Rémy Girard - tu te souviendras de moi

2023/12/08 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est membre des Artistes pour la Paix

 

Rémy Girard, Iris Hommage au Gala Québec Cinéma, le 10 décembre sur Noovo

Comment est-ce possible que ce si grand comédien n’ait jamais reçu de récompense pour la multitude de rôles marquants assumés depuis qu’il a quitté sa région natale de Jonquièrei ?

Ne parlons pas du film Testament de Denys Arcand éreinté dans ma critique du 6 novembre, à dessein mal diffusée, car mon modeste rôle ne consiste surtout pas à décourager le public de fréquenter notre cinémaii !

Le vrai testament de Rémy Girard (ce n’est pas dit qu’il n’y aura pas d’autre film où il brillera encore), l’adaptation cinématographique de la pièce de François Archambault, Tu te souviendras de moi, possède la qualité exceptionnelle d’établir un dialogue intergénérationnel crédible car humain. Dans ce film d’Éric Tessier daté de la prépandémie, Girard joue un professeur d’histoire vieillissant, capable de communiquer à une toute jeune fille la ferveur vécue des années 70 au Québec avec son héros René Lévesque, mais, victime d’un terrible Alzheimer, oublie où et qui il est dans la seconde d’après, se retrouvant dans « le mautadit instant présent ». Cette vulnérabilité n’est-elle pas le plus beau moyen artistique de faire passer un message patriotique?

Le personnage joué par Karelle Tremblay va peu à peu, par son intérêt pour l’histoire personnelle du vieillard jugé d’abord insignifiante pour elle non-intellectuelle, révéler la volonté familiale (excellente Julie Le Breton) de glisser sous le tapis ses propres plaies vives. En faisaient tout autant les héros japonais envers leurs proches décédés dans le chef d’œuvre Drive my car, ou la géniale (quoiqu’hystérique) série télévisée du siècle de Xavier Dolan, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.

La pièce d’Archambault révèle donc les plaies vives de notre mémoire collective rejetée par une société qui s’enrichit à la nier dans son confort et indifférence : bouleversante prestation du légendaire Rémy Girard, même en revoyant les 106 minutes du film pour la quatrième fois!

Souligner son travail ne devrait pas éclipser la performance de la comédienne Karelle Tremblayiii qu’on retrouve avec bonheur dans Stat, la télésérie de Marie-Andrée Labbé pilotée par Fabienne Larouche hommagée APLP 2014iv, où Girard joue le père d’un personnage principal, l’infirmier joueur joué par Stéphane Rousseau (Aetios Productions).

N’oublions surtout pas les satires de François Avard, appuyées au forceps par encore Fabienne Larouche, sur le riche thème des exploiteurs, qui font mouche contre les arnaques gouvernementales, et dans la série télévisée (2004) et dans le film plus récent (Votez Bougon 2016). Qui en tient les fils de crédibilité ? Le même fabuleux acteur Rémy Girard!

En conclusion, le mot de la fin de Josée Blanchette, dans Le Devoir du 20 octobre :
...inspirée par Xavier Dolan (...) qui, début juillet, rectifiait sur son compte Instagram — en anglais lui aussi — pourquoi il arrêtait de tourner des films : «C’est un privilège de faire des films dans cette industrie et ne pas réaliser que le monde brûle alors que nous faisons des films sur le monde qui brûle ?! […] Je serai toujours libre sur la façon dont je crée et libre de créer quand je le choisis ou pas.» Le mot « liberté » revenait sept ou huit fois dans son message. Il soulignait celle de ne plus dépendre du regard des autres.

Que cette lucidité à la Pierre Falardeau sache inspirer tous nos créateurs!

https://lautjournal.info/20211027/le-mythe-avere-du-lac-saint-jean-creatif
ii Qu’est-il arrivé à l’extraordinaire Denys Arcand dénonçant les vices capitalistes de notre société à travers

  • sa découverte de l’exploitation ouvrière On est au coton (1970),
  • sa dénonciation des liens entre pègre et partis politiques Réjeanne Padovani (1973),
  • sa série télévisée Duplessis (1978) avec l’immense acteur Jean Lapointe sur les dérives d’une autorité cléricalo-fasciste d’union nationale,
  • Le confort et l’indifférence (1981) au titre résumant l’échec référendaire,
  • Le déclin de l’empire américain (1982), une ironie sur féminisme et liberté homosexuelle mettant en danger le patriotisme militaro-religieux des États-Unis, dénoncé aussi dans Jésus de Montréal (1989),
  • Les invasions barbares (2003) avec la seringue de Marie-Josée Croze, car malgré la belle énergie de Rémy Girard, Arcand y sombrait déjà dans le nihilisme dénoncé par Nancy Huston.

Bref, on assiste dans les vingt dernières années, à part le beau sursaut esthétique (Le règne de la beauté 2014), au délabrement d’une succession de navets animés par des personnages motivés (ô surprise hollywoodienne!), sous leur individualité anecdotique, par la recherche personnelle d’argent.

Rémy Girard récidive hélas dans son film intitulé sans surprise Testament. Il s’agit d’une septième collaboration du duo. Comme dans ses navets précédents, la chute de l’empire américain refusé à bon droit par Cannes et L’âge des ténèbres où il réussissait à enterrer la si vivante personnalité de Marc Labrèche, Arcand poursuit en vain le succès des ratings en confiant à de jeunes célébrités télévisuelles du moment des personnages animés des lourds préjugés que lui-même entretient envers leurs générations ou genres respectifs. Il gaspille d’autre part le talent des formidables acteurs Sophie Lorain et Rémy Girard, les figeant hélas dans un scénario imperméable à toute émotion, bétonné par quatre co-scripteurs, aussi doués soient-ils. Pourquoi ne voit-on plus son frère si doué, Gabriel Arcand? Y a-t-il autre raison que le pouvoir de l’argent dans notre société? Parler de naufrage n’est pas exagéré : dans les années 80, Denys Arcand participait à des appels des Artistes pour la Paix dénonçant avec Lorraine Pintal l’argent englouti dans les dépenses militaires. Le voilà cynique et désabusé, donc idiot utile au service de nos pouvoirs occultant la résistance de notre jeunesse idéaliste, qui manifeste dans la rue et à la COP28 les enjeux climatiques aggravés par les sables bitumineux subventionnés par Steven Guilbeault et la guerre d’Ukraine engraissée par les industries militaires aux dépens des malheureux Ukrainiens qu’on envoie mourir au front. Et on répète la tragédie en Palestine en pire, envoyant nos armes à Israël et en refusant tout appel au cesser-le-carnage dans la Bande de Gaza. Le cynisme d’Arcand se contente de la facile réplique du film visant Trudeau, confiée à Caroline Néron : « on ne gouverne pas avec les réalités mais avec les apparences. » L’OBS français reproche avec raison à Arcand de s’être « caricaturé, épaississant le trait de ses satires. Son regard sur notre société s’est fait amer. Voire aigre. Son désabusement est sans finesse » pour un film RATÉ. (p.88 - No 3086 – 23-11-2023). Un vieux privilégié qui jette son fiel sur toute la jeunesse...
iii On avait aussi admiré cette comédienne en 2018 dans la disparition des lucioles de Sébastien Pilote, où l’adolescente brillait, pourtant écartelée entre un beau-père animateur d’une radio-poubelle au service des autorités et un père leader syndicaliste perdant, interprétés par François Papineau et Luc Picard- APLP de l’année 2006.  
iv 
http://www.artistespourlapaix.org/?p=2961