La première est analyste des enjeux économiques et énergétiques à l’Union des consommateurs; la seconde est conseillère budgétaire à l’ACEF du Nord de Montréal. Elles cosignent cette lettre au nom de 15 organisations de défenses des droits des consommateurs*.
Nous, associations de défense des droits des consommateurs présentes à travers le Québec, exprimons notre profonde préoccupation face au projet de privatisation et de fin du monopole d’Hydro-Québec sur la vente d’électricité. Alors que de nombreux ménages luttent déjà pour payer leur facture d’électricité, cette privatisation risque de se traduire par une hausse des tarifs pour les consommateurs, et ainsi, d’exacerber la crise actuelle de hausse du coût de la vie.
La libéralisation du marché de l’électricité, loin d’être une solution anodine, présente des risques importants. Nous pouvons déjà prévoir que la compétition pour les ressources entre Hydro-Québec et les entreprises privées augmentera les coûts de production. En effet, les gisements disponibles pour l’éolien et les cours d’eau pouvant générer de l’hydroélectricité sont limités. Selon son Plan d’action 2035, Hydro-Québec a besoin de 8000 MW à 9000 MW supplémentaires. Si les entreprises privées s’approprient les meilleurs gisements, Hydro-Québec devra développer cette nouvelle capacité sur des sites moins rentables, ce qui augmentera considérablement les tarifs.
Plusieurs pays ont déjà mis en place un processus de libéralisation de leur secteur de l’électricité. Bien que chaque modèle de marché d’électricité privé soit différent, une tendance ressort : la libéralisation mène à une augmentation considérable des tarifs, en plus de nécessiter des interventions étatiques coûteuses.
En Californie, la libéralisation du secteur de l’électricité a mené à une crise énergétique majeure, marquée par une hausse fulgurante des prix et de longues pénuries. En France, les tarifs d’électricité ont augmenté de 60 %, alors que l’inflation n’était que de 15 %. En Ontario, l’ouverture au privé du marché de l’électricité, dans les années 2000, a, là aussi, conduit à une hausse significative et rapide des prix. Le gouvernement de l’Ontario a été forcé de réagir en réintégrant progressivement des mesures de réglementation et de contrôle des prix de l’électricité.
La hausse des tarifs, un vrai problème
Certains défendent l’idée que les tarifs sont trop bas au Québec. Selon cette logique, il ne serait donc pas grave — voire il serait souhaitable — que les tarifs augmentent afin d’envoyer des signaux-prix incitant les Québécois à réduire leur consommation d’énergie.
Or, cet argument néglige un aspect crucial : l’électricité est un bien à faible élasticité de la demande. En effet, les variations de prix entraînent peu de changements dans la consommation en raison de la dépendance des consommateurs à ce service essentiel. L’électricité répond à des besoins fondamentaux, comme le chauffage, l’eau chaude, la cuisson et la conservation des aliments, l’éclairage, etc., ce qui limite la capacité des individus à adapter leur consommation. De plus, cette consommation dépend largement de facteurs indépendants de la volonté individuelle, comme les conditions météorologiques ou la performance énergétique des bâtiments et des appareils électroménagers, ce qui touche particulièrement les ménages à faible revenu.
Un ménage sur sept éprouve déjà de la difficulté à payer sa facture d’électricité ou doit effectuer des sacrifices pour y parvenir. En 2023, environ 178 000 ménages ont dû conclure une entente de paiement avec Hydro-Québec pour éviter un débranchement.
Il est donc peu probable que la seule augmentation des tarifs puisse permettre de réduire la consommation d’électricité des Québécois. La conséquence la plus immédiate d’une hausse des tarifs sera d’alourdir une fois de plus le fardeau économique des ménages à faible revenu.
Le gouvernement devrait plutôt envisager l’octroi d’aides pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, en ciblant d’abord les logements locatifs. Cette option gagnant-gagnant permettrait de réduire la pression exercée sur Hydro-Québec pour développer sa capacité électrique tout en améliorant la situation des ménages, notamment les plus défavorisés.
De quoi avons-nous réellement besoin?
Bien qu’une privatisation directe d’Hydro-Québec, par la vente de ses actifs à des acteurs privés, semble peu probable, il y a toutefois un réel risque de libéralisation du secteur de l’électricité, transformant un service public essentiel en une industrie soumise aux fluctuations du marché. Cela met en péril la mission fondamentale d’Hydro-Québec, qui est de fournir aux Québécois l’accès à de l’électricité abordable.
Entreprendre une privatisation sans l’analyse approfondie des conséquences pour les ménages québécois est imprudent. Les associations de défense des droits des consommateurs du Québec se désolent de l’approche actuelle, caractérisée par un manque de transparence et par l’absence de planification intégrée. Nous appelons le gouvernement à ouvrir le dialogue afin de s’assurer de prendre la pleine mesure des risques encourus pour les ménages québécois et de planifier le développement énergétique du Québec avec la communauté civile, non pas pour les industries, mais bien en fonction de l’intérêt des Québécois avant toute autre considération.
* Ont cosigné cette lettre : ACEF des Bois-Francs; ACEF de l’Est de Montréal; ACEF Estrie; ACEF de Lanaudière; ACEF de Laval; ACEF de la Péninsule; ACEF de Québec; Centre de recherche et d’information en consommation; Coalition des associations de consommateurs; Service d’aide au consommateur de la Mauricie; Service budgétaire Lac-Saint-Jean-Est; Service budgétaire de Saint-Félicien; Solutions Budget Plus, Sherbrooke; Union des consommateurs.
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