Front commun : la flexibilité de La Presse et de la CAQ

2023/12/01 | Par Simon Rainville

Décidément, la CAQ a la tête dure. Malgré les grèves qui s’accélèrent, son offre ne change pas. Les négociateurs du gouvernement ne se rendent pas vraiment plus disponibles à négocier sérieusement, selon les différentes sources. Ses communications sont toujours aussi méprisantes. Malgré la nomination d’un négociateur de qui l’on disait du bien du côté syndical, force est de constater que le surplace semble encore la norme. Il y a une limite au dogmatisme. Le gouvernement a le devoir de discuter sérieusement.

Même dans La Presse du 27 novembre, Vincent Brousseau-Pouliot estimait qu’une entente salariale différenciée en bas de 18,7% était néfaste pour les fonctionnaires : « Québec ne veut pas octroyer ce manque à gagner au complet pour l’instant, ce qui bloque les négos sur le plan salarial. Ce n’est pas sérieux comme position de négos ». La Presse n’est pourtant pas ce que l’on pourrait appeler un journal de gauche. Si l’on peut remettre en cause le statut différencié de sa proposition (la plus basse augmentation serait de 16,7%), on peut tout de même constater que l’offre de 10.3% de la CAQ est ridicule.

Les clichés du patronat

Cette même Presse n’est pas en reste cependant pour les inepties. Sophie Grammond, l’éternelle amie du patronat – elle est éditorialiste de cet organe des grandes fortunes, après tout – nous a fait pleurer le 29 novembre dans son éditorial « Vous n’êtes pas sérieux ? » Elle y mentionne que la FAE sort « l’arme nucléaire de la grève illimitée » et que cette grève « paralyse le Québec ». De jolies hyperboles pour une réalité beaucoup plus nuancée. Le Québec n’est pas - du moins, pas encore - paralysé. Et la grève générale illimitée (GGI) n’a pas encore les retombées radioactives qu’elle lui prête.

Elle pourrait se demander pourquoi des enseignants et des enseignantes de la FAE sont prêts à partir en GGI sans fond de grève si ce n’est que la situation est intenable. Si cette « approche du ‘’tout ou rien’’ fait (…) sourciller » madame Grammond, je me demande ce que font ses sourcils devant l’entêtement du gouvernement à marteler les mêmes faussetés.

Les vrais problèmes d’ici

Dans « Éducation : Surprise, le Québec dépense plus qu’ailleurs », paru dans La Presse du 30 novembre, Francis Vailles pose de bonnes questions, mais ses réponses le sont moins. Il y affirme, statistiques à l’appui, que l’État québécois finance à plus grande échelle l’éducation qu’ailleurs au Canada et que les enseignants au Québec enseignent moins d’heures qu’ailleurs au Canada. Il y va de nuances, de contextualisations, de suppositions.
Mais il oublie le nœud du problème : nous vivons au Québec. Les enseignants enseignent ici. Pourquoi toujours tout comparer au Canada, comme si c’était une fatalité? Réflexe du colonisé bien ancré chez nous, partagé d’ailleurs avec Brousseau-Pouliot et Grammond qui comparent systématiquement le Québec à l’Ontario.

Le Québec vit une réalité différente du Canada. Vailles ne parle pas des énormes distorsions entre le secteur anglophone et le secteur francophone. Il n’évoque pas les conditions quotidiennes déplorables des travailleurs. Il ne dit rien de la vétusté matérielle et souvent intellectuelle de nos écoles. Il compare des chiffres, en vrai bon comptable digne de la CAQ.

Pourtant, la réalité est simple à voir pour quiconque a mis les pieds dans une école publique du Québec. Rien ne fonctionne. Tout est à recoudre. Il manque de tout (jusqu’au papier dans les salles de bain). Les économies de bout de chandelle ont fini par brûlé la maison. On peut bien comparer des données statistiques, le problème est ailleurs.

Un sous-financement qui profite aux plus riches

D’ailleurs, Vailles établit comme une évidence que l’éducation est suffisamment financée dans les provinces canadiennes. Or, les enseignants se plaignent partout de maux puisque les mêmes idéologies néolibérales frappent partout. C’est bien la seule réalité que nous partageons avec le reste du Canada : un sous-financement des services sociaux. Alors que le Québec se classe 2e ou 10e ne change rien au fond du problème.

Et Vailles devrait aller plus loin. L’école privée est d’abord celle des plus riches, ceux qui voient leur imposition diminuer année après année depuis 3 décennies. Les deux phénomènes sont liés. Le système public manque d’argent parce que les gouvernements se privent de sources de revenus. La dernière baisse d’impôts de la CAQ prive les coffres de l’État de 1,9 milliard par année. De l’argent qui pourrait être investi dans les services publics. À la place, la classe moyenne se saigne pour envoyer ses enfants au privé.

Qui bénéficie des baisses d’impôts? Le couple de la classe moyenne qui épargne 1000$ mais qui en paie 5000$ pour une éducation de meilleure qualité ou le PDG qui se voit plus riche de plusieurs milliers de dollars et paie le même montant que le couple de la classe moyenne pour l’éducation de ses enfants? Mais on ne lira pas ce genre de réflexion dans un journal patronal.

Plus qu’une réorganisation du travail

Vailles a raison de dire que l’un des aspects qui explique que les enseignants passent moins de temps en classe que ceux du Canada est le fait que la bureaucratie est devenue insoutenable. La « reddition de compte » des comptables en tout genre étouffe le réseau scolaire, comme le réseau de la santé d’ailleurs. Mais la question est plus profonde : qu’avons-nous fait de notre système scolaire? Comment en sommes-nous arrivés à une telle décrépitude dans la plus totale acception sociale?

La présente négociation des conventions collectives doit être celle d’un nouveau départ, pas seulement celle de la comparaison statistique. Vaille, Brousseau-Pouliot et Grammond disent que « l’organisation du travail » est à revoir, comme un écho de la « flexibilité » demandée par la CAQ aux travailleurs du Front commun et de la FAE. Les centrales syndicales ne demandent pas mieux que d’en parler, mais on sait bien que cette « réorganisation du travail » est un synonyme de surcharge pour les enseignants et les autres fonctionnaires.

Sortir de la logique comptable

Les méthodes comptables ne changeront pas. Dans tout le système de l’éducation, du primaire à l’université, la reddition de compte est une plaie sans nom. Et elle s’agrandit sans cesse. Commençons par élaguer cette reddition et ensuite allons voir ce qui pourrait être changé dans la pratique effective des enseignants. Sans cela, la discussion ne mènera nulle part.

Brousseau-Pouliot conclut son plaidoyer de la sorte : « En échange de hausses salariales, le gouvernement Legault doit obtenir des aménagements importants sur l’organisation du travail pour rendre les services plus efficaces. »  Les expressions magiques à la mode : aménagements de l’organisation du travail et efficacité. Mais rien de concret n’est proposé. Outre d’augmenter les tâches des employés, de rendre la main-d’œuvre plus mobile d’un secteur à l’autre (comme si on pouvait facilement remplir n’importe quelle tâche) et de diminuer la sécurité d’emploi des fonctionnaires, que proposent concrètement ces commentateurs et le gouvernement? Littéralement, rien.

C’est à une réflexion globale, à des États généraux sérieux, à une discussion nationale sur nos services publics qu’il faut s’atteler. Mais ça ne se règlera pas dans une négociation de convention collective. Pour l’instant, il faut stopper l’hémorragie pour garder le patient vivant. On verra les opérations urgentes dès après et l’on établira un bilan de santé global dans un troisième temps.