Retour d’ascenseur : Le « bon » Dr Julien et l’inclusion de l’éducation dans les « services essentiels »

2023/12/15 | Par Pierre Dubuc

Les médias ont viré de bord. Il fallait s’y attendre. Finis les gros câlins aux syndiqués. Le temps est venu de faire basculer l’opinion publique du côté du gouvernement. Le signal est venu du « bon » docteur Julien sous la forme d’un article publié dans Le Devoir du 11 décembre 2023 titré « L'école comme service essentiel pour les enfants ». Dans cet article, il plaide pour que l’école soit reconnue comme un service essentiel au même titre que la santé et que les enseignants soient assujettis à une loi qui limiterait considérablement leur droit de grève.
 

La Guignolée du « bon » Dr Julien

Rien pour étonner ceux qui ont suivi le parcours du Dr Julien. Il y a une vingtaine d’années, il inaugurait avec l’aide de syndicats son premier Centre de pédiatrie sociale dans Hochelaga-Maisonneuve. La cause était noble. Elle a séduit Joël Bigot, l’animateur de l’émission Samedi et rien d’autre sur les ondes de Radio-Canada. Il a décidé d’organiser chaque année une guignolée au bénéfice de l’organisme.

Malheureusement, le succès initial est monté à la tête du Dr Julien.  Il a menacé de réduire radicalement ses activités si le gouvernement ne s’engageait pas à lui verser un million de dollars pour l’expansion à travers le Québec de son « projet unique de pédiatrie sociale novatrice ». Ses relations publiques étant particulièrement efficaces, grâce à la fameuse Guignolée, le Dr Julien a fait plier le ministre de la Santé et il a obtenu le million de dollars exigé.

Enivré par ce succès, il a créé sa propre fondation et a entrepris de mettre en place le réseau de succursales de son projet initial sous la forme de « centres de pédiatrie sociale en communauté ». Selon le dernier rapport annuel de la fondation, il y en a actuellement 45.

Le budget annuel de la Fondation du Dr Julien dépasse aujourd’hui les 15 millions $, dont 58% proviennent de subventions gouvernementales. Sa guignolée rapporte 2 147 421 $. S’ajoutent à cela 3 080 396 $ sous forme de dons de particuliers et 1 998 053 $ provenant d’autres fondations. Les dons des particuliers à sa fondation et aux autres fondations subventionnaires s’accompagnent d’émission de reçus pour déduction fiscale aux donateurs, ce qui équivaut à une forme de subvention indirecte à la Fondation du Dr Julien.

Qui aujourd’hui peut se permettre de contester sur la place publique la générosité et le grand cœur de tels mécènes?

C’est un bel exemple de privatisation d’un pan du système de santé, car les CLSC avaient été mis sur pied avec précisément la même mission. S’ils n’ont pas pu la remplir adéquatement, c’est précisément parce qu’on leur coupait les fonds en même temps qu’on versait des millions au Dr Julien.
 

Retour de l’ascenseur

Dans son article, le Dr Julien invoque l’article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui stipule que les « États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation et, en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances ».

Mais, dans le cadre de l’affrontement entre les syndicats d’enseignement et le gouvernement, le droit pour l’enfant « à l’égalité des chances » se résume pour lui à sa présence en classe et non par un soutien aux revendications du personnel enseignant.

L’argumentaire du Dr Julien a été repris par tous les médias traditionnels. Finie la complaisance à l’égard des syndicats.

Mais cela ne signifie pas qu’ils ont réussi à convaincre leurs lecteurs et leurs auditeurs. J’en prends à témoin l’émission de Nathalie Normandeau au 98,5. L’animatrice a rapidement mis fin à sa ligne ouverte lorsqu’elle s’est rendu compte que les auditrices étaient des enseignantes très mobilisées.

Celles-ci ont fait du judo avec la notion de « service essentiel ». L’une d’entre elles a souligné que les parents devraient être bien conscients que l’obligation d’être en classe s’appliquerait aussi à leurs enfants. Avis aux parents qui veulent partir dans le sud avec leurs enfants une semaine avant la relâche pour profiter des aubaines ou soustraire leurs enfants à leur présence à l’école le vendredi pour participer à un tournoi de hockey à l’autre bout du Québec.

Une autre intervenante a pertinemment souligné que c’était justement pour assurer aux enfants ce « service essentiel » qu’est une éducation de qualité que la grève avait lieu. L’animatrice est vite passée non pas à un « autre appel », mais à un autre sujet.

L’intervention du Dr Julien était un retour d’ascenseur pour les millions que lui verse le gouvernement. Il en va malheureusement de même pour les médias traditionnels qui dépendent aujourd’hui de plus en plus des subventions et des crédits d’impôt des gouvernements.

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