En faisant tout récemment de Bill Clinton l’envoyé spécial des Nations-Unies pour Haïti, le Secrétaire général Ban Ki-Moon demande à l’ex-président des États-Unis de « stabiliser un pays qu’il a lui-même aidé à déstabiliser ».
Ainsi s’exprime le correspondant de la chaîne de télévision latino-américaine Telesur, Jeremy Scahill, qui appelle l’ONU à « faire la lumière sur le rôle joué par la communauté internationale dans la destruction et l’échec du gouvernement constitutionnel en Haïti ».
Clinton, rappelle Scahill, arrive au pouvoir en 1992, soit un an après que les États-Unis eurent appuyé le coup d’état du général Raoul Cédras et de ses bandes paramilitaires (les FRAPH) contre le gouvernement élu de Jean-Bertrand Aristide.
Pendant que, en public, Clinton et ses conseillers expriment leur consternation, dans la pratique, ils conditionnent le retour d’Aristide à l’adoption de politiques néolibérales et surtout à la non-prolongation de son mandat pour compenser le temps perdu en exil.
De plus, poursuit Scahill, Aristide devait remplacer son discours social par celui de la réconciliation entre riches et pauvres et inclure plusieurs de ses anciens opposants dans un futur gouvernement de coalition.
Pendant ces trois interminables années de négociations, les forces conservatrices haïtiennes s’incorporent partout dans les institutions du pays. Et, bien sûr, les États-Unis peuvent d’autant plus impunément contrôler Haïti qu’ils interviennent contre les « méchants » instigateurs d’un coup d’état.
Aujourd’hui, Bill Clinton revient s’occuper d’Haïti, cette fois après que le même Aristide que la population persiste à élire, eut été séquestré et déporté de son propre pays et en pleine nuit, par des officiels états-uniens avec l’active complicité du Canada et de la France.
Dans un article paru sur le portail internet Global Research, Jean Saint-Vil nous apprend que c’est à Gatineau, au Québec, que, les 31 janvier et 1er février 2003, le gouvernement canadien de Paul Martin organise secrètement la première réunion de planification de ce second renversement d’Aristide.
Baptisée « Initiative d’Ottawa sur Haïti », la rencontre à laquelle aucun Haïtien ne participe, conclue d’imposer à Haïti une tutelle de type de celle alors exercée au Kosovo, de ressusciter les forces armées haïtiennes dissoutes par Aristide et de former une nouvelle force de police.
Pendant l’année qui précède la déportation d’Aristide, nous dit Saint-Vil, l’aide canadienne de l’ACDI est allée en grande partie aux groupes de pression anti-Aristide comme la Coalition nationale des droits des haïtiens (CNDH).
Au lendemain du coup d’état, cette ONG demande au Canada et reçoit « dans un délai de moins de cinq jours ouvrables », précise Saint-Vil, un nouveau montant de 100.000 dollars pour aider « les victimes du régime Lavalas ». Le rapport qui s’ensuit mène directement à l’emprisonnement du premier ministre Yvon Neptune sur de fausses accusations de génocide.
Dix mois plus tard, soit le 6 décembre 2004, le gouvernement canadien annonce une nouvelle aide à Haïti et, aussitôt, le président haïtien de facto, Gérard Latortue, consacre 29 millions $ à la remobilisation d’ex-soldats et paramilitaires que, depuis deux ans, la CIA recrutait et entraînait en République-Dominicaine voisine.
Wooldy Edson Louidor et Angelica Rocio Lopez Granada, dans un article paru sur le site internet Rebelion, soulignent que le budget du gouvernement Préval dépend à 60% de l’aide étrangère.
Malgré cela, disent-ils, à l’approche de la nouvelle saison des ouragans, les 800.000 victimes des quatre tempêtes de 2008 sont plus vulnérables que jamais et, un an après les violentes émeutes de la faim, la Coordination nationale de la sécurité alimentaire affirme que plus de trois millions d’Haïtiens sont affectés par l’insécurité alimentaire.
Dans le même sens, Saint-Vil dénonce « la contradiction incroyablement gênante entre l’aide multimillionnaire que le Canada destine à la reconstruction de la police haïtienne et du système de justice et le fait que, selon plusieurs études indépendantes, ces mêmes institutions sont aujourd’hui en pire condition qu’il y a cinq ans ».
Depuis le coup d’état de 2004, en plus de la police de Port-au-Prince, l’occupant canadien est responsable du Bureau de lutte contre le trafic de stupéfiants et de l’unité anti-kidnappings, deux institutions devenues particulièrement inefficaces.
Outre l’argent et les armes, Saint-Vil pointe aussi le racisme et la solidarité de classe en tant que piliers du régime d’après-2004.
En caricaturant les supporteurs d’Aristide en « chimères » et en « bandits », écrit-il, « les médias ont réussi à unir tous les partis politiques derrière les forces étrangères, même la plate-forme Lespwa, de René Préval, ex-compagnon d’Aristide dont la victoire électorale de 2006 a pourtant été sauvée par les protestations massives de la population ».
Saint-Vil souligne « l’étroit réseau de liens entre ambassadeurs de Port-au-Prince, directeurs d’ONG, importateurs d’aliments et propriétaires d’usines d’assemblages; tous vivant dans les mêmes quartiers, envoyant leurs enfants dans les mêmes écoles et se créant une appartenance commune de type apartheid (…) une mentalité de classe assiégée qui doit se protéger des autres sauvages ».
Dans ce contexte, il est important pour les occupants étrangers que des élections soient régulièrement tenues même si elles n’ont de démocratique que le nom.
La dernière de celles-ci avait lieu le 19 avril. Ce jour-là, la population haïtienne devait combler douze des trente postes de sénateurs du pays sans pouvoir voter pour un seul candidat du parti de Jean-Bertrand Aristide, Famni Lavalas.
C’est que, le 6 février dernier, le Conseil électoral provisoire (CEP) d’Haïti avait purement et simplement disqualifié tous les candidats de Lavalas au motif que leurs papiers d’enregistrement ne portaient pas la signature d’Aristide (qui est en exil!), une procédure invoquée pour la toute première fois.
Après l’annonce, rapporte l’agence haïtienne Radio métropole, les officiels du CEP n’étaient pas disponibles pour commenter leur décision. S’attendant à des protestations, ils s’étaient barricadés d’avance dans leurs quartiers généraux, bien protégés par les tanks de la MINUSTAH (Mission des Nations-Unies pour Haïti).
Les dirigeants de Lavalas ont répliqué en poursuivant le CEP et en appelant au boycottage des élections sénatoriales.
Un juge, Jean-Claude Douyon, a donné raison aux poursuivants, statuant que le CEP devait réintégrer les candidats Lavalas dans le processus électoral. Quelques jours plus tard, Douyon était congédié pour « corruption » par le ministre de la justice de René Préval, Jean-Joseph Exume!
Mais le plus bel appui qu’a reçu Lavalas et que Bill Clinton fera sans doute semblant d’ignorer, est l’incroyable réponse de la population au boycottage des élections. Le 19 avril, en effet, journée nationale d’élections, seulement 3% de la population s’est présenté aux bureaux de scrutins!
Redoutant de nuire le moindrement à la politique étrangère canadienne et malgré l’importante communauté haïtienne de Montréal, aucun grand média québécois n’a rapporté cet extraordinaire acte de résistance pacifique d’un peuple qui, depuis 200 ans, est parmi ceux qui ont le plus souffert!
« Nous voulons féliciter la Communauté internationale pour son hypocrisie, ironise Ronald Fareau, l’un des leaders de Lavalas. Ils ont dépensé plus de 17 millions de dollars pour une autre fraude électorale en Haïti pendant que la population souffre de malnutrition et d’illettrisme ».
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