On ne pouvait trouver meilleur contexte pour donner une dimension politique au dernier congrès de la CSN. Son ouverture coïncidait avec le congrès de l’ADQ et les déclarations tonitruantes de son chef Gérard Deltell contre les interventions à dimensions sociale et politique des organisations syndicales.
« Nos membres ont réagi. Ils ont donné plus d’ampleur aux mandats à coloration politique. On a même évalué la possibilité d’une grève sociale sur les orientations économiques et budgétaires du gouvernement Charest », nous déclare Louis Roy, le nouveau président de la Centrale, lorsqu’il nous reçoit dans son bureau de l’édifice de la CSN, rue De Lorimier, à Montréal.
Difficile en effet pour une centrale dont plus de la moitié des 300 000 membres proviennent des secteurs public et parapublic et négocient par le fait même leurs conditions salariales et de travail avec le gouvernement de ne pas intervenir sur la scène politique.
Par contre, le message de Deltell a été bien reçu 10 sur 10 par les médias. « Notre congrès d’une semaine avec ses 2000 délégués a été bien moins couverts par les médias que les deux jours de réunion des 400 délégués de l’ADQ. Il n’y a rien eu dans les médias sur nos orientations », déplore cet ancien organisateur communautaire qui a gravi depuis 16 ans les échelons dans la structure de la CSN et qui accède à présidence après neuf ans à titre de vice-président.
Le 63e Congrès a adopté des résolutions visant à ce que la CSN s’engage dans la promotion d’un véritable pacte social pour le Québec, basé sur trois grands axes?: la lutte aux inégalités, un nouveau modèle de développement durable et le renouvellement du syndicalisme.
Louis Roy était particulièrement fier du déroulement du congrès qui s’est centré sur les 11 propositions soumises par l’exécutif. Parmi celles-ci, il y avait les efforts à déployer pour la francisation des entreprises, un plan d’action pour « vieillir dans la dignité », l’endettement et le surendettement des personnes, les régimes de retraite, l’action syndicale en milieu autochtone, l’organisation du travail, l’avenir du secteur manufacturier et industriel couplé à une véritable politique énergétique durable, visant à réduire notre dépendance au pétrole.
Nous aurions pu discuter longuement de ces questions, mais Louis Roy a orienté l’entrevue sur certains thèmes particuliers. D’abord, le travail atypique et les disparités de traitement dans les conventions collectives qui figuraient en tête de liste des propositions de l’exécutif. Un sujet d’importance majeur lorsqu’on réalise que près de 40% de la main-d’œuvre au Québec occupe un emploi atypique ou précaire.
« Le Rapport Bernier, paru en 2003, et qui faisait le point sur la situation est toujours pertinent », nous dit le nouveau président de la CSN en soulignant que le congrès a chargé la centrale d’élaborer un plan d’action incluant la syndicalisation, le droit à la négociation et des mesures législatives pour accroître la sécurité des groupes les plus vulnérables sur le marché du travail.
Mais le congrès s’est aussi attardé sur les disparités de traitement dans les conventions collectives. « Plusieurs patrons lient la survie de leur entreprise à la possibilité de droits différents selon les catégories d’employés. Il y a des régimes de retraite qui sont à la limite de la discrimination. Il faut revoir les conventions collectives pour que les droits soient les mêmes pour tous », affirme Louis Roy.
La formation et l’éducation suivaient le travail atypique dans l’ordre des propositions. Louis Roy résume ainsi la position de sa centrale : « Il faut faire de l’éducation une priorité. La hausse des frais de scolarité et des frais afférents nous inquiète. On a réaffirmé notre position en faveur de la gratuité scolaire. Ce n’est pas une position admise par tous. Car, il ne faut pas se tromper, nos membres sont aussi touchés par les idées de droite. Mais les discussions en ateliers, avec des participants de différents milieux, des travailleurs d’usines aux profs de cégeps, ont permis de faire évoluer plusieurs personnes. »
Comme dans tout congrès syndical, les militants ont aussi discuté des services offerts par l’organisation et de ses relations avec les sections locales et les membres. « Les choses ont changé. Avec l’augmentation de la durée des conventions collectives, il y a moins de temps accordé à la négo et plus à l’application des conventions. La relation avec les membres devient moins collective, plus individuelle, plus technique. Il faut trouver des façons de rejoindre nos membres sur une base régulière, leur rappeler l’utilité des syndicats, l’importance de clauses comme l’ancienneté. Tout cela implique un redéploiement de nos équipes, revoir les modes de communication avec les membres. »
Dans un cadre plus large, le congrès s’est aussi interrogé sur l’avenir du syndicalisme dans le contexte du vent de droite antisyndical qui balaie l’Amérique du Nord. Louis Roy se dit très inquiet des conséquences de l’élection d’un gouvernement majoritaire à Ottawa. « Avec Harper, il y une concentration des pouvoirs à l’exécutif et une volonté de droite affirmée. Dans le domaine de la coopération internationale, pour ne prendre qu’un exemple, on nous a dit que toutes les demandes en provenance du milieu syndical seront refusées. »
Louis Roy craint qu’un gouvernement de droite à Ottawa facilite la réélection du gouvernement Charest à Québec. Il perçoit, comme plusieurs, un retour à un affrontement gauche/droite mais, après avoir constaté que le Parti Québécois est tombé « dans le piège à ours de la loi 204 sur l’amphithéâtre », il ne voit pas qui va porter, contre ce conservatisme, les aspirations progressistes au Québec.
« Il y a bien Québec solidaire. Mais, ça ne décolle pas. Québec solidaire n’a pas de véritable ancrage sur le terrain. Et on ne sait pas si le futur parti de Legault sera à droite ou à gauche de Charest. »
La crise au Parti Québécois l’amène à certaines réflexions sur le type de leadership qui doit être exercé. « La dissidence fait aussi débat dans nos rangs. Je suis favorable à la liberté d’expression. Il faut avoir l’honnêteté de dire qu’il y a une position majoritaire et des positions minoritaires. Il faut en finir avec la ligne de parti.»
Le débat sur la construction du CHUM en PPP auquel il a participé en tant que vice-président de la CSN, tout en y étant tout particulièrement préparé par huit années à la présidence de la Fédération de la Santé et des Services sociaux, lui a démontré la futilité des points de vue inflexibles et des arguments d’autorité.
« Dans le débat sur le CHUM, il y a un entêtement systématique. Bien que l’expertise internationale ait démontré une série de catastrophes liées à ce modèle, ils n’ont rien changé dans leur argumentaire depuis 10 ans. Dans un monde aussi changeant, surtout celui de la médecine, on ne peut être lié par des décisions pendant trente ans. Il faut plutôt mettre en place des processus. Il faut planifier, mais rester humble par rapport à nos plans. »
Cette absence de volonté de tirer des leçons de l’expérience, il la voit également dans le monde économique. « Il y a eu un avertissement sérieux avec la crise de 2008, mais on continue comme si de rien n’était. »
« Aujourd’hui, enchaîne-t-il, il n’y a plus de modèle qui roule parfaitement. Les Lucien Bouchard de ce monde sont dépassés. Il faut une direction plus souple, il faut faire participer les gens.
C’est dans cette perspective qu’il envisage l’avenir du syndicalisme. Il est fier que le congrès de la CSN ait résolu d’organiser un événement sur le syndicalisme, ses défis et les enjeux de son renouvellement. Quand nous lui demandons s’il s’agit d’États généraux du mouvement syndical, Louis Roy s’empresse de souligner que l’événement doit regrouper plus largement que les seules organisations syndicales, que les groupes communautaires et tous les groupes de défense des droits des travailleurs doivent y être invités.
« Nous voulions un forum social mondial pour 2013 au Canada. Mais ça n’a pas marché. Alors, pourquoi pas un forum social canadien? Ça permettrait de donner plus d’espace d’intervention aux jeunes. Pour plusieurs, le syndicalisme n’est pas la militance première. Ce sont les mouvements étudiant ou environnemental ou encore les partis politiques. Militer, c’est un parcours. Ce qu’il faut susciter, soutenir, c’est la militance tout court! Il faut que ça bouge! »
Photo : Jacques Nadeau
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