L’auteur est un ex-député conservateur d’Alberta, ex-sénateur et ex-ambassadeur du Canada pour le désarmement.
La version anglaise de cet article a été publiée dans le Hill Times du 21 avril 2023. Traduction : Pierre Jasmin
Résistance menée par M. Trudeau
Donnons crédit au premier ministre Justin Trudeau, un politicien, de dire la vérité. Un document du Pentagone, portant le sceau des Chefs d'État-major interarmées des États-Unis, divulgue que Trudeau aurait déclaré en privé aux officiels de l'OTAN que le Canada n'atteindra jamais l'objectif de dépenses militaires de 2% du PIB convenu par les membres de l'alliance. Interrogé à ce sujet, Trudeau a de manière significative refusé de nier l'avoir dit. Ce que le Premier ministre a déclaré : « Je persiste à dire, et dirai toujours, que le Canada est un partenaire fiable de l'OTAN, [un] partenaire fiable dans le monde entier. »
Le Canada consacre actuellement 1,29 % de son PIB à l'OTAN, ce qui s'est traduit cette année par 29 milliards de dollars. Cela fait du Canada le 13e plus grand dépensier militaire au monde et le sixième de l'OTAN. Le gouvernement prévoit dépenser 553 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années pour acheter de nouveaux systèmes d'armes comme des avions de chasse, des drones armés et des navires de guerre.
Pour passer à 2%, il faudrait que le gouvernement affame les besoins de santé et de logement déjà sous-financés. Le public n’appuierait jamais cela.
L'objectif de deux pour cent est l'une des plus grandes fraudes jamais perpétrées sur un public crédule par le complexe militaro-industriel, qui dirige la politique américaine, qui, à son tour, dirige l'OTAN. Trudeau a le mérite de l'avoir contestée.
Ce n'est pas facile pour Trudeau de le faire, car il est entouré de faucons militaires pour qui aucune dépense militaire n'est jamais suffisante. L'Institut de la Conférence des Associations de la Défense vient de publier une lettre ouverte, signée par des dizaines de célébrités politiques et militaires, appelant Ottawa à cesser de reculer en matière de défense nationale.
Fraude du complexe militaro-industriel
L'Institut exige "une réévaluation majeure de notre posture de défense" et plus d'argent pour l'OTAN. C'est le lobby de la défense qui parle, et ils ont de grosses voix (Richard Fadden, Andrew Leslie et Rick Hillier sont parmi les signataires) qui noient un autre groupe de Canadiens tout aussi distingués (dont Margaret MacMillan, John Polanyi et Veronica Tennant) qui ont supplié le gouvernement de comprendre que la paix ne vient pas du canon d'un fusil.
La guerre d'Ukraine donne le prétexte pour les militaristes de battre aujourd'hui très fort leur tambour. L'invasion impitoyable de l'Ukraine par la Russie a déclenché une demande pour plus d'armes, et les dépenses militaires mondiales grimperont cette année bien au-delà de 2 000 milliards de dollars.
L'attention du public en Occident se fixe sur une défaite de la Russie à tout prix. Il est par conséquent facile pour les planificateurs de guerre (qui mobilisent la une des journaux) de proclamer que le gouvernement doit "mettre à disposition des fonds supplémentaires signifiants pour combler les lacunes de longue date en matière de capacités et de préparatifs militaires".
L'OTAN est à l'origine de la nouvelle clameur au Canada pour plus de dépenses militaires. Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, ne cache pas son mécontentement envers nous de ne pas atteindre l'objectif de 2%. Ce que Stoltenberg ne dit pas à voix haute, c'est que la politique de l'OTAN est dirigée par les États-Unis, qui entreprennent des dépenses militaires incroyablement excessives. Le budget militaire américain prévu de 842 milliards de dollars pour 2024 est supérieur aux prochains 10 plus gros dépensiers militaires combinés.
Tout cela est commandé par le complexe militaro-industriel, dirigé par cinq puissants sous-traitants de défense aux États-Unis qui contrôlent virtuellement les travaux des commissions des services armés au Congrès. Le complexe militaro-industriel (les avertissements à ce sujet remontent à l'administration Eisenhower) fonctionne sur l'hypothèse présumée que la future « concurrence stratégique » avec la Russie et la Chine est inévitable. Il n'y a pas de plafond pour la recherche sur les armes d'intelligence artificielle.
La peur l’emporte sur le bon jugement
Le Canada est pris dans cette course effrénée au réarmement. L'OTAN est maintenant un train express rugissant dans un tunnel sombre. Personne ne sait ce qu'il y a de l'autre côté du tunnel, mais les semeurs de peur nous disent que ça doit être méchant. Encore une fois, la peur l'emporte sur le bon jugement. Merci à Trudeau pour avoir – enfin - dressé un drapeau rouge face à l'OTAN.
Pierre Trudeau, le père de l'actuel premier ministre, m'a dit en 1984, lorsque j'ai été nommé ambassadeur du Canada pour le Désarmement, que les politiques obsolètes de l'OTAN avaient été l'une des plus grosses épines qu'il avait dû endurer en tant que premier ministre. George Kennan, le célèbre diplomate américain qui a été le premier à proposer la politique d'endiguement de l'Union soviétique, a qualifié l'expansion de l'OTAN "d'erreur la plus fatale de la politique américaine de toute l'ère post-Guerre Froide". Pourtant, l'expansion continue (la Finlande est la dernière capture) et la fausse croyance selon laquelle des armes plus grosses et plus efficaces apporteront la paix continue d'embrouiller le public.
Les retombées de la réticence de Justin Trudeau à continuer de rendre hommage à l'OTAN vont débuter. Le mouvement pacifiste au Canada, jusqu'ici intimidé par les accusations fallacieuses qui jugent qu’appeler à des négociations pour mettre fin à la guerre d'Ukraine équivaut à l'apaisement avec la Russie, se réveille. Le Groupe Canadien de Pugwash mobilise maintenant ses membres pour demander aux dirigeants internationaux d'amener la Russie et l'Ukraine à la table des négociations [ce que font les Artistes pour la Paix depuis février 2022].
Trudeau a ouvert la question de savoir combien d'argent est nécessaire pour une défense adéquate du Canada. Il suffit de regarder les visages de son cabinet qui l'entourent pendant la période des questions : un groupe divisé entre ceux qui subissent l’influence par la machine de l'OTAN ; les autres craignant que l'OTAN ne les entraîne dans un militarisme perpétuel. L'opinion publique sur l'efficacité de l'OTAN sera un facteur important dans la façon dont Trudeau répondra aux insultes qu'il subit actuellement de la part de ses « alliés de l'alliance » militaire.
La paix holistique de l’ONU
La question de la paix dans le monde est bien plus vaste que les différends russo-ukrainiens. La paix est un problème mondial. Ainsi, le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, prépare actuellement "Un nouvel agenda pour la paix", qui abordera une myriade de défis auxquels la communauté internationale est confrontée aujourd'hui. Guterres dit que pour protéger et gérer le bien public mondial de la paix, nous avons besoin d'un continuum de paix basé sur une meilleure compréhension des moteurs sous-jacents du conflit, un effort renouvelé pour convenir de réponses de sécurité collective plus efficaces et un ensemble significatif d’étapes pour gérer les risques émergents. C'est une approche holistique de la paix.
L'OTAN ne fait pas de paix holistique. Réclamant toujours plus d'argent pour les armes, elle intimide ses propres membres. Sinon, comment expliquer la réduction de 1,3 milliard de dollars par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, dans le récent budget, du programme d'aide internationale déjà trop maigre du Canada? L'OTAN souffre de ballonnement; les pauvres souffrent - point.