Cheminer entre création et cycles de la vie

2024/02/14 | Par Olivier Dumas

Dans l’exposition Cheminer entre le théâtre et les arts visuels, la comédienne et plasticienne Sylvie Gosselin dévoile un parcours émouvant et poétique, où elle conjugue ses deux passions avec une sensibilité tangible.

En quinze ans de fréquentation des théâtres montréalais, Sylvie Gosselin apparait dans deux des plus mémorables souvenirs.

En mars 2019, au Studio Bizz, situé sur le Plateau Mont-Royal à Montréal, l’artiste se prépare à donner la première représentation d’Histoires d’ailes et d’échelles, toute nouvelle proposition artistique lors du Festival international de Casteliers. La pièce aborde les réalisations du peintre allemand Paul Klee (1879-1940), qui a  inspiré les mouvements expressionnistes et surréalistes de la première moitié du 20e siècle.

Or, une panne d’électricité bouleverse les plans. La créatrice nous annonce qu’elle jouera cette production destinée aux enfants « de quatre à 104 ans » dans une version dépouillée sans les éclairages, les projections et les plages musicales. La joie communicative et le talent d’improvisatrice de l’interprète avaient grandement impressionné l’auditoire.

Sur le défunt site de montheatre.qc.ca, j’avais souligné que cette contrainte lui avait permis « de donner le meilleur d’elle-même dans une exécution scénique empreinte de magie, d’émerveillement avec son irrésistible rire de gamine et de moments cocasses ».

À l’Université du Québec à Montréal à l’automne 2016, Sylvie Gosselin donnait une prestation prenante dans La Couturière, solo créé en 2004 sous la plume et la gouverne de Jasmine Dubé. La production de la compagnie Théâtre des Bouches Décousues a été présentée plus de 300 fois au Québec et à l’étranger. Elle réussissait avec délicatesse à traiter des rapports intergénérationnels, de l’héritage du passé et du temps qui passe.
 

Redonner au suivant

Dans Contes Arbour (aussi de Bouches Décousues), le premier spectacle solo qu’elle a joué, mis en scène et coécrit, Sylvie Gosselin avait puisé dans l’héritage de Madeleine Arbour, peintre et dessinatrice québécoise signataire du Refus global. Cette œuvre dévoilait l’importance « du cycle de la vie, de redonner au suivant ». La future actrice regardait cette pionnière à la télévision dans La Boîte à surprise et dans Femme d’aujourd’hui. « Elle s’adressait aux enfants et encourageait leur créativité. »

À la Maison internationale de la marionnette, en avril prochain, la création Renard doux aborde la relation entre une enfant et sa Mamou, inspirée de la relation de la créatrice avec sa petite-fille. Un voyage au Japon lui a donné le désir d’approfondir sa passion pour le collage et l’origami (art du pliage du papier). Une fois de plus, la conteuse nous subjuguera et nous attendrira avec sa voix réconfortante, ses livres-paravents, dessins, peintures et objets récupérés.

Alors que certains artistes ne jurent que par la technologie sophistiquée, la femme de théâtre privilégie du «low-tech organique. J’aime construire à partir de vieilles affaires, inventer des univers avec du papier et des boites de carton». Par ailleurs, la plasticienne a bénéficié récemment d’une formation offerte par une compagnie new-yorkaise qui se spécialise dans le théâtre de papier.

Dans Cheminer entre le théâtre et les arts visuels, Gosselin expose les étapes marquantes de la conception des quatre spectacles, notamment avec des journaux de création (mots et illustrations), des objets « à l’aide de fils à coudre (La Couturière), des souliers (Contes Arbour), des images inspirées de Paul Klee (Histoires d’ailes et d’échelles), ou encore de petites maisons (Renard doux) ». Dans différents tiroirs se trouvent « des trésors », comme des bottines ou des mains de poupées. Durant le parcours, nous rencontrons d’attachantes marionnettes dont « Sa Majesté Madeleine 1re » et Polo, « un homme avec une seule aile qui lui permet de voler et une tête qui s’illumine ».
 

Parcours pluriel

Avant d’amorcer ses études en théâtre, l’artiste se passionnait pour la peinture. Des années plus tard, un article de la chanteuse Diane Dufresne sur son expérience auprès du Frère Jérôme (« acolyte de Paul-Émile Borduas ») l’a incité à suivre des ateliers avec lui, « à jeter des couleurs sur la toile, à plonger au cœur de la création sans avoir de contrainte comme une œuvre scénique ».

Diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal (1977) et bachelière en arts visuels de l’UQÀM (2000), Sylvie Gosselin s’est illustrée dans le téléroman Le Temps d’une paix sous les traits d’Alexandrine Belleau, dans de nombreuses productions théâtrales (Romance et karaoké du Théâtre Le Clou), des œuvre québécoises de Gratien Gélinas, Marcel Dubé, Jean-Claude Germain et Louis-Dominique Lavigne (l’une des premières productions québécoises destinées au public adolescent, Où est-ce qu’elle est ma gang?). Comme artiste visuelle, elle a participé à diverses expositions.

La polyvalente artiste avait abordé précédemment le répertoire jeunesse dans la série télévisée Passe-Partout et sur les planches avec Arture du Théâtre Petit à Petit (maintenant le PÀP). Elle a rencontré Jasmine Dubé lors quand elles ont joué dans la pièce Les Paradis n’existent plus Jeanne d’Arc… écrite par Alice Ronfard dans les années 1980. Dubé la dirige dans son texte Le Bain où l’actrice y incarne de 1997 à 2010 la pompière Madame Pin-Pon, mère d’un petit cochon (marionnette).  

Leur collaboration pour La Couturière lui fait découvrir en profondeur la médiation culturelle qu’elle a exercée pendant une vingtaine d’années. De nombreux ateliers dans des écoles montréalaises ont permis à des milliers d’enfants d’avoir un accès direct à la culture, souvent avec enthousiasme. « Le commentaire le plus souvent au cours du temps entendu a été celui des jeunes qui ont dit avoir eu le désir de bricoler. »

En collaboration avec le Théâtre des Bouches Décousues et le Programme de soutien à l’école montréalaise, Sylvie Gosselin a conçu et animé des ateliers avec des enfants de milieux défavorisés en 2009 (sous le nom d’effet « Boules de neige »). Elle a orchestré aussi comme conteuse des ateliers avec des jeunes dans le quartier Parc-Extension.

Lors de l’activité « Qu’est-ce qui se cache? », la comédienne-bricoleuse a invité des élèves « à faire chacune et chacun leur propre petite œuvre » pour les regrouper ensuite dans un livre-accordéon. À d’autres occasions, des courtepointes collectives ont été réalisées. « J’ai entendu des histoires extraordinaires au fil des années. »

Dans la présentation de l’exposition, Sylvie Gosselin dit: « Moi, ce que j’aime le plus : créer des images et des histoires et te les raconter. » Lors de l’entretien, elle soutient le devoir de garder une note d’espoir. « En théâtre jeunesse, il demeure nécessaire de toujours laisser une lumière. »
 

Casteliers, cuvée 2024

L’an dernier, j’avais rencontré la directrice artistique, Louise Lapointe, en ces pages. Pour la 19e édition qui a lieu du 6 au 10 mars, l’événement international dédié à l’art de la marionnette accueille onze spectacles pour adultes et enfants du Québec, du Canada, des États-Unis, de la France, de la Belgique, de la Finlande et de la Corée du Sud. Des courts-métrages, des expositions (dont une sur la pionnière Micheline Legendre) et des activités de sensibilisation gratuites complètent la programmation d’un des plus captivants festivals de la métropole.
 

Pour plus d’informations : https://festival.casteliers.ca/

L’exposition Cheminer entre le théâtre et les arts visuels est présentée du 7 au 31 mars 2024 à la Galerie Outremont. Pour plus de détails : https://montreal.ca/evenements/cheminer-entre-le-theatre-et-les-arts-visuels-sylvie-gosselin-62496