Que McGilltown redevienne Montréal !

2024/03/06 | Par Luc Potvin

Dans Le Devoir du samedi 24 février 2024, Jean-François Lisée nous rendait compte du mépris croissant dont les Québécois de souche sont l’objet dans les écoles secondaires de Montréal et de Laval.

Il s’agit là d’un problème réel et sérieux, auquel il convient de ne pas réagir de façon irréfléchie. Or, c’est malheureusement ainsi, de façon irréfléchie, qu’a réagi Joseph Facal, du Journal de Montréal, dans sa chronique du samedi 2 mars.

À un mépris très particulier, il a répondu par le même mépris, très exactement. Des immigrés ou des enfants d’immigrés crachent sur notre culture, la culture québécoise. Alors, M. Facal ne trouve rien de mieux que de cracher lui aussi, en retour, sur leurs cultures d’origine.

C’est très mal avisé. Et parfaitement stérile. Aux jeunes dont les parents viennent du Maghreb et du Moyen-Orient, il rappelle que leurs pays d’origine sont «pauvres, politiquement autoritaires et scientifiquement sous-développés», ce qui correspond à la réalité, certes. Mais là où le bât blesse, c’est que c’est à la culture de ces pays que M. Facal attribue ce triste état de choses.

On connaît bien ce genre d’argumentaire de niveau non pas cégépien, mais préscolaire. C’était celui auquel recouraient les historiens de l’école de Québec pour expliquer le grand «retard économique» dont les Canadiens français, ainsi nommés à l’époque, ont si longtemps souffert. Selon ces historiens, en effet, notre aliénation économique n’était due, pour l’essentiel, qu’à la mentalité médiévale qu’un clergé catholique tout-puissant nous inculquait. La Conquête britannique et ses multiples conséquences ne comptaient pour rien dans leurs analyses. La rupture brutale de tout lien économique avec la France, alors que les Anglos, ici, avaient tout le soutien de l’Angleterre ? Aucune importance ! L’interdiction formelle aux nôtres de continuer à faire la traite des fourrures pour leur propre compte ? Aucune importance ! Sur décision d’un gouverneur nommé par Londres, l’immense fortune des jésuites consacrée à McGill plutôt qu’à l’éducation de notre peuple ? Aucune importance !

Non, selon les Fernand Ouellet et consorts, seule notre mentalité catholico-médiévale expliquait notre servitude économique. Tout comme, aujourd’hui, selon M. Facal, seul l’intégrisme musulman expliquerait le délabrement du Maghreb et du Moyen-Orient. C’est bien court. M. Facal a-t-il jamais entendu parler de la Nahda, ce vaste et profond mouvement de modernisation qui a traversé tout le monde arabo-musulman à partir du XIXe siècle ? Un mouvement dont l’Iranien Mossadegh (pas arabe, mais musulman) et l’Égyptien Nasser ont été des figures de proue au XXe siècle.

Le cas de Mossadegh est particulièrement exemplaire. Devenu premier ministre en 1952, son programme était en gros le même que celui du ministre québécois René Lévesque au début des années 60 : rendre à la nation la pleine propriété de ses ressources naturelles. Avec l’aide de l’Angleterre, les États-Unis l’ont écarté dès 1953 pour n’avoir à composer qu’avec leur docile valet, le Shah. Résultat : 26 ans plus tard, en se servant des héritiers de Mossadegh pour ensuite les liquider (un peu comme ici, toute proportion gardée, le conservateur Duplessis se servit des nationalistes progressistes de l’Action libérale nationale de Paul Gouin pour ensuite les éliminer), l’ayatollah Khomeini et tous ses intégristes religieux prirent le pouvoir à Téhéran.

Tandis qu’ailleurs, en ne cessant de contrer les décolonisateurs comme Nasser au profit d’autres valets comme Sadate, les États-Unis ont contribué à bousiller la Nahda, pavant du même coup la voie aux divers émules des Frères Musulmans, du FIS en Algérie jusqu’à l’État islamique en Irak et en Syrie.

Tout cela pour dire qu’il ne faut pas, comme le fait hélas M. Facal, faire du mépris dont nous sommes la cible une affaire culturelle. C’est une affaire politique. Et c’est une affaire qui témoigne bien du fait que, quoi qu’on dise et quoi qu’on pense, le Québec est bien, encore et toujours, une colonie à l’intérieur du Canada. Le mépris que nous subissons aujourd’hui est le même qu’au temps de Saint-Léonard. Oui, tout à fait.

Personnellement, je travaille au centre-ville de Montréal, tout près de Concordia University. Chaque jour, j’y côtoie nombre d’immigrés et d’enfants d’immigrés. Je puis vous dire que la culture québécoise y est au mieux ignorée ou méconnue, ou, au pire, copieusement méprisée.

Mais je puis aussi vous assurer que, tout au contraire, la culture anglo-américaine continentale, elle, s’y porte à merveille. Personne ne crache sur cette culture-là, tout occidentale soit-elle ; au contraire, tout le monde la connaît bien, tout le monde souhaite s’y intégrer au plus vite, on ne demande même pas mieux que de s’y vautrer et, de fait, on s’y vautre à qui mieux mieux, à preuve l’ancien Forum toujours plein à craquer pour les derniers blockbusters hollywoodiens.

Ici comme ailleurs, les immigrés et leurs enfants s’adaptent au milieu ambiant. Et le milieu ambiant, pour eux, ce n’est pas le Québec, et ce n’est même pas Montréal, car Montréal n’est plus Montréal, mais bien McGilltown ! Oui, McGilltown !

Alors, les immigrés et leurs enfants s’adaptant à McGilltown, ils ont tôt fait d’en adopter le point de vue et les sales préjugés. De sales préjugés qu’ils n’avaient pas en quittant leurs divers pays d’origine ni même en arrivant ici. Mais de sales préjugés que, baignant dans un milieu et une atmosphère de plus en plus anglo-américaine, ils tardent de moins en moins à s’approprier.

Aussi, à la place de M. Facal, au lieu de vomir sur leurs cultures d’origine, lesquelles ne représentent en rien une menace pour la nôtre, j’aurais plutôt tendance à répondre à leur mépris en les traitant gentiment de valets inconscients de l’impérialisme américain.

Valets inconscients ou idiots utiles de l’impérialisme américain : c’est d’ailleurs bien ce que sont, paradoxalement, tous les wokes de Concordia. Ces mêmes wokes qui, tout comme l’extrême-droite de Trump, la droite modérée d’on ne sait plus qui et la « gauche » dite de gouvernement, à la Clinton ou à la Blair, ces mêmes wokes, dis-je, qui jamais, jamais, jamais ne dénoncent la mainmise perpétuelle des multinationales du Nord sur les ressources naturelles des peuples du Sud. Mais il est vrai qu’une telle question a de quoi interpeller davantage les adultes que les enfants…

Peut-être, sans doute même, un Parti québécois renaissant devrait-il annoncer qu’un Québec indépendant plaiderait pour que soit reconnu, en théorie et surtout en pratique, le droit de tous les peuples, y compris ceux du Sud, au plein contrôle des ressources de leur sol et de leur sous-sol. Une politique cohérente et rationnelle de développement, nous le savons trop bien, est impossible quand les ressources naturelles d’un pays appartiennent pour l’essentiel à des intérêts étrangers. Pour toute société, c’est source de divers maux, dont l’émigration n’est pas le moindre, et cela aussi, nous le savons, nous qui, au Québec, avons déjà vu des centaines de milliers des nôtres aller chercher, comme les migrants actuels, de meilleures conditions de vie ailleurs, principalement en Nouvelle-Angleterre, avant la Révolution tranquille.

Un tel appel à reconnaître enfin, et concrètement, aux peuples du Sud leur droit à la pleine propriété de leurs ressources naturelles, seule la vraie gauche, celle d’avant le wokisme, l’a toujours lancé avec force, ici et partout. Sans y voir une panacée, je crois néanmoins qu’une telle évolution, si elle advenait enfin, règlerait tout un lot de problèmes à l’échelle planétaire, elle apaiserait de beaucoup les tensions aux frontières et favoriserait un sain et juste rééquilibre ouvrant une nouvelle ère de stabilité et de paix.

Et d’ici à l’indépendance — l’indépendance qui seule nous permettrait, sur la scène internationale, de concourir à cette heureuse évolution —, ne devrions-nous pas, par ailleurs, mais ici même, songer aux moyens de renverser l’étalement urbain ?

Pour que McGilltown redevienne Montréal et que les gens venus d’ailleurs puissent ainsi plus facilement conjuguer avec nous, ramener sur la grande île une partie au moins de la population qui l’a désertée, voilà qui ne serait certes pas inutile. Vaste projet, bien sûr. Comment y arriver ? Toute la question est là. Et là, j’avoue que, s’agissant des moyens concrets à prendre, mes lumières ont leurs limites. C’est pourquoi, du reste, j’en appelle à une réflexion collective.

Aux dernières nouvelles, ce qu’on appelle le West Island n’est toujours pas très densément peuplé. On y trouve pas mal d’espaces verts et une ambiance plutôt paisible susceptibles de plaire à tous les francophones partis chercher cela à Chambly ou à Terrebonne. Mais on sait aussi que le facteur qui pèse le plus, c’est bien sûr le coût. Le coût d’une maison ou d’un logement.

Y aurait-il moyen, notamment par une politique fiscale astucieuse, d’offrir au mal nommé West Island un destin comparable à celui des anciens et aussi mal nommés Eastern Townships ? Chose certaine, si on y parvenait si peu que ce soit, ça changerait le climat pour le mieux. Imaginez : le OUI majoritaire à Pointe-Claire ou à Baie d’Urfé ! Bon, d’accord, ici, je m’emporte un peu. Mais il faut oser ! Si on décrète d’avance que tout est impossible, alors c’est sûr que jamais rien n’avancera.

De l’audace, bordel!