« Nous nous repositionnons sur nos propres bases, avec les valeurs qui sont les nôtres depuis notre création il y a 20 ans, c’est-à-dire l’autonomie et l’indépendance », nous déclare d’entrée de jeu Jean-Claude Drapeau, rencontré dans les bureaux de la Fédération autonome du collégial (FAC) sur la rue Berri à Montréal.
Prof d’éducation physique, coureur de fond – il vient de participer à deux marathons et se prépare pour un troisième – , le président de la FAC reconnaît que la dernière année a été difficile pour ce syndicat d’enseignantes et d’enseignants de cégep.
La FAC est sortie plutôt amochée par le décret imposé par le gouvernement Charest au secteur public en décembre 2005. À cause d’une égalité de 8 syndicats pour/8 syndicats contre, la FAC n’a pas ratifié l’entente de principe entérinée – le fusil sur la tempe, il est vrai – par les deux autres syndicats de profs de cégep, soit la FNEEQ-CSN et la FEC-CSQ.
« À cause de cela, nous avons été privé du bonbon donné en prime par le gouvernement aux deux autres syndicats », explique Jean-Claude en faisant référence à une vieille dette, datant du Sommet du Déficit zéro sous Lucien Bouchard, dont la récurrence va s’estomper par la modification d’entrée en vigueur des augmentations salariales annuelles.
« Concrètement, précise-t-il, si rien ne change, cela signifie que nous ne toucherons l’augmentation de salaire prévue pour 2009 que le 1er décembre, plutôt que le 1er juin comme ce sera le cas pour les profs de la FNEEQ et de la FEC. »
Mais la FAC a mis le pied dans la porte qui s’est entrouverte lorsque le gouvernement a accepté de revoir les conditions du décret avec la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN pour une mise à parité avec les autres syndicats. « Nous avons été en exploration avec le gouvernement au printemps dernier et il y a une ouverture. Nous allons consulter nos membres cet automne pour obtenir un mandat de négociation », affirme le président de la FAC.
Entente entre les trois fédérations sur la profession enseignante
Bien que la FAC soit née d’une scission de la FNEEQ-CSN et que ses tentatives de rapprochement avec la FEC-CSQ l’an dernier aient échoué – nous y reviendrons – cela n’empêche pas les trois syndicats de collaborer sur certains dossiers. Un de ceux-là découle de l’entente de principe intervenue avec le gouvernement et porte sur la définition de la profession enseignante.
« Nous sommes à finaliser un texte commun aux trois fédérations et j’ai confiance que nous pourrons déposer un rapport conjoint pour la date d’échéance du 1er mars 2008 », nous dit Jean-Claude qui y voit une base intéressante pour revendiquer davantage de ressources pour les cégeps.
« C’est important parce qu’il y a un virage important à prendre. On célébrera l’an prochain le 40e anniversaire des cégeps. Si l’on considère qu’une carrière d’enseignant dure 35 ans, il est clair que nous sommes en plein cœur d’une phase de mutation dans les rangs professionnels », nous invite-t-il à réaliser.
Une mutation qui se superpose à d’autres mutations. Celles du déclin démographique de certaines régions, d’une part, et de l’ouverture à la mondialisation d’autre part.
« D’importants problèmes se posent pour certains programmes dans des cégeps. Il y a pénurie de profs, parce que les profs d’expérience partis à la retraite ne sont pas remplacés. Mais il y a aussi pénurie d’effectifs étudiants », constate Jean-Claude.
Une solution serait la formation à distance que les cégeps expérimentent, mais le président de la FAC craint que des entreprises actives au plan international cherchent à court-circuiter notre système d’éducation pour offrir ces formations à distance. La FAC a d’ailleurs parrainé un atelier sur la question au dernier Forum social québécois.
L’accessibilité passe par la gratuité scolaire
Quand on l’interroge sur l’attitude de la FAC face à une éventuelle grève étudiante, Jean-Claude Drapeau n’hésite pas un seul instant à réaffirmer l’appui de son syndicat au principe de la gratuité scolaire.
« Nous allons dans la mauvaise direction avec la hausse des frais de scolarité et des frais afférents. Nous proclamons que l’éducation est le moteur du développement de la société, nous constatons que les savoirs sont de plus en plus complexes, mais nous n’en tirons pas les conséquences. Pourtant, c’est la démocratisation de l’éducation qui a fait du Québec ce qu’il est aujourd’hui. Pour nous à la FAC, il est clair que l’accessibilité passe par la gratuité. Nous avons d’ailleurs donné notre appui à l’ASSÉ sur cette revendication. »
Comment cet appui s’exprimera-t-il ? « Nous allons voir, nous dit Jean-Claude. Mais il faut se rendre compte que le décret nous menotte en nous interdisant toute action concertée. C’est là qu’on voit que le décret ne visait pas que les intérêts soi-disant « corporatistes » des organisations syndicales. »
La FAC suit avec intérêt le développement du SISP
Tout ce contexte pousse la FAC à s’interroger sur l’avenir du mouvement syndical québécois et à sa propre place dans ce mouvement. « Nous avons mis fin à notre rapprochement avec la FEC parce que le lien avec la CSQ nous posait problème. Nous questionnons la pertinence de l’appartenance à une centrale », de reconnaître Jean-Claude en rappelant les vingt années d’autonomie et d’indépendance de sa fédération.
Cependant, comme tout véritable syndicaliste, il sait que le principe de base du syndicalisme demeure « l’union fait la force ». Mais cette unité syndicales peut prendre plusieurs formes. Il reconnaît suivre avec intérêt le développement du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP), qui regroupe 350 000 membres, soit de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ), du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) et de l’Association du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).
« Ce sera une année charnière pour le SISP », déclare-t-il en référence à la forme organisationnelle que prendra le regroupement.
Pour Jean-Claude Drapeau, il est clair que le monde syndical n’échappe pas à la mutation en cours des institutions de la Révolution tranquille. « Il y a mutation du monde du travail qui s’accompagne d’un changement de la garde », souligne-t-il. Pour favoriser le rapprochement organisationnel et aller même au-delà de ce rapprochement, « il faut, selon lui, se donner des causes communes et des actions militantes communes; il faut des leaders syndicaux capables de composer avec l’ensemble dans le respect mutuel, capables de proposer des points de ralliement ».
« Cependant, lance-t-il, le mouvement syndical porte son propre cancer. Chaque période de négociation est précédée d’une période de maraudage. Cela nous affaiblit considérablement ».
Quelle forme prendra l’unité syndicale au Québec ? Contrairement aux États-Unis où l’unité organisationnelle du mouvement syndical est un thème récurrent, le Québec s’est très bien accommodé d’une grande diversité d’allégeances syndicales, particulièrement dans le secteur public, parce que l’unité est en quelque sorte imposée d’en haut par le gouvernement à travers la table centrale de négociations.
Une unité plus souple, plus respectueuse des caractéristiques propres à chaque organisation est-elle possible? Jusqu’à maintenant, nos organisations syndicales ont été créées et se sont développées en grande partie sur le modèle du syndicalisme industriel classique. Peut-être qu’à l’âge des nouvelles technologies, d’autres modèles organisationnelles sont à inventorier ?
« Chose certaine, nous assure Jean-Claude Drapeau, la FAC est désireuse de continuer à pratiquer le syndicalisme de proximité qui la caractérise ». Quant à la forme des liens que la FAC tissera avec les autres organisations, on sent qu’il n’y aura pas de précipitation. Rappelons que son président est un coureur de fond.
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