Énergie : Le projet Mauricie comme Cheval de Troie

2024/01/05 | Par Johanne Dion

Le Projet MAURICIE, mené par TESCANADA H2, produira, dès sa mise en service en 2028, 70 000 tonnes d’hydrogène vert destiné à un usage 100% québécois.

Selon le ministre, Pierre Fitzgibbon, il s’agirait d’un projet d’« autoproduction », puisque les deux-tiers du courant nécessaire au fonctionnement de l’usine (1000MW), située à Shawinigan, viendront de ses propres éoliennes et panneaux solaires. Un projet, parfaitement légal selon notre ministre, qui en rajoute en précisant que de tels projets devraient même être encouragés, dans un contexte ou Hydro-Québec (HQ) ne peut actuellement répondre à la demande…

Notons qu’il ne s’agit pas d’« autoproduction », stricto sensu, puisque l’usine sera alimentée par HQ (150MW). Ainsi, loin d’être complémentaire , cet apport énergétique est essentiel à la réalisation du projet : sachant que les coûts de fonctionnement de l’usine dépendent à 80 % du prix de l’électricité, la subvention déguisée que constitue le tarif d’électricité industriel le moins élevé en Amérique du Nord, contribue largement à sa faisabilité financière et le service d’équilibrage, qui corrige l’intermittence des productions d’énergies éolienne et solaire, assure le bon fonctionnement, en continu, 24/7, de ses procédés industriels. Ce sera, par ailleurs, le chantier de la démesure puisque TESCANADA H2 devra déployer, pour générer les 1000 MW additionnels, près de 600 000 panneaux solaires sur plus d’un kilomètre carré (km2) et disperser 140 éoliennes sur un territoire d’au moins 150 km2.

Les questions candides énoncées dans le cahier du participant lors de la consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec (Un exemple : « Est-ce que d’autres modèles, que celui déjà dispensé par HQ, permettraient de bonifier l’offre ? (modulation de l’exclusivité de distribution, autoproduction, micro-réseaux, etc.) ») et l’assurance décomplexée du ministre font craindre un effritement du pacte règlementaire qui prévaut dans le secteur de la production , du transport et de la distribution d’électricité au Québec depuis les années 40… Et le projet MAURICIE fait office de Cheval de Troie, en instituant un nouveau TRUST de l’électricité « verte »…

Ce pacte règlementaire historique consacre le monopole d’HQ dont le mandat premier, essentiel, est de fournir, notamment grâce et à cause du monopole qu’on lui consent,  une énergie abordable et un service fiable dispensé sans discrimination indue entre les clients…

« Bonifier l’offre », sous couvert d’urgence climatique et de démultiplication de la demande – cette dernière découlant en bonne partie du démarchage du gouvernement auprès des industries énergivores –, en « encourageant » l’autoproduction et la production privée vendue directement à un grand consommateur (contrat d’achat privé d’électricité) pose des risques existentiels à la plus importante entreprise publique du Québec : fragmentation de l’uniformité territoriale (objectif clé de la nationalisation d’HQ), affaiblissement de sa santé financière avec, à terme, une augmentation des tarifs d’électricité pour compenser. La terrifiante « Spirale de la mort « que craignait, à juste titre, l’ex-PDG d’HQ, Éric Martel, sera potentiellement enclenchée : moins de clients industriels pour assumer les coûts de transport et de distribution et le financement des approvisionnements (fournitures) futurs - hausse des tarifs - moins de clients industriels pour assumer les coûts de transport et de distribution et le financement des approvisionnements (fournitures) futurs, etc…

Et le plan d’action pharaonique, « Vers un Québec décarboné et prospère », présenté par l’actuel PDG, Michael Sabia, trois mois à peine après son entrée en poste, pourrait amplifier cette funeste tendance : ce plan, qui semble produit dans l’instant et écrit sur une napkin, prévoit le doublement de la capacité de production actuelle, à l’horizon 2050, et pourrait coûter jusqu’à 185 milliards $ d'ici 2035. Mais qui va payer, au juste ? Rassurez-vous, l’ancien grand patron de la Caisse de dépôt mise notamment sur des partenaires privés pour aider HQ à financer ses ambitions…

Rappelons que le Québec, déjà décarboné à 46%, est dans une situation enviable par rapport au reste du monde : en effet, seule l’Islande (90%) et la Norvège (56%) ont des proportions supérieures d’énergies renouvelables dans leur approvisionnement. Il aurait été sage, de la part de gouvernants bien avisés, de capitaliser sur cet avantage « concurrentiel » en prenant une pause, le temps de se donner une politique couplée d’une planification intégrée des ressources énergétiques, réalistes, prudentes et découlant d’un vaste débat public... Une occasion aussi de proposer un projet de société novateur, qui respecte la pacte social et économique que s’est donné le Québec, qui aspire (encore !) à une distribution plus large et équitable de la richesse par la mise en commun des ressources…

Mais que nous proposent ultimement messieurs Legault, Fitzgibbon et Sabia, dans cet appui inconditionnel donné au Projet MAURICIE ? La dénationalisation de l’électricité, la privatisation, à bas bruit, de notre société d’État et la poursuite d’un productivisme forcené, prédateur des fonds publics et de ce qui subsiste de la nature, plus souvent qu’autrement instrumentalisé par le capital privé et des intérêts étrangers… Un avenir, sans autre vision, affairiste, que celle de créer des jobs payantes pour, peut-être, faire aussi bien que l’Ontario… !

Et ceci sans légitimité aucune car, comme le disait si judicieusement Boucar Diouf : « On n’a jamais voté pour ce qu’essaie de faire Pierre Fitzgibbon ! » Alors, vivement un référendum sur NOTRE ÉNERGIE ! Car il faut au plus vite retirer cette carte blanche, donnée aux politiciens, qui les dédouane de toute responsabilité, financière ou autre, puisqu’ils agissent dans l’ « urgence » climatique, et, prétendument, pour le plus grand bien de la planète!