Ingérences dans les champs de compétence du Québec

2024/03/27 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois
 

Plus libre est le Québec, mieux il se porte ! C’est l’objectif qui nous anime et dicte nos attentes en vue du prochain budget fédéral. Toutes les grandes avancées sociales et économiques du Québec, nous les avons réalisées en nous retirant de programmes fédéraux mal adaptés à nos besoins, ou en créant des programmes qui inspireront, ironiquement, ceux qu’ils veulent nous imposer.
 

D’éloquents précédents

C’est en refusant d’adhérer au Régime de pension du Canada qu’on a pu créer la Caisse de dépôt, formidable levier de développement et de modernisation économique du Québec. C’est en se retirant des insuffisantes prestations spéciales de l’assurance-emploi qu’on a pu mettre en place nos congés parentaux, faisant exploser la participation des femmes au marché du travail et permettant de concilier le travail et la vie familiale.

C’est en se retirant des prêts étudiants fédéraux qu’on a pu mettre en place notre régime d’aide financière, faisant du Québec l’endroit en Amérique du Nord où l’éducation est la plus accessible. C’est en se retirant des programmes fédéraux de main-d’œuvre qu’on a pu mettre en place une politique d’emploi où, en assoyant ensemble les travailleurs, les employeurs et les institutions d’enseignements, on arrive à arrimer la formation avec le marché du travail.

Le moment est propice pour mettre fin aux ingérences, source de fouillis et de gaspillage. Dans une conjoncture économique qui combine la persistance de l’inflation et la stagnation économique, le gouvernement doit mieux cibler chaque dollar dépensé pour en maximiser l’impact. Ça signifie de mieux se concentrer sur les domaines qui sont les siens, comme le soutien aux aînés ou la réforme de l’assurance-emploi.

Ça signifie aussi payer ce qu’il doit au Québec, comme le milliard de dollars pour couvrir les dépenses liées aux demandeurs d’asile. Ottawa doit aussi faire mieux pour répondre aux urgences actuelles comme le logement ou les changements climatiques. Il doit mieux contrôler ses dépassements de coûts et surtout arrêter de multiplier ses ingérences dans les domaines qui ne sont pas les siens.
 

De nouvelles ingérences

Année après année, budget après budget, le gouvernement fédéral multiplie les ingérences dans les domaines qui ne relèvent pas de sa juridiction. Il est temps que ça cesse. Le Bloc Québécois exige un droit de retrait avec pleine compensation financière pour le Québec, et ce, sans condition, pour chacune des ingérences d’Ottawa dans les domaines qui ne sont pas les siens.

Le dernier exemple est le projet d’assurance dentaire. S’inscrivant dans un champ de compétence, la santé, qui relève uniquement de Québec, Ottawa s’arroge un nouveau pouvoir, choisit d’en confier la gestion à une multinationale et ne fait aucun arrimage avec le programme public québécois qui couvre déjà les soins aux enfants.

Si le gouvernement fédéral choisit de présenter un programme d’assurance-médicaments – compétence qui relève aussi strictement de Québec – on peut s’attendre à davantage de centralisation et à un important risque de non-arrimage avec le programme québécois. Le Bloc Québécois pose donc comme condition ferme le droit de retrait avec pleine compensation pour le Québec.

Les exemples d’ingérence sont nombreux. L’automne dernier, le gouvernement a présenté un projet de loi pour mettre en place des tables sectorielles sur la formation de la main-d’œuvre. Ce programme est déjà opérationnel au Québec. Ottawa n’en tient pas du tout compte et propose de le dupliquer, sans aucun arrimage et sans aucune compensation.

Ce n’est pas un cas isolé. Qu’on pense au financement des infrastructures québécoises et municipales ou au logement, où Ottawa multiplie les programmes ciblés et compliqués, créant une lourdeur et une confusion qui retarde la réalisation des projets. Ou encore à la santé où, lors des derniers budgets, Ottawa a mis en place des initiatives en santé mentale, en santé des femmes, en santé reproductive et en santé des Noirs. Tout cela sans offrir aucun service, alors que le réseau de la santé crie famine.
 

Une tendance lourde

Le recul de l’autonomie du Québec et de la capacité des Québécois de faire leurs propres choix est une tendance lourde. L’Institut de recherche en politique publique, un groupe de recherche pancanadien basé à Ottawa, concluait en juin dernier que « la tendance actuelle est à une utilisation plus directive du pouvoir de dépenser […] le degré de collaboration fédéral-provincial dans la définition des objectifs a diminué, les partenariats semblent désormais conditionnels à l’acceptation par une province de la vision politique du gouvernement fédéral ».

Tout ça, dans un contexte où Ottawa s’occupe très mal des questions qui relèvent de sa juridiction, multiplie les dépenses sans se soucier des résultats et d’efficacité. Il coupe les transferts aux provinces en multipliant les conditions et se traîne les pieds lorsqu’il s’agit de respecter ses propres engagements financiers. Pensons aux transferts en santé, dont les versements sont six fois moindres qu’attendu, tout en étant assortis de conditions qui entraînent une partie de bras de fer. L’argent tarde à être versé. Les délais sont tout aussi inacceptables dans le cas des programmes d’infrastructures ou de logements. Des années s’écoulent avant d’arriver à une entente et de voir l’argent voté être versé.
 

Le siècle du Québec

Le 21e siècle, c’est le siècle du Québec. Le siècle de l’innovation, des technologies de pointe, des technologies vertes qui concilient création de richesse et écologie. Le siècle de la créativité dont nous avons à revendre dans tous les domaines.

Le siècle des énergies renouvelables et du développement durable, où nous aurions tout — eau, vent, forêt, savoir-faire — pour être des leaders mondiaux, si Ottawa arrêtait de pomper des milliards de dollars dans les énergies fossiles. Le modèle canadien, pétrolier, et le modèle québécois, renouvelable et durable, sont incompatibles.

Le siècle des circuits courts en agriculture, où notre production vise d’abord à nourrir notre population dans un monde marqué par des circuits commerciaux longs, moins fluides. Il nous faut préserver cette agriculture diversifiée, au moment où elle est bousculée par les aléas de l’environnement mondial et les changements climatiques.

Mais c’est aussi un siècle de tensions sociales, où une hausse des inégalités entraîne une perte d’espoir dans un avenir meilleur un peu partout en Occident. Notre État doit avoir les moyens de préserver la cohésion sociale. En particulier, la crise du logement et la hausse du prix des propriétés constituent un défi urgent. Sans compter la préservation du pouvoir d’achat de nos aînés, dont l’appauvrissement aurait des conséquences funestes sur l’économie avec le vieillissement de la population.

Un siècle où les réseaux sociaux mondialisés risquent d’entraîner l’affaiblissement des cultures nationales et l’effondrement des médias nationaux et régionaux d’information, alors même que la diversité des expressions culturelles fait la beauté du genre humain. Peuple minoritaire, les Québécois sont aux premières lignes.

Un siècle où les plaques tectoniques de la géopolitique bougent, comme jamais vu dans l’histoire récente, menaçant de fragiles coexistences, créant des tensions migratoires et appelant un déploiement humanitaire sans précédent.

Le budget 2024 s’inscrit dans un contexte où les besoins sont criants et nombreux, mais où les ressources ne sont pas illimitées. La seule façon pour Ottawa d’y faire face, c’est de ne faire que ce qui relève de ses compétences, et de bien le faire. C’est cette utilisation rationnelle et bien ciblée des ressources qui nous permettra d’éviter une austérité tous azimuts dont on souffrirait tous.