Espérons que vous saurez
saisir cette deuxième chance,
monsieur le ministre
M. Jacques P. Dupuis, ministre responsable
de la Réforme des institutions démocratiques
Monsieur,
Vous êtes de nouveau ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques en plus de vos accaparantes fonctions de leader parlementaire du gouvernement, de ministre de la Sécurité publique et de ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes.
J’espère qu’il vous restera assez de temps à consacrer à cette responsabilité, car votre passage à ce poste, de 2003 à 2005, n’a pas été couronné de succès. En laissant en plan le projet de réforme du mode de scrutin, vous avez déçu les attentes d’une foule des citoyens qui considèrent que l’instauration d’un scrutin proportionnel constitue un moyen essentiel pour commencer à revitaliser notre démocratie québécoise.
Rappelons que vous aviez été chargé de réaliser l’engagement que le gouvernement Charest avait pris, en juin 2003 dans le discours inaugural de la session, de présenter, dès le printemps 2004, un projet de loi réformant le mode de scrutin majoritaire actuel en y «introduisant des éléments de proportionnalité pour assurer une meilleure représentation de la volonté des électeurs».
Peu après votre entrée en fonction, vous sembliez optimiste faisant savoir que vous espériez que la loi électorale soit amendée en ce sens avant la fin de 2004. Cette annonce laissait espérer que les élections suivantes – celles de 2007 – pourraient se dérouler sous l’empire d’un nouveau mode de scrutin, comme les médias l’ont alors noté.
Mais, à peine quelques semaines plus tard, il a fallu déchanter lorsque vous avez déclaré péremptoirement et sans explications que l’instauration de la réforme ne se ferait pas à temps pour les prochaines élections.
En fait, au cours l’automne 2003, on a constaté que la volonté politique faiblissait de plus en plus.
Par la suite, non seulement n’avez-vous pas respecté le délai du printemps 2004 fixé dans le discours inaugural, mais lorsque vos propositions ministérielles ont été rendues publiques, en décembre 2004, c’était sous la forme d’un simple avant-projet de loi, un genre de livre blanc rédigé sous forme juridique.
Des propositions inacceptables
De plus, le contenu de vos propositions était très décevant. Elles se réclamaient du scrutin mixte compensatoire, un excellent système adopté notamment par l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande et l’Écosse.
Mais elle déformait ce dernier en le dépouillant de ses principales caractéristiques de telle façon que la version québécoise aurait continué à préserver les privilèges qu’accorde aux deux principaux partis le scrutin majoritaire actuel.
C’est ainsi qu’il n’y aurait pas eu de deuxième vote à la proportionnelle pour élire les députés de compensation qui permettent d’éliminer les distorsions causées par le scrutin majoritaire actuel entre les résultats du vote et la répartition des sièges parlementaires.
Tous les députés auraient continué à être élus au seul scrutin majoritaire.
Avec la création de plus de 25 districts électoraux, les tiers partis auraient toujours été traités avec autant d’injustice, le seuil effectif leur permettant de faire élire des députés à l’Assemblée nationale étant estimé à quelque 15% des suffrages.
Il était donc évident qu’avec cette proposition, monsieur le ministre, vous cherchiez surtout à éliminer les distorsions pouvant affecter éventuellement le Parti libéral vous préoccupant peu d’être équitable envers les autres partis surtout les tiers partis en émergence.
Inutile de rappeler qu’elle a été mal accueillie par les nombreuses associations citoyennes intéressées par le dossier. Puis, dans les mois précédant le départ de votre poste au début de 2005 vous avez cessé de vous occuper du dossier.
Ce n’est qu’un an plus tard, soit au début de 2006, que votre successeur, l’ex-ministre Benoît Pelletier, a enfin consulté la population par le biais d’une commission parlementaire assistée d’un comité citoyen de type consultatif.
Comme il fallait s’attendre, les modalités de votre avant-projet de loi ont été vivement critiquées par la plupart des 2 000 groupes et citoyens qui ont participé à cette commission parlementaire où le nombre d’intervenants a marqué un record dans l’histoire du parlementarisme québécois.
De forts consensus – de l’ordre de 90% et plus – se sont alors exprimés en faveur de certaines dispositions pour rétablir l’intégralité du système mixte à l’allemande, telle l’introduction de deux votes ainsi que le calcul de la compensation au niveau national plutôt que régional.
Dans les limbes parlementaires
À la fin de cette consultation, le ministre Pelletier a déclaré qu’il espérait être en mesure de présenter un projet de loi avant la fin de 2006.
On a su par la suite que cette législation en élaboration corrigerait probablement les principaux irritants de votre avant-projet de loi en permettant notamment un deuxième vote à la proportionnelle et en établissant que la compensation se ferait au niveau des régions administratives et non pas sur le base de 26 ou 27 districts.
Mais, nouveau coup de théâtre, un peu avant l’expiration de délai qu’il s’était fixé en décembre, M. Pelletier a déclaré forfait en annonçant qu’il avait référé le dossier du mode de scrutin au directeur général des élections pour avis.
C’était un nième renvoi aux calendes grecques depuis 40 ans dont il s’agissait en réalité. On n’a plus reparlé du sujet à l’Assemblée nationale depuis. Il flotte en suspens dans les limbes parlementaires, semble-t-il…
Pourtant un an plus tard, en décembre 2007, le directeur général des élections répondant à la commande du ministre Pelletier a rendu public un intéressant rapport
Le document valide notamment l’hypothèse qu’on pourrait concilier compensation nationale et compensation régionale en la calculant au niveau national et en l’appliquant au niveau régional tel que l’avait proposé le comité citoyen chargé de conseiller la commission parlementaire de 2006.
C'est sur ce point crucial que les débats avaient surtout achoppé. Même si la plupart des intervenants avaient alors favorisé une compensation nationale, les élus municipaux de quelques régions périphériques, appuyés par la Fédération québécoise des municipalités, s’y étaient fortement opposés craignant de voir le poids politique de ces dernières considérablement réduit si on instaurait une compensation à l'échelle de tout le Québec plutôt que région par région.
Bien que fortement minoritaires parmi les quelque 2 000 intervenants, ces élus semblent toutefois avoir eu gain de cause auprès du caucus des députés libéraux qui ont convaincu le gouvernement Charest d'enterrer la réforme qu'il avait promise.
En terminant, monsieur le ministre, je vous souligne qu’il est aussi dans l’intérêt du Parti libéral d’avoir un mode de scrutin qui cesse de le rendre vulnérable à un possible renversement de la volonté populaire tel qu’il s’est en produit un en faveur du Parti québécois en 1998 et en faveur de l’Union nationale en 1944 et 1966 à cause de la concentration de ses appuis dans les circonscriptions à forte majorité anglophone.
Ce scénario est d’autant plus plausible lors des prochaines élections que le PQ forme présentement la plus forte opposition parlementaire depuis 1970 et qu’il suffirait d’une légère augmentation de ses appuis dans quelques circonscriptions francophones que vous détenez pour qu’elles balancent dans son camp et que vous perdiez le pouvoir même si votre parti obtenait plus de suffrages que lui dans l’ensemble du Québec.
J’espère donc, monsieur le ministre, que vous pourrez convaincre le premier ministre Charest d’inscrire la réforme du mode de scrutin au menu législatif de la prochaine session d’autant plus que votre prédécesseur l’ex-ministre Pelletier, vous a laissé, semble-t-il, un projet de loi qui, depuis l’automne 2006, n’attend qu’à être déposé à l’Assemblée nationale.
Espérons que vous réaliserez, au cours du mandat qui débute, cet engagement que votre parti a pris dès 2002.
PAUL CLICHE est l’auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : le SCRUTIN PROPORTIONNEL
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