Le Canada et le Traité d’interdiction des armes nucléaires, un sujet brûlant d’actualité

2023/04/05 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est secrétaire général des Artistes pour la Paix

Depuis la fondation des Artistes pour la Paix, il y a exactement quarante ans, nous savons que les armes nucléaires ne sont pas du rayon des ministres de la Défense, mais du vôtre, comme de la quinzaine de ministres des Affaires étrangères qui vous ont précédée : ils ont entretenu avec nous un dialogue constant mais houleux, vu notre appui jugé opiniâtre à tous les principes inaliénables de désarmement avancés par l’ONU.

 

20 avril 2018 édifice Pearson à Ottawa, journée de dialogue (illustration ministérielle)

Cette réunion d’avril 2018 a été le dernier dialogue démocratique auquel les pacifistes ont été conviés par votre ministère, alors dirigé par madame Chrystia Freeland. Pourtant ouvert sur la promesse alléchante d’une politique internationale féministe chère à notre vice-présidente Izabella Marengo, son échec provint, selon mon interprétation, du fait qu’il suivait de sept mois la  cérémonie de septembre 2017 face au Parlement d’Ottawa : co-animateur francophone avec feu Murray Thomson, nous avions fait signer symboliquement par Elizabeth May, leader du Parti Vert et par Thomas Mulcair, encore chef du NPD et à sa suite ses députés présents, une copie du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN). Sur la photo, elle est pointée du doigt par l’ambassadrice du Costa Rica, madame Elayne Whyte Gómez, responsable de son adoption à l’ONU en juillet 2017, ce pourquoi nous l’avions invitée au Canada deux mois plus tard : pourquoi fut-elle boudée par les officiels du ministère des Affaires étrangères d’alors?

L’ambassadrice Whyte Gómez entourée par Jasmin, Grisdale et Staples en septembre 2017

Nous venons tout juste de relancer ce sujet cinq ans et demi plus tard avec les messages imprimés sur les nouveaux chandails des Artistes pour la Paix, ci-dessous portés avec le sourire par nos deux coprésidentes, Louise Marie Beauchamp et Sylva Balassanian.

Le Dialogue sur la non-prolifération, le contrôle des armements et le désarmement avait occasionné divers autres désaccords, d’abord le fait que le gouvernement libéral du Canada avait interrompu tout financement au Bureau des Affaires de Désarmement de l’ONU. Or, il est vivement appuyé par les APLP, comme le montre notre dernier article à ce sujet, récemment signé par un membre de notre C.A., Christian Morin.

En août 2019, les Presses de l’Université d’Ottawa publiaient Enjeux et défis du développement international, un recueil de 633 pages sept fois réédité au profit des étudiants, comprenant mon chapitre sur le militarisme, tant américain, que russe et chinois, traduit par mon collègue de Pugwash, le professeur de l’Université Laval Michel Duguay.

Même sous la situation terriblement envenimée par l’invasion russe inacceptable de l’Ukraine, il y a un an, nous nous opposâmes à tout envoi d’armes canadiennes à l’Ukraine, persuadés par notre expérience pacifiste et par notre sympathie avec António Guterres, le Secrétaire général des Nations Unies, ainsi qu’avec le pape François et le président Lula du Brésil, que seules des négociations diplomatiques savent résoudre toute guerre. C’est aussi le sens de la plaidoirie du Centre de Recherche du Nouvel Humanisme (France) aujourd’hui le 3 avril 2023 dont nous appuyons l’appel à la non-violence.

Tout au long de la dernière année de guerre, nos réflexions vous ont été transmises chaque mois par de multiples envois en copies conformes. Car nous n’avons jamais oublié les souffrances abominables de la population ukrainienne, en particulier celle du Donbass russophone : le fait que le président Zelensky n’hésite pas à le bombarder avec des obus à uranium appauvri de Grande-Bretagne et des bombes à fragmentation dont il est prouvé qu’elles s’attaquent aux enfants et aux paysans habitant les zones affectées, même après les conflits, ne prouve-t-il pas qu’il est déjà secrètement résigné à accorder au Donbass une autonomie qui le forcerait ainsi à assumer les considérables coûts de reconstruction, avec la Russie? Exigeons dès maintenant un cessez-le-feu pour le bien des Ukrainiens.

T.I.A.N.

Voici maintenant l’objet de notre lettre, animé par la question posée à propos de notre jeunesse par nos co-présidents d’honneur Antonine Maillet et en particulier Richard Séguin : « Qu’est-ce qu’on leur laisse? ». Après des tournées « on the road again » infiniment moins ardues que vos propres pérégrinations mensuelles si exigeantes sur tous les continents, nous osons vous poser une seule demande que nous croyons très raisonnable, puisqu’endossée aujourd’hui par 92 des états-membres de l’ONU, selon ICANW.org. Pourquoi ne pas faire en sorte que notre pays adopte comme eux ce Traité, dont l’objectif est de débarrasser la planète de sa pire arme de destruction massive, entre autres aux mains qui vous préoccupent de la Corée du Nord, de la Russie et de la Chine?

Une telle initiative, en dépit des difficultés non insurmontables qu’elle vous causerait face à l’Organisation du Traité d’Atlantique Nord (OTAN), vous assurerait une place illustre dans l’histoire non seulement de notre pays, mais du monde : en rappel, le prix Nobel 2017 reçu conjointement par Beatrice Fihn et l’hibakusha canadienne, Setsuko Thurlow, que j’ai eu l’honneur de proposer comme membre honoraire au sein de Pugwash Canada.

Madame Izumi Nakamitsu, qui dirige le Bureau des Affaires de désarmement de l’ONU, serait la première à vous féliciter d’une telle initiative de paix que sans nul doute aurait aussi approuvée Pierre Elliott Trudeau, avec qui je me suis quelques fois entretenu privément, vu sa proximité avec ma compagne chinoise.

En toute naïveté pacifiste,
Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la Paix