Les média québécois font une large place à la collusion appréhendée dans l’industrie de la construction. Sur une toute autre page, on apprend que le gouvernement du Québec annonce une réorientation de sa politique jusqu’ici en faveur des PPP (partenariats public-privé).
Du coup, certains annoncent un peu rapidement la mort des PPP. Mon esprit profondément pervers fait un rapprochement entre ces deux sujets sans rapport aucun : la collusion dans la construction et les PPP.
La collusion n’est pas un phénomène nouveau. Dans son ouvrage sur la Richesse des nations, Adam Smith en déplorait déjà l’existence :
« les gens du même métier se rassemblent rarement, même pour se divertir et prendre de la dissipation, sans que la conversation aboutisse à une conspiration contre le public ou à quelque invention pour augmenter leurs prix »[1].
Le talon d’Achille de tout complot, c’est le nombre de personne qui doivent « collaborer ». Plus il y a de conjurés, plus grands sont les risques qu’un d’entre eux ne sache pas tenir sa langue.
D’un strict point de vue purement théorique (j’insiste), les PPP offriraient presque mécaniquement les conditions optimales pour un cartel : le nombre d’offres déposées pour chaque projet est toujours très restreint, sans compter que le nombre de candidats potentiels est de toute façon relativement limité, même à l’échelle de la planète.
Bien qu’il ne s’agisse absolument pas de cas de collusion (en tout cas, rien qui soit prouvé et encore moins condamné), la très courte histoire des PPP québécois nous a pourtant déjà fourni deux exemples troublants, pour dire le moins, de concertation étroite entre compétiteurs : ils ont fait grève, conjointement et solidairement, pour faire plier le gouvernement et obtenir une compensation supplémentaire, en sus de ce qui était déjà convenu, dans le cas où leur proposition ne serait pas retenue.
Les féroces concurrents, au nombre de deux, ont obtenu gain de cause dans le cas du contrat pour le centre de recherche du CHUM en septembre 2008. Voici qu’un an plus tard, les mêmes entreprises rééditent leur coup de force, mais cette fois-ci pour le CHUM lui-même; elles auraient encore gagné mais n’auraient pas repris le travail, pas avant d’en recevoir la confirmation écrite (avec de nouveaux retards à la clé)[2].
Il faut parfois mettre les points sur les « i », comme ici. Ces deux cas de concertation « étroite » entre compétiteurs ne sont pas des exemples de collusion.
Tout ce que je veux souligner ici, c’est que la formule des PPP est l’antithèse d’un mode de fonctionnement qui respecterait les conditions classiques de la concurrence pure et parfaite, dont certains nous assurent qu’elle permettrait d’accéder au nirvana – ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui font la promotion des PPP.
Au contraire, le secret qui entoure chaque projet et le tout petit nombre de joueurs qui sont présents sur le marché, tout cela pourrait faciliter la constitution d’un cartel. Comme on dit : l’occasion fait le larron.
Qu’à cela ne tienne : les PPP sont enterrés![3]
Pas si sûr!
Depuis la nuit des temps, les gouvernements ont fréquemment recours au privé pour la construction d’infrastructures ou même pour la fourniture de services.
Les Français pratiquent couramment la sous-traitance sous une forme moderne depuis plus de 150 ans (notamment avec la concession et l’affermage). Au début des années 1990, les Britanniques ont développé une forme particulière de sous-traitance, qui fait intervenir le privé de façon un peu plus importante qu’auparavant.
Tout d’abord, le privé a la responsabilité de réunir le financement, à charge du gouvernement de le rembourser au fil du temps. Ensuite, la durée des contrats est généralement très longue (aussi longue que certaines concessions à la française).
En 2004, le gouvernement du Québec a importé (et adapté) la formule britannique des PPP. Force est de constater que la présente crise financière pose de très sérieuses difficultés pour le financement privé d’un PPP. Il est désormais plus que vraisemblable que la formule PPP mutera pour se régénérer en une nouvelle forme de sous-traitance.
On retiendra probablement la longue durée des contrats, tout en laissant tomber le plein financement par le privé. De toute façon, tout le monde – et même les promoteurs de la formule PPP à la britannique -- reconnaissait que le financement privé coûte plus cher que le financement public traditionnel
Ce n’était d’ailleurs pas le principal problème de la formule en vigueur jusqu’à ce jour. Même sans financement privé, un PPP demeure tout aussi problématique pour un hôpital de pointe, un ouvrage complexe et susceptible de se modifier profondément tout au long de la très longue période couverte par un PPP.
Les PPP ne sont peut-être pas forts, mais certainement pas morts.
Il est grand temps de reprendre le contrôle sur les projets de CHU, à Montréal comme à Québec, et déclarer que le pique-nique est terminé.
[1] Smith, Adam. (1809) : Recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations,
Paris : De Laran et Cie, livre I, chapitre 10, p. 248, tel que cité in Chavagneux, Christian. (2002).
« La montée en puissance des acteurs non étatiques », Jacquet, Pierre, Jean Pisani-Ferry et Laurence Tubiana. Gouvernance mondiale (Rapport de synthèse), Rapport n°37, Conseil d’analyse économique, 23 mai, http://www.cae.gouv.fr/spip.php?article49;
re02-gouvernance-contributions.pdf
[2] Lessard, Denis. (2009). CHUM: six mois de retard de plus, La Presse, jeudi 22 octobre ; Lessard, Denis. (2009). « CHUM: des mois de retard à prévoir », La Presse, mercredi le 23 septembre, p.A-12. http://communiques.gouv.qc.ca/
[3] La Presse canadienne. (2009). « Québec enterre l'Agence des PPP », Le Devoir, jeudi le 22 octobre.