La prolifération des claims miniers

2023/04/12 | Par Marc Nantel

L’auteur est porte-parole du Regroupement Vigilance Mines Abitibi-Témiscamingue (REVMAT)
 

Depuis plusieurs mois au Québec, toutes les Municipalités régionales de comté (MRC) connaissent une croissance exponentielle de claims miniers sur leur territoire. Ces claims, qui permettent l’exploration minière, gèlent du même coup tout développement régional. Ainsi, plusieurs territoires avec de grandes richesses environnementales sont affectés par cet accaparement du sous-sol par des compagnies d’exploration et des spéculateurs provenant de tous les coins du monde.

Une demande a été déposée par l’UMQ et plusieurs municipalités afin d’imposer un moratoire sur l’acquisition de claims miniers, de revoir la primauté de la loi des mines et de réviser le règlement sur les Territoires incompatibles avec l’activité minière (TIAM).

Le gouvernement refuse d’imposer un moratoire. La ministre des Ressources Naturelles prétexte que cette mesure enverrait un mauvais message à la communauté internationale qui s’attend à ce que le Québec participe à la décarbonation de l’économie. Ne serait-ce pas plutôt parce que le gouvernement ne veut pas changer ses plans de peur d’être décoté par l’institut Fraser comme milieu propice à l’exploitation minière?

Toutefois, une consultation en ce sens auprès des différents intervenants et de la population est prévue en avril. Sans un moratoire, l’acquisition des claims continuera donc de fragiliser les régions puisqu’il ne sera pas possible de les retirer même s’il y a modification du règlement sur les TIAM.
 

Qu’est-ce qui a déclenché cet engouement pour les claims?

La cause des changements climatiques ayant été associée en grande partie à notre consommation d’hydrocarbures, nos dirigeants y ont vu de nouvelles opportunités économiques. On cherche un substitut au pétrole sans avoir à changer notre régime de vie. Selon les défenseurs de l’économie à tout prix, la décroissance n’est pas viable.

L’industrie mondiale a donc le champ libre pour régler le problème à sa façon. L’électrification des transports est la solution retenue afin de contrer la catastrophe écologique annoncée. Aucun consensus scientifique n’est recherché. Le lithium, le graphite, le nickel, le cobalt, le zinc, le cuivre et plusieurs autres métaux deviennent les ressources à exploiter pour créer des batteries. La course aux métaux critiques et stratégiques (MCS) est déclenchée au bénéfice des minières.

Cette course à l’électrification des transports est à l’origine de plusieurs décisions politiques qui favoriseront l’exploitation minière au Canada. Nous n’avons qu’à penser aux différends entre les États-Unis et la Chine. Le protectionnisme américain tente de mettre fin à l’hégémonie de la Chine sur la filière batterie et les produits électroniques. Le Canada devient donc officiellement un des grands fournisseurs de métaux pour les États-Unis. Le tout se confirme avec les engagements annoncés dans le dernier budget fédéral.

Le gouvernement Legault flaire aussi l’opportunité économique. Il déclenche une stratégie afin de positionner le Québec sur l’échiquier mondial comme le fournisseur tout désigné des MCS. Il dépose dans son premier mandat son « Plan québécois pour la valorisation des MCS 2020-2025. »1. Il cherche à explorer le potentiel du Québec en MCS en cartographiant et en collectant des données2 sur la province au complet afin de mieux connaître le potentiel des métaux disponibles. Il espère ainsi précipiter l’ouverture de nouvelles mines afin de gagner la course mondiale de la production de batteries. C’est cette orientation politique qui a engendré la prolifération de claims au Québec.
 

Le claim minier et ses impacts

La Loi sur les mines a été votée en 1880. Copiée sur la législation du Canada-Uni et celle en vigueur en Californie, cette loi légalise le principe de free mining. Toute personne provenant de n’importe où au monde peut acquérir un claim afin d’explorer le sous-sol. De nos jours, il est possible d’acquérir en ligne sur le site GESTIM3 un ou plusieurs claims pour la modique somme d’environ 70 $ le claim. L’acquisition de ce claim permet l’accès au sous-sol pour un minimum de deux ans et le permis est renouvelable. Cette acquisition paralyse automatiquement tout autre développement à cet endroit.

Afin de donner au MRC un certain pouvoir sur la gestion de son territoire, le règlement des Territoires incompatibles à l’activité minière (TIAM) a été mis en place. On y définit le territoire au sens de la Loi sur les mines comme étant : «un territoire dans lequel la viabilité des activités (urbaines, résidentielles, agricoles, etc.) serait compromise par les impacts engendrés par l’activité minière, que ces territoires soient situés en terres privées ou en terres publiques».

Néanmoins, le document sur l’orientation gouvernementale en matière d’aménagement du territoire intitulé « Pour assurer une cohabitation harmonieuse de l’activité minière avec les autres utilisations du territoire » encadre et limite le pouvoir des MRC. Une MRC ne peut donc pas retirer des territoires qui ont des qualités environnementales, des lacs ou des zones jugées sensibles, car elle contreviendrait à l’objectif de « cohabitation harmonieuse ». En résumé, les territoires urbains, les agglomérations et les sources d’eau pour les municipalités sont couverts par la règlementation des TIAM, mais tous les autres milieux sensibles ne le sont pas. C’est le ministre des Ressources naturelles qui a le dernier mot et non les MRC.

Il est à noter qu’un simple propriétaire peut refuser l’accès à sa propriété. Le prospecteur « doit obtenir une autorisation écrite du propriétaire pour accéder au terrain et y faire des travaux d’exploration le cas échéant » et « informer le propriétaire du terrain ainsi que la municipalité locale concernée des travaux qui seront exécutés au moins 30 jours avant le début de ces travaux ».

Il n’y aura pas de gros travaux sur tous les claims. Les travaux vont varier en intensité selon les analyses qui auront été faites lors des premiers prélèvements. Il peut s’agir de simples observations visuelles et d’échantillonnages de surface, mais on peut aussi se retrouver avec plusieurs forages à quelques mètres de distance, à des aménagements de routes de pénétration et du dynamitage sans que l’entrepreneur ne soit inquiété. Seuls quelques claims pourront se traduire en exploitation comme insiste l’Association de l’exploration minière. Malheureusement, plusieurs de ces travaux d’exploration auront un impact majeur sur le milieu, d’où l’importance de bien délimiter à l’avance les territoires qui doivent être protégés de l’activité minière.

Dans un contexte d’euphorie mondiale d’extractivisme, il faut donc mettre une pause sur l’allocation des claims afin de choisir correctement les zones réservées à l’exploitation minière. Les milieux environnementaux de valeur comme les lacs, les milieux humides, les écosystèmes de grande qualité ou encore les milieux touristiques devraient être exclus de l’activité minière.

Il faut en finir avec la primauté de la Loi sur les mines et pouvoir mettre fin à un claim sans avoir à payer de compensations pour perte économique.