Le choix de la Banque royale du Canada (RBC) de transférer en sous-traitance certains emplois à des travailleurs étrangers temporaires moins bien payés a soulevé une forte opposition. La RBC encourage ainsi une importante dégradation des conditions de travail, une attitude qu’auraient aussi adoptée d’autres banques canadiennes, selon certains témoignages.
Gordon Nixon, le PDG de la Banque royale s’est dissocié de l’affaire en soutenant que son entreprise n’a pas embauché les employés en question, mais que ceux-ci relèvent plutôt de la compagnie iGATE qui gère et paie ce personnel. «C’est pas moi, c’est eux!», a-t-il dit, avant d’offrir ses excuses aux travailleurs et travailleuses qui ont perdu leur emploi.
On comprend ici que le PDG aime jouer avec les mots et que les excuses ont été entendues seulement parce qu’il s’est fait prendre. Remplacer des employés bien payés par des travailleurs précaires, étrangers et au très bas salaire a de nombreux avantages pour une entreprise telle la RBC. Cela permet de réduire les coûts de fonctionnement, de hausser les profits ainsi que la valeur des actions en Bourse, de rendre très difficile, voire impossible, l’organisation syndicale. Seule une menace de boycott de la part des clients de la banque a pu ébranler cette logique implacable.
Dans son langage de technocrate, Gordon Nixon a bien expliqué la situation : «Nous avons un programme pour accroître la productivité de notre entreprise. Cela s'applique à un contrat relativement petit avec un de nos sous-traitants, iGATE ». La somme de ces petits contrats peut cependant devenir significative dans un bilan administratif. Et cela même si la banque a enregistré de spectaculaires profits ces dernières années.
Mode 4 et plombier polonais
Ceux qui observent l’évolution des accords de libre-échange sont familiers avec ce genre de mesures. Ainsi, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), négocié dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) devait faciliter aux entreprises l’exportation de leur propre main d’œuvre dans un pays étranger. On a donné le nom technique de «mode 4» à cette possibilité qu’on encourageait fortement, avant que ne cessent les négociations du cycle de Doha.
Ce «mode 4» a rebondi en Europe avec une histoire devenue fameuse, celle du plombier polonais. La question a soulevé un vif débat : serait-il possible que des Polonais, par exemple, puissent travailler en France pour le même salaire et les mêmes conditions que dans leur pays d’origine ? Une directive de l’Union européenne, appelée directive Bolkestein, qui amenait le «principe du pays d’origine», a soulevé ces inquiétudes. Devant d’importantes protestations, l’UE a dû réduire considérablement la portée de cette directive.
Un document secret de l’UE, entre autres, révélé par une fuite obtenue par la Coalition Avenir Québec (CAQ), a permis de constater que le «mode 4» est un enjeu de l’accord commercial négocié entre le Canada et l’Europe. S’agira-t-il une fois de plus de favoriser l’exportation temporaire de la main d’œuvre pour des salaires moindres? Aucune information n’a été transmise à ce sujet.
Le scandale associé à la RBC n’est donc pas un accident ou un problème conjoncturel. Il est plutôt lié à une vague de fond, à une volonté réelle et planifiée de réduire drastiquement les conditions de travail, dans l’intérêt des patrons et des actionnaires. Un des moyens les plus efficaces d’y parvenir est de mettre en concurrence les travailleurs des pays riches avec ceux des pays pauvres. Les délocalisations du Nord vers les pays du Sud et la Chine ont permis d’aller très loin en ce sens.
Mais il est possible de continuer selon cette logique en important littéralement des travailleurs. Ce que permet par exemple le Programme des travailleurs étrangers temporaires du gouvernement fédéral, dont certaines entreprises comme la RBC semblent avoir très bien saisi la portée.
Privatiser l’immigration
Ces clauses dans les accords commerciaux ou ces programmes gouvernementaux ne sont jamais conçus dans de mauvaises intentions. Il s’agirait surtout de «faciliter la mobilité de la main d’œuvre», de «simplifier les conditions d’opération des entreprises», de «diminuer le coût des services», de «répondre à la pénurie de main d’œuvre». Les grandes compagnies comprennent cependant très vite les avantages latéraux qu’elles peuvent en tirer.
Derrière tout cela, ces projets donnent surtout aux grandes entreprises le contrôle de l’immigration, selon leurs propres besoins. Elles peuvent ainsi déterminer qui doit passer d’un pays à l’autre, dans quelles conditions et selon des salaires qu’elles détermineront en toute liberté. Il s’agit ici non seulement d’une atteinte grave à la démocratie, mais aussi d’une instrumentalisation du travail qui permet de transporter les humains d’un pays à l’autre, d’en disposer après usage, selon les besoins, comme des marchandises.
La réaction du public et des clients de la RBC montre bien à quel point il est inacceptable de saccager les bons emplois, encore moins en situation de crise et d’austérité budgétaire. D’autant plus que la RBC, qui n’a strictement rien voulu retenir des leçons des indignés, a le front d’agir ainsi à une époque où s’accentuent de manière dramatique les écarts entre les riches et les pauvres : l’enrichissement d’une minorité ultra favorisée se fait ici aux dépens d’une classe moyenne qui s’amoindrit peu à peu.
Les gouvernements doivent donc cesser d’adopter des lois ou des ententes sur mesure pour les entreprises, qui leur donnent un contrôle dangereux et injustifié sur la mobilité de la main d’œuvre.