L’énoncé économique de la ministre Chrystia Freeland

2023/12/06 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois
 

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, vient de présenter son énoncé économique de l’automne. Même si un énoncé n’a jamais l’ampleur d’un budget, la pauvreté de son contenu est telle qu’on se demande pourquoi le gouvernement l’a présenté.

Si un budget énonce des orientations, des priorités et différentes mesures gouvernementales, un énoncé économique a une vocation plus modeste. Il vise à offrir une mise à jour en fonction de l’évolution de la conjoncture depuis le dernier budget et la réponse du gouvernement pour faire face à ces changements intervenus. Mais, surtout, il expose les mesures que le gouvernement entend prendre pour faire face aux urgences survenues depuis la présentation du budget. Et des urgences, il y en a tout plein.
 

Rien pour les urgences

Malheureusement, le gouvernement libéral a choisi de ne répondre à aucune de ces urgences dans son énoncé. Nous attendions, par exemple, la création d’un fonds d’urgence pour l’itinérance, afin d’aider les villes et les municipalités à soutenir les sans-abris sur leur territoire. Avec l’hiver et le temps froid, un geste humanitaire minimal s’imposait.

L’occasion était aussi belle pour hausser le montant de la pension de sécurité de vieillesse pour les aînés dès 65 ans – et non seulement à partir de 75 ans – afin d’offrir à ces personnes un répit face à l’inflation et mettre un terme à l’existence de deux classes d’aînés. Ce rattrapage et les autres mesures d’urgence auraient facilement pu se financer en mettant fin aux subventions à la richissime industrie pétrolière.

En ne répondant pas aux urgences, le gouvernement de Justin Trudeau confond la rigueur budgétaire et l’inaction. Autre exemple : avec les revenus publicitaires qui sont essentiellement accaparés par les géants du web comme Facebook, les médias font face à une crise majeure. C’est particulièrement le cas pour les radios et journaux régionaux. Ils ferment l’un après l’autre.

La ministre devait au minimum créer un fond d’urgence de court terme pour éviter l’hécatombe. Elle a préféré bonifier légèrement son crédit d’impôt déjà existant pour les quelques journaux qui entrent dans ses critères, laissant tomber la majorité des médias régionaux. Son action ne règlera en rien l’hécatombe.

Une autre urgence concerne les milliers de PME qui risquent la faillite. Le gouvernement devrait repousser l’échéance du remboursement du prêt d’urgence de la pandémie étant donné le contexte économique défavorable. Pour la ministre des Finances, la mesure serait trop coûteuse, mais elle refuse d’évaluer le coût lié à la faillite potentielle de milliers de PME, qui pourrait bien coûter encore plus cher à l’État et à l’économie dans son ensemble.
 

L’habitation

La seule urgence soulevée dans l’énoncé économique concerne l’habitation. Ottawa doit en effet en faire beaucoup plus, et particulièrement pour le logement social. Malheureusement, le gouvernement se contente de promesses électorales. La ministre s’engage à rajouter de l’argent seulement après les prochaines élections. Le délai de plus de deux ans est inacceptable, surtout lorsqu’on sait qu’une fois que l’argent est voté, ça prend entre deux et trois années de plus avant qu’il soit disponible. Rappelons-nous que les 900 millions $ finalement annoncés pour le Québec cet automne ont été votés il y a deux ans!

Face à l’urgence, nous avions proposé à la ministre un fonds d’acquisition pour les OBNL, ainsi qu’un programme de prêts sans intérêt ou à très faible taux, afin de stimuler la construction de logements locatifs sociaux abordables, en attendant une politique complète dans le prochain budget.

La ministre apporte une bonne mesure concernant AirBnB : les logements devront respecter les règles municipales sans quoi les personnes ou entreprises qui les gèrent n’auront plus accès aux déductions fiscales fédérales liées à leur exploitation.
 

Une idée de Poilièvre

Une moins bonne mesure est la création d’un nouveau ministère spécialisé dans l’ingérence : le ministère du Logement, de l’Infrastructure et des Communautés. Le but de ce ministère est d’imposer les conditions du fédéral au Québec, aux provinces et aux municipalités. Si celles-ci n’acceptent pas l’intervention fédérale, Ottawa leur couperait les transferts.

Les libéraux volent au chef conservateur une idée incluse dans son projet de loi C-356 : menacer les municipalités de leur couper les transferts. Le projet de loi de Pierre Poilièvre oblige les municipalités à augmenter les mises en chantier de 15% par rapport à l’année précédente. Pour les municipalités où les coûts d’habitation sont élevés – et la liste est de plus en plus longue – le chef conservateur propose de leur couper les transferts pour la taxe d’essence et pour le transport en commun de 1% pour chaque pourcentage d’écart par rapport à son objectif de 15%.

À titre d’exemple, comme les mises en chantier ont diminué de 60% au Québec cette année plutôt qu’augmenter de 15% – essentiellement en raison de la hausse des taux d’intérêt – ça aurait représenté une coupe de 75% des transferts. Les conservateurs terrorisent les municipalités, et les libéraux les copient!

Il s’agit évidemment d’un projet dangereux, inéquitable. Le fait que la ministre Chrystia Freeland reprenne le principe de ce projet de loi constitue une offensive majeure de centralisation des pouvoirs. L’objectif des municipalités et des provinces sera fixé par Ottawa, sous peine de coupe des transferts.
 

Une idée de Pierre Elliot Trudeau

Cette centralisation s’opérera par leur nouveau ministère. Il est utile de rappeler que le gouvernement de Trudeau père avait déjà essayé de faire grosso modo la même chose. En 1971, il avait créé le ministère des Affaires urbaines. En raison des champs de compétences et de l’opposition des provinces, ce ministère n’était responsable d’aucun programme. La tentative d’ingérence du gouvernement Trudeau père dans les affaires municipales s’est soldée par un échec et le ministère fut aboli quelques années plus tard.

Les prochaines années nous diront si Québec et les provinces seront encore une fois en mesure de défendre leurs juridictions. En attendant, nous pouvons nous rappeler la célèbre citation de Marx : « Tous les grands évènements et personnages de l’histoire du monde se produisent pour ainsi dire deux fois… la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide… »

L’énoncé montre que le gouvernement désire utiliser la même stratégie pour forcer les provinces à permettre la mobilité de la main-d’œuvre entre les provinces, en particulier pour les infirmières, et tant pis pour le respect du français!
 

Des attentes laissées en plan

Les attentes envers l’énoncé économique étaient basses et on le prévoyait économe, mais ne répondre à aucune urgence, ça défie l’entendement. Les travailleuses et travailleurs espéraient une réforme de l’assurance-emploi. Il n’y a même pas une mesure pour les travailleurs saisonniers du secteur des forêts. Les feux de cet été les empêchent d’obtenir le nombre d’heures requis pour se qualifier à l’assurance-emploi.

Le milieu culturel s’attendait à une reconduction des programmes actuels dont l’échéance arrive sous peu. Pas une pensée pour les arts dans l’énoncé. Même chose pour les agriculteurs, alors que les inondations de cet été mettent en danger le secteur maraîcher et horticole. Enfin, au moment où le prix des aliments ne cesse d’augmenter, pas un mot sur le milliard promis pour les programmes de petits déjeuners dans les écoles. De toute évidence, avec le manque de vision du gouvernement, il faudra que ça aille mal avant de pouvoir aller mieux!