Chalk River, la mobilisation est en cours

2024/01/26 | Par Monique Pauzé

L’autrice est députée du Bloc québécois

Il y a quelques jours, au terme de plusieurs « rondes de travaux et de consultations » ayant commencé en 2016, la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) s’est prononcée pour le projet d’installation de gestion des déchets près de la surface (IGDPS) de Chalk River. L’opposition à ce dépotoir radioactif à ciel ouvert est indéniable : une multitude de communautés autochtones, des groupes citoyens, des scientifiques et plus d’une centaine de villes et municipalités réparties autour de la rivière des Outaouais, dont Ottawa, Montréal et Gatineau.

Pour contextualiser les enjeux reliés à ce projet, et saisir à quel point l’autorisation donnée est hautement condamnable, voire absurde, je crois pertinent de l’aborder à la lumière d’une étude du Comité permanent de l’environnement de la Chambre des communes portant spécialement sur la gouvernance du Canada en matière de déchets radioactifs. Tenue en 2022 et conclue par un rapport déposé aux élus fédéraux, l’étude est absolument pertinente aujourd’hui.

D’entrée de jeu, on rappelle que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a formulé des suggestions et recommandations à la CCSN en 2019, lors de l’examen des pairs effectué par la mission de Service d’examen intégré de la réglementation.  De ce fait, nous avions la confirmation, malgré les fiertés gouvernementales exprimées, que le Canada n’était pas irréprochable en la matière et cela justifiait que les élus fédéraux se penchent sur la question.

Plusieurs l’ont décrié : le principe essentiel visant à conserver les déchets radioactifs loin des sources d’eau potable n’est pas respecté et à bien des égards, le projet est en opposition avec les recommandations et directives de l’AIEA, de même qu’avec les cinq principes convenus et adoptés par les dirigeants de 133 Premières Nations en Ontario.

Il y a une absence de considération pour les dangers possibles liés à l’emplacement du projet et son sous-terrain, des dangers qui attirent moins l’attention que les risques de contamination de cours d’eau, affluents du fleuve, où potentiellement des millions de personnes puisent leur eau potable.

Oppositions légitimes

De plus, Chalk River est situé à la jonction de fractures géologiques et dans la zone de séismes de l’ouest du Québec, une ceinture sismique qui recouvre la vallée de l’Outaouais, les Laurentides et certaines portions de l’Est ontarien. Le volume de déchets radioactifs divers qui seront enfouis à ciel ouvert est majeur. Des témoins et experts ont soulevé le problème du manque de clarté dans l’identification des substances qui seront introduites au monticule.

Les oppositions au projet sont absolument légitimes.

Plusieurs témoins à cette étude ont abordé avec justesse les caractéristiques physiques des déchets radioactifs canadiens, soulignant la redéfinition de ce qu’est un déchet radioactif de moyenne activité, dissimulée dans un « règlement-fleuve » de la CCSN adopté en juin 2020. William Turner, retraité d’Énergie atomique du Canada limitée et résident de Deep River, a déposé au comité un feuillet assez précis sur cette question.

Gilles Provost, journaliste scientifique et témoin lors de cette étude, en faisait état dans Le Devoir du 13 juin de la même année : « […] on se heurte alors à une absurdité scientifique : l’activité d’un produit radioactif, en physique, c’est sa vitesse de désintégration. Plus il se désintègre rapidement, plus son activité est forte. Cela veut dire qu’un produit radioactif de [plus] forte activité selon la physique serait maintenant un déchet de faible activité selon la nouvelle définition décrétée par la CCSN ! »

Cette nouvelle définition a des effets concrets, puisque l’IGDPS de Chalk River est conçue pour n’accueillir que des déchets de faible activité. Résultat obtenu? Des déchets considérés comme étant de moyenne activité par la science physique se retrouveront dans le monticule, puisque désormais considérés comme étant de faible activité.

Pour les communautés autochtones de Kebaowek et de Kitigan Zibi, le processus choisi par la CCSN constitue un échec de son devoir de consulter correctement.

Les communautés autochtones, outre les propos tenus ou envoyés par leurs représentants durant l’étude en comité parlementaire en 2022 — propos troublants évoquant le caractère « coercitif » de l’approche consultative —, s’appuient à juste titre sur l’article 29.2 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, selon lequel aucune décision concernant le stockage des déchets nucléaires, la mise en place de petits réacteurs modulaires, le transport ou le déclassement ne peut être prise sans un consentement libre, préalable et éclairé.

« […] Nous pourrions vous l’expliquer, mais vous ne le comprendriez pas de toute façon. Nous vous donnerons tous les renseignements et vous ne les comprendrez pas. » Cet extrait du témoignage de Reg Niganobe, chef du Grand Conseil de la nation anichinabée et témoin à l’étude de 2022, est choquant : quand un représentant du secteur s’exprime ainsi, je pense que le climat qu’on souhaite instaurer est incroyablement malsain et méprisant. Des groupes allochtones ont également eu droit à ce type « d’approche » dans des processus similaires. Leurs mémoires déposés dans le cadre de l’étude en comité en font foi.

S’il y a effectivement une volonté politique de considérer les communautés touchées plus directement par ces enjeux, il faut alors leur accorder la considération qu’ils méritent.

Réconciliation? Consultations participatives? Processus transparents et respect des normes de l’AIEA? La CCSN relève du ministre Jonathan Wilkinson et la mobilisation contre Chalk River va demeurer. Le gouvernement fédéral aurait intérêt à se raviser… Il a l’autorité pour le faire.