La sens-tu, l’apocalypse?

2023/06/09 | Par Sandrine Giérula

L’autrice est membre de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social.

Normétal, Lebel-sur-Quévillon, Chapais, Senneterre, je vous découvre pendant que vous vous faites évacuer. Clova, j’apprends ton nom et, déjà, tu pourrais disparaître. Ce sont les vents qui auront le dernier mot, avec l’aval du premier ministre lui-même. Les Cris de Waswanipi, les Attikameks de Wemotaci, les Anichinabés du Lac-Simon et tous les gardiens et toutes les gardiennes des terres et des eaux, mon coeur est avec vous. Maintenant et dans le futur, on apprendra notre géographie au fil des tragédies.

Je me demande si les compagnies forestières sont tristes de ne pas avoir rasé ces hectares de forêt elles-mêmes. Coupe à blanc ou brûler à sang, le résultat est le même, mais mourir par le feu, c’est une perte d’argent. Apparemment, il faut continuer d’exploiter, de croître et de piler si tu veux subsister. Combien de forêts devons-nous mettre à feu et à sang avant de comprendre que ce sont elles qui nous font respirer ?

Il faut sauver les villages, mais les villages ne résisteront pas longtemps sans le monument des forêts. C’est comme si nous étions incapables de voir l’urgence à plus long terme. Répondre à la crise immédiate sans voir qu’elle n’est qu’un symptôme d’un problème plus insidieux. Ça y est, nous sommes dans la crise climatique dont nous avons ignoré les avertissements. L’air est déjà irritant ; t’imagines dans dix ans ? Mes poumons sont en feu, les compagnies jouent avec le feu et la jeunesse lance un feu de détresse.

Alors, quand est-ce qu’on osera nommer le carburant de notre extinction ? Les pipelines défrichent le territoire, polluent les rivières et tuent les communautés pour remplir les poches d’une poignée de milliardaires. Les riches brûlent du gaz pour faire des tours de formule 1 pendant que les personnes vulnérables s’asphyxient. Les compagnies pointent du doigt l’individu comme coupable pendant que les pétrolières se réjouissent que leur stratégie ait fonctionné. L’empreinte écologique qui nous tue n’est pas celle de l’humain, mais du pétrole sale. Le capitalisme carbure de notre exploitation. Le capitalisme carbure de notre extinction.

Il faut que tu sois un baril de pétrole pour avoir de la valeur.

J’attends avec impatience le jour où les forêts remplaceront la valeur du pétrole et cesseront de saigner. Comme la forêt est la dernière forteresse de liberté à tomber, c’est elle qui se fait éventrer. Comme la forêt est la dernière forteresse de liberté à tomber, c’est pour elle qu’il faut se mobiliser. Alors, ce que ça prend, c’est un soulèvement pour les forêts, mais surtout pour notre humanité.

Notre extinction arrive à petit feu et nous y avançons consciemment. Est-ce que nous sommes obligés de mesurer la gravité de la crise sur l’échelle des tragédies ? C’est impératif, il faut réinviter notre réalité en dehors de cette croissance infinie qui tire profit de nous. Elle nous brûle de fatigue, elle nous brûle tout court.

Je ne sais pas quoi faire d’autre que d’appeler à un soulèvement populaire pour sortir du capitalisme, pour imaginer la suite du monde. Il nous faut sortir des énergies fossiles maintenant. Il faut appeler à une décroissance maintenant. Il faut se solidariser, car nous ne pouvons pas survivre sans une communauté. Il faut qu’on réinvente notre réalité, car notre réalité est en train de nous asphyxier.

Ce soir je pleure, mais demain, je me soulève. L’indignation doit se partager, la colère doit s’enflammer. Car je refuse de me laisser étouffer sans me battre.