Que l’intervention de Lucien Bouchard ait eu pour objectif, comme l’a souligné pertinemment Jean-François Lisée, de venir en aide à un Jean Charest aux prises avec le scandale des écoles juives crève les yeux.
Est-il nécessaire de rappeler que Lucien Bouchard avait consacré une bonne partie de son discours de démission du poste de premier ministre à l’affaire Michaud? Qu’il n’acceptait pas que des militants contestent la décision de l’Assemblée nationale condamnant les propos prêtés à Yves Michaud sur les « votes ethniques » lors du référendum de 1995 et, plus particulièrement, sur le vote quasi-unanime de la communauté juive en faveur du Non? Photo : Mathieu Roy/AC-Presse
Faut-il rappeler qu’à peine trois semaines après sa démission, Lucien Bouchard se trouvait un emploi au cabinet juridique Davis, Ward, Philipps, Vinebererg? Pas étonnant donc, de voir Lucien Bouchard intervenir publiquement lorsque la question juive fait l’actualité.
Cependant, un autre segment de son intervention au colloque du Devoir devrait attirer notre attention. Selon ce qu’en rapporte Le Devoir du 17 février, Lucien Bouchard était invité, comme les autres panélistes, à discourir sur un des moments-clés de sa carrière politique.
Il a choisi de parler de sa rencontre, à New York, avec les bonzes de Standard and Poor’s qui voulaient décoter le Québec. « J’ai supplié ces gens sans émotions de ne pas nous décoter. J’étais surtout humilié », rapporte le journaliste du Devoir.
Ce n’est pas la première fois que Lucien Bouchard parle de cette honteuse capitulation, sa deuxième depuis qu’il avait pris la direction du Parti Québécois.
Rappelons que sa première a été son refus de précipiter des élections au lendemain du référendum de 1995 – alors que les sondages donnaient le Oui largement en avance et qu’il était au faîte de sa popularité – pour solliciter le droit de tenir un nouveau référendum, la loi référendaire interdisant la tenue de deux référendums au cours d’un même mandat. Le journaliste Lawrence Martin a écrit dans la biographie qu’il a consacré à Jean Chrétien que ce sont les menaces de partition du territoire québécois brandies par le camp fédéraliste qui aurait fait reculer Lucien Bouchard.
Mais revenons à sa rencontre avec les bonzes de Wall Street
Dans un article paru dans le journal Les Affaires du 5 novembre 2005, Lucien Bouchard a révélé comment, à la fin juin 1996, il était accouru à New York – dans un avion loué pour que la chose demeure secrète – pour rencontrer les financiers de Wall Street qui menaçaient de décoter le Québec.
« Nous nous sommes retrouvés devant quatre analystes, manifestement sceptiques. J’avais l’impression d’être devant un tribunal, raconte Bouchard. Je leur ai demandé de nous donner une chance puisque nous avions la ferme intention de remettre de l’ordre dans les finances. On s’est fait répondre que le Québec déviait depuis 40 ans et que le bilan n’était pas bon. »
Le premier ministre avait déjà annoncé avant de partir qu’il imposerait aux employés de l’État une baisse des salaires de 6 % (qui s’est transformée plus tard en un programme de retraites anticipées). « Il a même été question, devant les gens de l’agence de crédit Standard & Poor’s, que je m’engage par écrit à tenir parole. J’aurais refusé. Quand même : un premier ministre, élu démocratiquement, ne va pas jusque là ».
Bouchard poursuit ses confidences au journaliste des Affaires. « Nous avions passé notre temps à emprunter sans trop compter. C’était normal qu’on nous pose des questions. J’ai plaidé comme si c’était la cause de ma vie. Au bout de trois ou quatre heures, ils nous ont dit de repartir, qu’ils allaient réfléchir et nous téléphoner. L’appel est entré le lendemain : le Québec n’était pas décoté, mais il était sous surveillance étroite. »
On connaît la suite. Ce fut le Sommet du Déficit Zéro avec ses compressions budgétaires dont on subit encore les conséquences, particulièrement dans le réseau de la santé et, au plan politique, le démantèlement de la coalition des Partenaires pour la Souveraineté que M. Parizeau avait mis sur pied.
Les milieux d’affaires pouvaient se réjouir. La menace d’un nouveau référendum était écartée. Pour une deuxième fois en moins d’un an, l’argent venait de battre les souverainistes.
Quelle leçon tire Lucien Bouchard de cet épisode. « Je sais qu’un premier ministre passe la moitié de son temps à s’arracher les cheveux. Il ne faudrait plus qu’il doive également aller se traîner à New York pour demander grâce aux financiers. »
Au cours de sa carrière, Jacques Parizeau a développé une autre attitude à l’égard des milieux financiers. Dans un documentaire, il déclarait, après avoir expliqué comment il avait réussi, sous le gouvernement Lesage, à briser le syndicat financier qui avait provoqué la défaite de Duplessis en 1939 et intimidait les gouvernements du Québec : « Si tu n’es pas baveux avec les banques, elles vont te manger tout cru. »
C’est ce qui arrivé à Lucien Bouchard, le doublement capitulard. On comprend pourquoi il nous dit aujourd’hui que « l’indépendance n’est pas réalisable ». Quel chef !
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