France: Non à l’école du tri social

2024/04/17 | Par Luc Allaire

« Les ministres de l’Éducation successifs poursuivent la même politique visant à détruire le service public d’Éducation. » Tel est le constat accablant qui a fait l’unanimité lors du congrès du Syndicat National des Enseignements de Second degré (SNES-FSU), qui s’est tenu à La Rochelle en France du 18 au 22 mars 2024.

« Depuis plusieurs années, l’État organise sciemment la compétition, l’individualisation et la marchandisation du fonctionnement des établissements scolaires en s’appuyant sur les logiques de marché bien identifiées. Il considère l’élève, non plus comme un sujet qu’il faut émanciper, mais comme un individu qu’il faudrait outiller de compétences utiles dans une économie mondialisée et hyperconcurrentielle », a déclaré la secrétaire générale du SNES-FSU, Sophie Vénétitay.

De nombreux jeunes qui entrent au collège (l’équivalent de l’école secondaire au Québec) se retrouvent dans des « groupes de besoins » ou des « groupes de progrès ». Ces groupes de niveaux aux appellations trompeuses rompent avec un collège unique commun à l’ensemble des élèves. On fait miroiter aux jeunes une découverte des métiers mais, en fait, cela vise à promouvoir l’orientation précoce notamment par l’apprentissage dans le but de développer le modèle de l’employabilité à bon marché.

C’est pourquoi le SNES-FSU combat ce qu’il appelle « l’École du tri social et scolaire » que le gouvernement entend mettre en place. Le gouvernement prétend offrir une liberté de choix aux élèves, qui leur permettrait d’accéder à toutes les formations du supérieur. Au contraire, cette prétendue liberté amplifie les inégalités de genre, d’origine sociale ou de territoire.

Une enseignante du Lycée Marcel Sembat, Claire Guéville, a rappelé l’attachement du SNES-FSU à la mixité sociale et scolaire, l’importance des classes hétérogènes où les élèves progressent et grandissent au contact des autres.

« La recherche indique que les classes de niveau ont un effet insignifiant pour les élèves performants, tandis qu’elles ont un effet dévastateur sur les élèves de niveau plus fragile. Pire, les classes homogènes conduisent les enseignantes et enseignants à revoir les objectifs d’apprentissage à la baisse. De plus, elles entament un peu plus l’estime de soi des élèves les plus fragiles », souligne-t-elle.

Un financement public très élevé des écoles privées

Cette ségrégation scolaire est amplifiée par le développement des écoles privées, à 96 % catholiques en France, qui bénéficient d’un financement public à hauteur de 75 %. Le journal Le Monde, en éditorial, souligne le fait que les pratiques de nombre d’établissements du secteur privé s’écartent de l’objectif de mixité sociale. « Tandis que 40 % des élèves des collèges publics sont issus de familles défavorisées, ce n’est le cas que de 16 % de ceux du privé. Sélection des élèves les mieux dotés, renvoi vers le public des éléments aux résultats insuffisants, politique d’attribution des moyens creusent les inégalités avec le public. »

La laïcité falsifiée

Lors de la rentrée scolaire en septembre 2023, le ministre de l’Éducation, Gabriel Attal, a émis une directive ciblant les qamis et les abayas, considérés comme des habits religieux musulmans. Les congressistes du SNES-FSU ont fermement dénoncé cette instrumentalisation de la laïcité. « Le ministère a tenté de masquer les conditions de rentrée catastrophiques, essentiellement imputables à ses politiques de long terme contre l’école publique laïque. »

L’objectif de l’école laïque est de faire étudier l’ensemble des jeunes. Ce n’est pas le projet de celles et ceux qui prétendent défendre l’école laïque publique, alors que leur objectif est de stigmatiser les musulmans.

« Face à ces défis, la loi de 2004 et les conditions de son application doivent permettre l’accueil de l’ensemble des élèves sans discrimination et sans concession à l’égard des pressions ou du prosélytisme, affirme le SNES-FSU. Il ne faut être dupe d’aucune instrumentalisation et déjouer les pièges d’un gouvernement qui se dit laïque, mais favorise l’école privée, prétend faire respecter la laïcité afin de cibler les seuls musulmans ou les personnes perçues comme telles. Il abîme la laïcité, en voulant en faire une norme, ce qu’elle n’est pas par définition. »

Contre le Service national universel

Enfin, le SNES-FSU dénonce la généralisation du Service national universel (SNU) sur le temps scolaire dans les lycées. Pendant douze jours, ce projet vise à mettre la jeunesse au pas, en obligeant les jeunes à commencer leur journée par le lever des couleurs, ce rituel républicain pendant lequel on lève le drapeau français et on chante l’hymne national, La Marseillaise.

Le SNU contribuera à creuser encore davantage les inégalités sociales déjà si importantes, dénonce le SNES-FSU. En effet, seuls les enfants de nationalité française peuvent participer au SNU. Or, les enfants nés en France de parents étrangers ne peuvent obtenir leur citoyenneté française qu’à l’âge de leur majorité. Ils doivent alors manifester leur volonté de devenir Français.

C’est ainsi qu’un nombre important d’élèves sont exclus du SNU, parce que leurs parents sont d’origine étrangère. C’est un autre élément qui désorganise des lycées déjà profondément malmenés par les diverses réformes du gouvernement Macron.

Photo : Claire Guéville
Légende : Des élèves ainsi que des enseignantes et enseignants de plusieurs lycées dénoncent l’école du tri social, comme ceux du Lycée Marcel Sembat à Rouen en Normandie.