Souvenons-nous de Karl, de notre humanité

2023/11/17 | Par Artistes pour la paix

L’Amérique pleure des Cowboys Fringants (nous revenons ici sur un article écrit il y a deux ans et demi par Pierre Jasmin dans l’Aut’Journal) défend avec opiniâtreté le monde ouvrier des humbles de la terre, dans des décors de pauvreté assumée, avec comme splendides rédemptions l’art engagé (avec la générosité de la Fondation Cowboys fringants), la promesse d’une éducation écologique salvatrice (Jérôme Dupras, professeur chercheur à l’Université du Québec en Outaouais) et la résilience humaine de Karl Tremblay terrassé par un cancer deux jours après une réunion du C.A. des Artistes pour la Paix qui avait choisi le groupe comme Artistes pour la Paix de l’Année. Quel choc que sa mort.

Peut-on parler de poésie dans un film qui, comme l’Oscarisé de l’année 2021 Nomadland de Chloé Zhao, nous entraîne dans des décors d’une Amérique dans sa laideur extrême de mines abandonnées, de rocailles désertiques, d’autoroutes disjonctées, de stationnements de Walmarts et d’entrepôts Amazon mais dont les images parlent de dépouillement misérable qu’on transpose au mieux en simplicité (in)volontaire ramenant tous les rapports humains à un dénominateur commun proche de la philosophie du renoncement du poète depuis disparu Christian Bobin, que nous avait fait découvrir Richard Séguin?

Le thème du voyage habite naturellement les saltimbanques Cowboys Fringants qui nous avaient entraîné dans leur dernière tournée en plusieurs environnements urbains en décrépitude. La pénétrante poésie urbaine et politique de Jean-François Pauzé chantée par la voix si touchante de Karl Tremblay avec sa remarquable diction nous offre leur si beau chant Les étoiles filantes, animé par la gracieuse Marie-Annick Lépine, qui joue d’une demi-douzaine d’instruments avec un entrain animé de sourires, les trop rares du film : quel modèle de féminisme salvateur, avec ses deux enfants!
Écrites le 14 décembre 2015, les paroles de leur immortelle et visionnaire chanson :

 

LE DERNIER HUMAIN DE LA TERRE
Il ne reste que quelques minutes à ma vie
Tout au plus quelques heures, je sens que je faiblis
Mon frère est mort hier au milieu du désert
Je suis maintenant le dernier humain de la terre. (…)

Tout ça a commencé il y a plusieurs années
Alors que mes ancêtres étaient obnubilés
Par des bouts de papier que l'on appelait argent
Qui rendait certains hommes vraiment riches et puissants (…)
Et ces nouveaux dieux ne reculant devant rien
Étaient prêts à tout pour arriver à leurs fins
Pour s'enrichir encore ils ont rasé la terre
Pollué l'air ambiant et tari les rivières (…)
C'est des années plus tard qu'ils ont vu le non–sens
Dans la panique ont déclaré l'état d'urgence
Quand tous les océans ont englouti les îles
Et que les inondations ont frappé les grandes villes
Et par la suite pendant toute une décennie
Ce furent les ouragans et puis les incendies
Les tremblements de terre et la grande sécheresse
Partout sur les visages on lisait la détresse
Les gens ont dû se battre contre les pandémies
Décimés par millions par d'atroces maladies
Puis les autres sont morts par la soif ou la faim
Comme tombent les mouches...
Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien...
Plus rien...
Plus rien...
Mon frère est mort hier au milieu du désert
Je suis maintenant le dernier humain de la terre
Au fond l'intelligence qu'on nous avait donnée
N'aura été qu'un beau cadeau empoisonné
Car il ne reste que quelques minutes à la vie
Tout au plus quelques heures, je sens que je faiblis
Je ne peux plus marcher, j'ai peine à respirer
Adieu l'humanité... Adieu l'humanité...