seconde fois à la Pleine Lune en 2012 (Un grand destin). Dans cette fiction en partie autobiographique, nous rencontrons aux débuts des années 1980, dans un quotidien de Winnipeg, Mahatma Grafton. Ce dernier est le seul noir de la salle des nouvelles, alors que la province traverse alors une crise sur les droits constitutionnels des Canadiens français.    

Les éditions de la Pleine Lune ont traduit trois autres ouvrages de Hill. Le roman Le Sans-papiers (2016) scrute le sort des migrants avec, comme protagoniste, un jeune coureur clandestin qui lutte pour sa vie dans une société en crise. Dans Un geste dicté par l’amour, vue et mort de Donna Mae Hill (2019), l’auteur livre un récit poignant sur les derniers jours de sa mère et une réflexion sur la question de l’aide médicale à mourir.    

De Lawrence Hill, je recommande particulièrement son essai décapant Le sang, essence de la vie (2014), un plaidoyer pour une véritable solidarité entre les humains. « Toute ma vie, l’idée du sang m’a hanté, et je ne suis pas le seul dans ce cas. À la fois substance et symbole, le sang nous révèle, nous divise et nous unit. Il nous préoccupe, car il circule au sens propre et au sens figuré dans tous les domaines marquants de nos vies. » 
 

20 bougies bien méritées pour Sémaphore  

En février, les éditions Sémaphore soulignent leur 20e anniversaire. Pour l’occasion, un vin de l’amitié sera offert le jeudi 9 février dès 17 h 00 à la brasserie urbaine Le Rebel (1470 rue Sainte-Catherine Est). La maison d’édition lancera le recueil de notes Nous sommes des énigmes, du poète Philippe Haeck, « un hymne à la joie, à la sérénité et à la lucidité pour contrer la déprime et le désespoir». Par ailleurs, l’occasion permettra la réédition de son roman fondateur, écrit par son éditrice, également autrice, Lise Demers : Le poids des choses ordinaires.  

Dans cette œuvre engagée, toujours pertinente deux décennies plus tard, l’écrivaine démontre comment les dérives potentielles des différents pouvoirs (amoureux, médiatique ou intellectuel) « peuvent mener, au-delà de la corruption et de la trahison, à l’horreur indicible », et nous entraîner « dans une société confortablement amorphe ».  

J’ai eu la chance d’assister aux premiers échos de cette maison d’édition qui propose une littérature signifiante, avec ses œuvres de fiction et ses essais. Parmi leurs premières réalisations, souvenons-nous d’On les disait terroristes, sous l’occupation du Liban-Sud, par la photographe Josée Lambert qui expose en images et en mots l’occupation israélienne et le centre de détention de Khiam tristement célèbre pour les traitements infligés aux prisonnières et prisonniers entre 1985 et 2000. 

Pour l’aut’journal, j’ai traité de Monsieur le Président, de Danielle Pouliot, exploration d’un milieu de travail déshumanisant, La Valse, de Karine Geoffrion et Nativa (1884-1955) La Maîtresse de Camillien, de Michèle Laliberté, où de nombreux documents iconographiques et le récit redonnent une dignité à deux femmes de l’ombre, deux sœurs avant-gardistes qui ont connu leurs lots d’épreuves et de souffrances.  

Parmi les 79 titres du catalogue, soulignons d’autres parutions intéressantes dont Je voudrais me déposer la tête, de Jonathan Harnois (le metteur en scène et actuel directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant, avait orchestré une transposition scénique sensible au printemps 2007), Ludo, de Patrick Straehl, et Vent noir, de Nathalie Babin-Gagnon.  

Les éditions Sémaphore détiennent le fonds Gilles Hénault (1920-1996), l’une des figures marquantes de la poésie québécoise, nommé à titre posthume Grand artisan de la Révolution tranquille en 2012. L’intellectuel fut également syndicaliste, journaliste, directeur du Musée d’art contemporain de Montréal entre 1966 et 1971 et critique d’art. Plusieurs de ses textes ont été publiés, notamment dans Regards sur l’art d’avant-garde, Interventions critiques, et Graffiti et proses diverses.  

Pour souligner son 100e anniversaire de naissance, a été créée sur leur site La Galerie Gilles Hénault : 100 ans, 100 regards avec des documents d’archives visuelles et sonores de grande valeur. Nous y entendons de nombreux artistes et personnalités dont Madeleine Parent, Marcelle Ferron, Dyne Mousso, Rodney Saint-Éloi, Maka Kotto, Patrick Straram le Bison Ravi, France Théoret, Nicole Brossard et Robert Lalonde. Lien : https://www.editionssemaphore.qc.ca/gilles-henault-100-ans-100-regards-galerie/ 

Avec ses écrits à caractères sociaux, politiques et philosophiques, Sémaphore occupe une place nécessaire dans l’univers québécois. Souhaitons à l’équipe composée, entre autres, de l’éditrice Lise Demers et de la directrice littéraire Tania Viens de nombreux autres accomplissements aussi porteurs de sens.