Crise des médias : pour une fusion TVA et Télé-Québec

2023/11/08 | Par Pierre Dubuc

Le licenciement du tiers des effectifs de TVA a provoqué une onde de choc dans les milieux de l’information et de la culture et dans les régions. On peut épiloguer sur les causes de cette catastrophe financière : un modèle d’affaires miné par l’accaparement de 80% de la publicité commerciale par les géants du numérique, le désintérêt de la jeune génération pour la télé, la mauvaise gestion de Pierre Karl Péladeau avec le contrat de TVA-Sports pour la diffusion des matchs de la LNH. Mais l’important est d’en analyser les conséquences et de trouver une solution.

Il nous apparaît que la solution réside dans une fusion entre TVA et Télé-Québec avec comme objectif la création d’une véritable télévision publique québécoise. Le gouvernement Legault doit intervenir dans ce sens rapidement, sinon c’est le gouvernement canadien qui va avancer ses pistes de solution, rendant ainsi le Québec de l’information et de la culture complètement dominé par les fédéralistes.

Examinons de plus près la situation.
 

Une sortie honorable pour PKP

Il est peu probable que PKP trouve une solution pour «sauver TVA», autre que le retour aux premiers jours de Télé-Métropole alors qu’une grande partie de la programmation se résumait à la diffusion de films américains de série B.

Il faut bien reconnaître que, contrairement à son père, PKP n’a pas la «bosse des affaires». Sa feuille de route parle d’elle-même. Il a mené à la faillite Quebecor World, qui était la plus importante imprimerie au monde, et son aventure dans les médias du Canada anglais (Sun Media) a plutôt été une déconfiture.

Sa vache à lait demeure Vidéotron, dont l’achat lui a été imposé jadis par la Caisse de dépôt. Aujourd’hui, comme s’il n’avait rien appris de ses expériences précédentes, il veut se colletailler aux géants Bell, Telus et Rogers sur le marché canadien-anglais.

Dans une entrevue accordée à Patrice Roy sur les ondes de Radio-Canada, il a confessé s’être porté acquéreur des Alouettes, non pour son amour du football, mais comme ticket d’entrée dans le club sélect de l’élite économique canadienne-anglaise. L’expérience historique devrait pourtant l’amener au constat qu’il demeurera toujours pour ses nouveaux «amis» du Canada anglais un «séparatiste», qui plus est, un ancien chef du Parti Québécois.

Les yeux désormais tournés en direction du Canada anglais pour l’implantation de Videotron, il est fort probable que PKP cherche à se débarrasser de TVA. Une fusion avec Télé-Québec dans le cadre de la mise sur pied d’une véritable télévision publique pourrait lui permettre une sortie honorable.
 

Le spectre d’une seule chaîne pour la culture

Plusieurs commentateurs évoquent ces jours-ci le spectre d’une seule chaîne de télévision. Celle-ci ne pourrait être autre que Radio-Canada. On peut spéculer que, déjà, à Ottawa, des scénarios s’élaborent sur la meilleure façon de mettre le grappin sur TVA et d’éliminer du paysage médiatique ce diffuseur du nationalisme québécois.

L’expérience des médias écrits devrait servir à nous instruire. Ottawa a adopté, à la suite du largage de La Presse par la famille Desmarais, une loi accordant au journal numérique le statut de donateur reconnu par l’Agence de revenu du Canada, ce qui lui permet de délivrer des reçus à des fins fiscales à ses donateurs, quels qu’ils soient.

La possibilité de déduire dans la Déclaration de revenus annuelle les dons à La Presse+ équivaut à une subvention déguisée et, donc, à une certaine dépendance – voire une dépendance certaine – à l’endroit du gouvernement fédéral. Le Devoir vient d’obtenir le même statut.

Quelles seraient les conséquences pour la culture québécoise de cette dépendance à Ottawa? Soulignons, à titre d’exemple, que La Presse+ a consacré, dans son édition du 13 mai 2023, DIX-SEPT pages bien comptées (vous avez bien lu, 17 pages) à «l’humoriste» Sugar Sammy, dont la spécialité est de tourner en ridicule – pour employer un euphémisme – les francophones.

Quant à la Société Radio-Canada, rappelons toute la saga entourant la décision du CRTC d’exiger de Radio-Canada des excuses publiques pour la chronique de Simon Jodoin à l’émission Le 15-18 de l’animatrice Annie Desrochers pour avoir employé le mot en N en citant le livre Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières.
 

La première victime, l’information régionale

L’information régionale est l’autre grande victime des suppressions de postes chez TVA.  De Sherbrooke à Trois-Rivières en passant par Rimouski et Chicoutimi, une centaine d’employés ont été licenciés. Seuls quatre journalistes et deux caméramans resteront en poste dans chaque région, ce qui est nettement insuffisant pour assurer une information digne de ce nom.

À cela s’ajoute, des compressions de 125 postes, soit le tiers de l’effectif, annoncées pour les journaux régionaux regroupés dans les six quotidiens (Le Droit, Le Soleil, La Tribune, Le Nouvelliste, La Voix de l’Est et Le Quotidien) regroupés dans Les Coops de l’information (CN2i).

Les conséquences de ces compressions seront dramatiques sur la vie démocratique et la vie citoyenne en général dans les régions. Le quatrième pouvoir que constituent les médias est sérieusement édenté. Il n’y aura plus de chien de garde. La coupure entre Montréal et les régions va s’accentuer.

Un slogan a été lancé : Sauvons TVA! À notre avis, la seule perspective viable est sa fusion avec Télé-Québec pour former une télévision publique nationale. Cependant, au nombre des obstacles qui se dressent sur cette route, il y a un obstacle constitutionnel.
 

Un peu d’histoire

Le Québec a toujours réclamé pleine juridiction sur le contrôle des ondes de radio et de télévision. En fait, le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau fut le premier au Canada à légiférer dans ce secteur en adoptant dès 1929 une loi sur la radio. Mais, en 1931, la Cour suprême du Canada, puis le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres, ont invalidé cette loi en déclarant que la radiodiffusion était de compétence exclusivement fédérale.

Quand Maurice Duplessis crée Radio-Québec en 1945, Ottawa lui signifie clairement qu’il lui refusera tout permis d’exploitation. Ce n’est qu’en 1970 que Radio-Québec deviendra opérationnelle, mais uniquement comme télévision éducative, après que le gouvernement du Québec eût obtenu en 1968, dans le cadre de pourparlers constitutionnels, le droit de légiférer en matière de télévision éducative.

Au cours des années 1970, dans le cadre de l’objectif de la «souveraineté culturelle» du gouvernement Bourassa, le ministre Jean-Paul L’Allier réclamera l’ensemble des pouvoirs en matière de communication. Il demandera que la câblodistribution – nouvelle technologie non couverte par la décision de la Cour suprême de 1931 – relève de sa compétence. Encore une fois, la Cour suprême confirmera la compétence du fédéral.

Au début des années 1990, le Québec revendiquera pleine compétence en matière de télécommunications, jugeant celles-ci essentielles à son épanouissement culturel. Une nouvelle fois, en 1994, la Cour suprême rabrouera les prétentions québécoises et réaffirmera la compétence exclusive du fédéral.

C’est donc en vertu de ces jugements de la Cour suprême que le mandat de Télé-Québec est circonscrit au domaine éducatif et qu’il ne peut produire de bulletins de nouvelles.
 

À Legault d’agir

François Legault a promis d’intervenir pour «sauver TVA». Une fusion avec Télé-Québec permettrait d’atteindre ce but. Bien entendu, il faudrait en découdre avec Ottawa en reprenant le combat des Taschereau, Duplessis et L’Allier. Un combat tout désigné pour le nationalisme dont il se réclame.

Chose certaine, cette fusion TVA-Télé-Québec pour la création d’une télévision publique nationale ne se réalisera pas sans une mobilisation d’abord des premiers concernés, soit les gens des médias (TVA et CN2i), les instances municipales régionales et l’ensemble de la population des régions. Une telle revendication appuyée par cette mobilisation obtiendrait le soutien enthousiaste non seulement des auditoires actuels de TVA et de Télé-Québec, mais également de l’ensemble de la population québécoise qui rêve une alternative de qualité à Radio-Canada.