La Cour suprême a transformé le fédéralisme pour favoriser l’autonomie autochtone

2024/02/14 | Par André Binette

L’auteur est avocat constitutionnaliste 
 

Dans un avis majeur qui est un point tournant dans l’évolution du fédéralisme canadien, la Cour suprême du Canada a validé le 9 février la loi fédérale concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Ce faisant, elle a retranché une partie significative de la juridiction de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et de la compétence provinciale sur le droit de la famille. Un troisième ordre de gouvernement est créé en ce domaine car les lois autochtones auront préséance sur les lois fédérales et provinciales. 

La Cour suprême cherche ainsi à mettre fin à une tragédie humanitaire qui a déshonoré l’État canado-québécois.  D’immenses souffrances ont été causées par l’enlèvement et l’acculturation forcée des enfants autochtones par différents moyens : les pensionnats, l’adoption sans le consentement des parents ou la prise en charge par la DPJ sans tenir compte des valeurs et de la culture du milieu d’origine. On ne compte plus les rapports et les études qui affirment que la meilleure solution est de reconnaître l’autonomie décisionnelle des communautés autochtones afin d’atténuer le cycle du désespoir. Quand le racisme systémique, dont on nie l’existence, va jusqu’à briser les familles, il est particulièrement pernicieux. 

L’avis unanime de la Cour suprême a été rendu nécessaire par un renvoi aux tribunaux effectué par le gouvernement du Québec qui contestait la validité de la loi fédérale. L’Alberta a été la seule autre province à soutenir la position du Québec. La Cour d’appel, unanime également, avait rendu en 2022 un avis moins favorable à la loi contestée. L’avis de la Cour d’appel était plus convaincant et plus respectueux de l’autonomie provinciale. 

La Cour suprême a insisté avec raison sur la nécessité de donner suite à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée en 2007. Le Canada avait voté contre son adoption mais le gouvernement Trudeau a renversé cette position et l’a ratifiée. Il a adopté en 2021 une loi de mise en œuvre de la Déclaration qui l’a introduite en droit canadien. La loi contestée sur l’aide à la jeunesse est un fruit de cette transformation profonde de notre système juridique. Celle-ci se déroulera sans doute pendant plusieurs années, sans modifier la Constitution, par des interventions fédérales aux dépens des compétences provinciales.

 La Cour suprême a inauguré une nouvelle dynamique constitutionnelle qui repose sur une relation triangulaire entre le droit international, les lois fédérales et les lois autochtones. Les provinces ont peu d’emprise sur cette relation. Elles devront de plus assurer la mise en œuvre des lois autochtones hors réserve par leurs fonctionnaires. Il est clair, quoi qu’il en dise, que le plus haut tribunal a modifié l’architecture constitutionnelle du Canada. En rejetant cette partie de l’argumentaire du procureur général du Québec, la Cour suprême minimise de manière invraisemblable les conséquences de sa position.  

Elle est en désaccord avec la Cour d’appel sur deux points importants. D’abord, cette dernière avait vidé la question de fond en déclarant que le droit à l’autonomie gouvernementale découlait directement de la Constitution tout autant que les compétences fédérales ou provinciales. L’autonomie ne pouvait donc plus être considérée comme étant attribuée par la Loi sur les Indiens, ou une autre loi fédérale ou provinciale, qui pouvait être modifiée par la majorité parlementaire du moment. C’était créer immédiatement un troisième ordre de gouvernement. La Cour suprême préfère construire ce dernier à la pièce en remettant la question de fond à plus tard. Elle se contente de reconnaître que telle est la position fédérale, qui a le pouvoir de l’affirmer dans ses lois. Elle nous demande explicitement de faire comme si l’autonomie autochtone est de nature constitutionnelle sans l’affirmer.  Son hésitation s’explique peut-être par le rejet de l’Accord de Charlottetown par la souveraineté populaire canadienne et québécoise dans un référendum tenu en 1992. Cet Accord mentionné par la Cour aurait constitutionnalisé le droit autochtone à l’autonomie gouvernementale ainsi que la société distincte du Québec.  

De plus, la Cour suprême supprime la déclaration d’inconstitutionnalité par la Cour d’appel d’une partie de la loi fédérale qui stipule que les lois autochtones jouiront de la prépondérance sur les lois provinciales incompatibles. Selon la Cour suprême, les lois fédérales peuvent donner aux lois autochtones cette prépondérance dont elles jouissent elles-mêmes. Selon la Cour d’appel, seule une modification de la Constitution aurait dû arriver à ce résultat qui transforme l’équilibre des pouvoirs publics.

Il reste à voir comment différentes lois autochtones pourront être appliquées par les services publics provinciaux et municipaux, notamment à Montréal. 

 

L'auteur a publié Le Québec et ses nations aux Éditions du Renouveau québécois. Pour se procurer le livre, cliquez ici.