Note sur le mode d’accession à l’indépendance

2024/05/10 | Par André Binette

L’auteur est constitutionnaliste

Le Parti Québécois a opté pour l’accession du Québec à l’indépendance par référendum dans son congrès de 1973. C’était un choix stratégique qui n’était dicté ni par le droit international ni par le droit canadien. Il n’existe à ce jour aucune obligation juridique de tenir un référendum pour accéder à l’indépendance.

En fait, dans le cas du Québec, l’accession à l’indépendance ne se fait pas par référendum, qui ne fait qu’exprimer la volonté du peuple québécois.  Cette accession se fait après le référendum, soit par une entente avec le Canada ou par une déclaration unilatérale d’indépendance. Seules ces deux dernières possibilités sont déterminantes pour le droit international. Elles sont toutes les deux légales. Le référendum est une option qui n’est pas déterminante.

Dans tous les cas, sur le plan juridique, le processus d’accession à l’indépendance n’est pas déclenché par le peuple québécois dans un référendum, mais par l’Assemblée nationale en exerçant sa souveraineté parlementaire.  

Le droit international

Historiquement, les nouveaux États sont apparus par deux moyens différents :   une entente avec l’État prédécesseur (le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Norvège), ou une déclaration unilatérale d’indépendance (DUI) avec ou sans usage de la force (les USA, Israël, le Kosovo, les États issus de l’ex-URSS ou de l’ex-Yougoslavie).  Le droit international contemporain privilégie le premier moyen, mais n’exclut nullement le second. Dans le cas québécois, l’usage de la force est exclu.  Le choix est donc entre une entente avec le Canada ou une DUI pacifique, reconnue par le Canada et par d’autres États.

Le référendum est simplement un moyen pratique et répandu de connaître la volonté populaire. Le fait que ce moyen soit fréquemment utilisé dans le monde n’en fait pas une obligation juridique. Il existe un autre moyen de vérifier la volonté populaire, qui est l’élection référendaire suivie de l’exercice de la souveraineté parlementaire. Cet autre moyen était valide selon le droit international de 1973 et le demeure à ce jour. Les Tchèques et les Slovaques se sont séparés pacifiquement en 1992 sans référendum au moyen de la souveraineté parlementaire. Dans le cas du Kosovo, le référendum a eu lieu plus de dix ans avant la DUI. Dans le cas de Taïwan, l’indépendance est une réalité effective sans qu’il y ait eu ni référendum ni DUI. Il existe une plus grande variété de possibilités, toutes légales en droit international, que la voie retenue par le PQ.

Le droit international est indépendant de celui de l’État prédécesseur. La Cour internationale de Justice (CIJ) a rappelé en 2010 dans son jugement dans l’Affaire du Kosovo que la légalité d’une DUI ne dépend nullement de sa légalité dans le droit interne de l’État prédécesseur. La DUI du Kosovo était nécessairement illégale en droit serbe, tout comme la DUI des États-Unis était illégale en droit britannique en 1776. La CIJ a souligné que les DUI sont légales en droit international au moins depuis 1776.  Elle a ajouté que, pour elle, ce qui compte c’est ce qui se passe après.

Cela dit, une DUI québécoise ne serait pas nécessairement illégale en droit canadien, ce qui est exceptionnel.

Le droit canadien

Il n’existe aucune obligation de tenir un référendum pour accéder à l’indépendance du Québec en droit canadien. Une telle obligation n’existe ni dans la Constitution canadienne, ni dans la Loi sur la clarté adoptée par le gouvernement Chrétien en 2000, ni dans une autre loi fédérale, ni dans le Renvoi sur la sécession du Québec, un jugement de la Cour suprême de 1998.

 
Le droit canadien est plutôt à l’effet que si le Québec choisit de procéder par référendum, certaines conditions discutables s’y rattachent. Un référendum gagnant pour le OUI entraîne pour le Canada l‘obligation de négocier de bonne foi les termes de l’indépendance, selon la Cour suprême dans le Renvoi, si l’Assemblée nationale fait la demande d’ouvrir de telles négociations. Si le Canada est de mauvaise foi, ou si les parties sont toutes deux de bonne foi mais ne peuvent arriver à une entente dans un délai raisonnable, le Québec pourrait émettre par son Assemblée nationale une DUI qui serait non seulement valide en droit international mais aussi en droit canadien, ce qui est unique au monde.

Les mouvements souverainistes de Catalogne et d’Écosse citent comme référence le Renvoi sur la sécession du Québec. Ils aimeraient bien que les cours suprêmes d’Espagne et du Royaume-Uni décident la même chose. Ceci faciliterait considérablement leur accession à l’indépendance. Aucun mouvement souverainiste sur la planète n’est dans une position juridique aussi favorable que le mouvement souverainiste québécois parce que c’est le seul cas où une DUI pourrait être légale dans le droit interne de l’État prédécesseur. Ceci faciliterait une accession pacifique à l’indépendance même si elle était unilatérale. Cette interprétation du Renvoi a été confirmée par   la Cour d’appel du Québec dans une autre affaire en 2005.

Les mêmes résultats pourraient être obtenus par une élection référendaire. Celle-ci entraînerait les mêmes conséquences en droit international que la voie référendaire. L’élection référendaire permettrait de déterminer la volonté majoritaire du peuple québécois si la question de la souveraineté était placée au cœur de cette campagne.

La seconde condition est de ne pas confondre la volonté populaire avec une majorité parlementaire. La majorité parlementaire est issue d’un mode de scrutin particulier qui est souvent contesté. Un parti élu avec moins de 50% des voix, ce qui est la norme au Québec, n’aurait pas le mandat historique d’accéder à l’indépendance. Cependant, un parti élu avec 40% des voix, qui forme un gouvernement majoritaire, pourrait réaliser l’indépendance sans référendum s’il recevait l’appui d’un autre parti souverainiste qui aurait 15% des voix. L’important est que le total soit supérieur à 50%.  

Une telle démarche d’accession à l’indépendance serait clairement légale en droit international et ne serait nullement illégale en droit canadien.