L’Entente Québec-Pessamit doit porter fruit 

2024/02/23 | Par André Binette

L’auteur est avocat constitutionnaliste, ancien procureur des Innus de Pessamit. Trois membres respectés de la communauté de Pessamit ont été consultés au sujet de ce texte, dont l’auteur prend l’entière responsabilité.

L’Entente Cadre du 15 février 2024 entre la Première nation des Innus de Pessamit et le gouvernement du Québec vise à corriger l’une des pires injustices de l’histoire du Québec. Le territoire ancestral de Pessamit fournit 25% de l’électricité du Québec à partir de douzaines d’infrastructures hydroélectriques majeures construites depuis le gouvernement Duplessis.

Il ne fait aucun doute que ces travaux, qui se sont poursuivis pendant des décennies, seraient considérés illégaux aujourd’hui puisqu’ils ont été réalisés au mépris flagrant des droits ancestraux non cédés des Innus sur leur territoire.

La Cour suprême n’hésite pas à appliquer les règles actuelles du droit autochtone rétroactivement en raison de l’ampleur des abus, dits contraires à l’honneur de la Couronne, commis systématiquement par le gouvernement fédéral et les provinces depuis 1867 et au-delà.

À titre de comparaison, la Baie James fournit environ 40% de la production d’Hydro-Québec. Les Cris et les Inuits se sont partagés une somme initiale de 250 millions de dollars de 1975 en compensation pour la construction de barrages lors de la signature de la Convention de la Baie James, le premier traité moderne au Canada.

Les Cris ont aussi obtenu à ce moment une autonomie politique considérable au moyen d’une loi fédérale exceptionnelle qui les a soustraits à la Loi sur les Indiens.

Cela a été suivi par la Paix des Braves de 2001 qui a accru cette autonomie et leur a procuré une compensation supplémentaire de 3,5 milliards$ de la part d’Hydro-Québec, suivie d’une compensation fédérale additionnelle de 1,5 milliard$. 

Les Innus de Pessamit ont vu se produire ces événements sans obtenir ni compensation digne de ce nom ni autonomie. Ils savent bien que le barrage Daniel-Johnson (Manic 5), le plus important sur leur territoire, est probablement le plus rentable de l’histoire du réseau hydro-québécois.

Ce n’est pas une Entente Cadre qui dissipera leur colère intergénérationnelle et justifiée. Ils vivent depuis 70 ans avec le sentiment collectif d’avoir été dépossédés.

La différence entre les résultats obtenus provient du fait que les Cris ont poursuivi avant la construction des barrages. Les Innus ont été placés devant le fait accompli à une époque où Trudeau père et son ministre des Affaires indiennes, Jean Chrétien, comme leurs prédécesseurs, niaient la valeur juridique et économique des droits ancestraux.

Par la suite le droit autochtone est entré en mutation, ce qui a forcé Robert Bourassa à signer la Convention. Bernard Landry a dû signer la Paix des Braves parce que Bourassa n’avait pas respecté ses engagements.
L’histoire démontre que le Québec ne négocie jamais sérieusement dans les dossiers autochtones les plus fondamentaux sans pression judiciaire.  

René Lévesque disait que les journalistes sont parfois paresseux et n’effectuent pas une recherche élémentaire. Les médias ont diffusé une fausse information à l’effet que le principal recours des Innus contre Hydro-Québec (appelé Bets 1 dans l’Entente du nom de l’ancien nom de la communauté, qui était Betsiamites) comportait une réclamation de 500 millions$. Ce montant est en réalité de 11 milliards$.

Ce recours était initialement de 500 millions$ lorsqu’il a été déposé en 1999 au nom du Conseil de Pessamit par Me Robert Mainville, aujourd’hui juge éminent à la Cour d’appel, qui a aussi été négociateur de la Paix des Braves pour les Cris. 

J’ai hérité de la responsabilité de ce dossier en 2003 après l’élection d’un nouveau chef, Raphaël Picard, avec qui j’ai collaboré pendant ses cinq mandats consécutifs de 2002 à 2012. Nous avons ajouté d’autres recours majeurs, dont Bets 4 qui vise l’industrie forestière et qui est aussi mentionné à l’Entente.

Étant donné que le montant de 500 millions$ dans Bets 1 avait été tiré d’affaires semblables sans s’appuyer sur une étude fondée sur les circonstances particulières de Pessamit, je me suis adressé à une société d’experts-conseils américains spécialisés dans des évaluations pour des litiges complexes sur le plan international.

La dimension américaine des litiges de Pessamit est évidente puisqu’Hydro-Québec doit emprunter à Wall Street et ailleurs pour financer ses grands projets, qu’elle doit   informer ses créanciers de tout litige pouvant réduire la valeur de leur investissement et qu’une part importante de la production d’électricité du Québec est vendue aux États-Unis.

La société américaine m’a proposé les services de deux économistes québécois réputés. En dépit du fait qu’Hydro-Québec dissimulait nombre de données pertinentes, ils sont arrivés au résultat mentionné.

L’annonce de cet amendement avait fait le tour du monde financier en 2005 après avoir été reprise par le réseau Bloomberg. Il pourrait être révisé à la hausse aujourd’hui. Les parties à l’Entente manquent de transparence sur ce point. 

L’Entente Cadre a pour objet de régler les litiges majeurs entre les parties et d’instaurer une nouvelle relation pour l’avenir. Les Innus savent qu’une entente stratégique avec le Québec est dans l’intérêt de tous.

Ils accepteraient probablement une fraction du montant réclamé pour le passé en échange d’une participation aux revenus et aux emplois des futurs projets de développement.

Ils voudront aussi obtenir l’autonomie des Cris, ce qui nécessitera une intervention fédérale qui n’est pas prévue à l’Entente et un réaménagement des pouvoirs publics sur la Côte-Nord qui pourrait modifier la structure et les pouvoirs de la MRC. 

Le fait que le gouvernement du Québec a rejeté l’an dernier un projet de traité présenté par trois autres communautés innues, qui s’étaient déjà entendues avec Ottawa, n’est pas de bon augure.

Les Innus peuvent se demander s’il est possible de s’entendre avec un gouvernement qui ne reconnaît même pas la réalité du racisme systémique. Cette méfiance pourrait s’étendre à la chef actuelle, qui sollicitera un second mandat de deux ans cet été. 

Les parties ont le mérite d’avoir porté sur la place publique un enjeu vital pour Hydro-Québec et pour le Québec tout entier. Une réconciliation authentique ne peut cependant être fondée que sur la justice et la vérité.

André Binette est l’auteur du livre Le Québec et ses nations (ERQ). Pour se procurer le livre, cliquez ici.