Pour Philippe Couillard, tout baigne. Le français ne recule pas au Québec. La loi 101 a permis d’atteindre un équilibre, a-t-il déclaré en campagne électorale.
Le ton et la façon rappellent Harper discourant sur l’environnement. Avec la même assurance, tous deux profèrent des faussetés et nient des évidences.
Aussitôt élu, Couillard voit à contrôler l’information sur la langue comme Harper bâillonne celle sur l’environnement. Il tue dans l’œuf les chaires de recherche et d’enseignement sur la langue et l’identité que projetait l’ex-ministre Pierre Duchesne.
Couillard se met ainsi en position de poursuivre l’œuvre de Jean Charest. L’Office québécois de la langue française (OQLF) répond de nouveau à un patron farouchement fédéraliste. Il continuera, de concert avec Statistique Canada, à voiler aux Québécois la débandade du français.
Vous souvenez-vous de comment France Boucher, nommée par Charest à la présidence de l’OQLF, a bafoué en 2008 son devoir de déposer un rapport quinquennal sur la situation du français ? La loi 101 est pourtant formelle : « L’Office surveille l’évolution de la situation linguistique et en fait rapport au moins tous les cinq ans au ministre ».
Cette trahison avait soulevé un tollé. Charest a préféré ensuite s’entendre plutôt en catimini avec l’OQLF pour violer à demeure cet article de la loi 101. Ils ont convenu qu’en guise de nouveau rapport quinquennal, l’OQLF n’aura, entre 2009 et 2013, qu’à égrener une nouvelle trâlée d’études disparates, sans synthèse ni vision d’ensemble. Du non-respect top niveau de la loi 101.
En campagne, Couillard s’est aussi engagé à appliquer rigoureusement la loi 101 « telle qu’elle existe ». Exigera-t-il enfin de l’OQLF un rapport global en bonne et due forme sur la présente situation ? Son élimination empressée des chaires de Duchesne atteste qu’il n’en fera rien. Il marchera trop content dans les pas perfides de Charest.
Le recul actuel du français est trop grave pour en rester là. Pour s’en persuader, il suffit d’examiner un élément fondamental : la nouvelle dynamique depuis 2001 en matière de langue maternelle et de langue d’usage au foyer.
Dans mon recueil de chroniques Le français dégringole paru en 2010, j’ai signalé que le XXIe siècle s’est ouvert sur une note absolument inédite. Entre 2001 et 2006, le poids de l’anglais a légèrement progressé au Québec pour la première fois dans l’histoire des recensements. En même temps, le poids du français, langue maternelle comme langue d’usage, a essuyé un recul d’une ampleur jamais vue.
Cette nouvelle dynamique néfaste au français s’est-elle confirmée depuis ? Il y a maintenant trois ans que le recensement de 2011 a eu lieu. L’OQLF n’en a toujours pas pipé mot. À grand tort.
Les résultats de 2011 confirment en effet la nouvelle donne : l’anglais continue de progresser lentement et le français, de reculer rapidement. Le document d’analyse publié par Statistique Canada à l’occasion de leur diffusion précise par surcroît que le questionnaire tronqué imposé par Harper en 2011 a perturbé la façon de répondre des allophones à la question sur la langue maternelle, et qu’au vu de ce que l’on sait des naissances, décès et migrations survenus entre 2006 et 2011, « la proportion de la population ayant le français comme langue maternelle au Québec aurait dû diminuer de façon plus importante au cours de cette période ».
Publié – enfin! – par Statistique Canada en mai 2013, le Document méthodologique sur les données linguistiques du recensement de 2011 démontre que cette surestimation du poids des francophones au Québec en 2011 résulte effectivement d’une sous-estimation du poids des allophones. Le document tant attendu ne nous en apprend guère plus, à part que le questionnaire Harper aurait aussi sous-estimé la population allophone selon la langue d’usage.
Dans mon plus récent recueil Le français, langue commune paru en 2013, j’ai présenté au chapitre 15 un graphique qui met en relief la tendance défavorable au français amorcée en 2001-2006, par opposition à la tendance antérieure qui consistait en un recul simultané des poids de l’anglais et du français. J’ai soigné la comparabilité des données pour la période 1991-2006 qui sous-tendent ce graphique, en tenant compte des estimations effectuées par Statistique Canada après chaque recensement quant au nombre d’anglophones, de francophones et d’allophones qui n’avaient pas répondu au questionnaire, ainsi que de l’effet des changements apportés au questionnaire de recensement en 2001 sur les déclarations de langue maternelle et d’usage.
Le présent graphique étend cette analyse aux résultats de 2011. Les traits continus en noir reprennent mon graphique pour 1991-2006 (à noter que la rupture dans le tracé pour la langue d’usage traduit l’effet des modifications apportées au questionnaire en 2001 : pour plus de détails, voir le chapitre en question). L’extension du graphique jusqu’en 2011, par des traits brisés en noir, tient compte de la composition linguistique de la population recensée en 2011 ainsi que du nombre d’anglophones, de francophones et d’allophones qui, d’après les estimations publiées par Statistique Canada en septembre 2013, n’ont pas répondu au dernier recensement.
Pour cerner de manière satisfaisante la tendance entre 2006 et 2011, il aurait aussi fallu disposer d’une estimation chiffrée de l’effet du questionnaire Harper. Jusqu’à nouvel ordre, cependant, Statistique Canada s’abstient de nous dire de combien la valeur de 78,4 % obtenue pour le poids des francophones, langue maternelle, en 2011 au moyen entre autres du questionnaire Harper surestime la valeur qu’on aurait obtenue si l’on avait conservé le même instrument d’observation qu’en 2001 et 2006.
La tendance aurait peut-être suivi le trait brisé en gris foncé conduisant dans notre graphique à une valeur inférieure à 78 % comme poids des francophones en 2011. Ou elle aurait peut-être poursuivi en droite ligne sur sa lancée de 2001-2006, ce qui correspondrait au trait brisé gris clair menant à 77,1 %. Elle aurait peut-être pu conduire, aussi, à un résultat encore plus faible.
Chose certaine, Statistique Canada ne s’empressera pas d’alarmer davantage la majorité francophone du Québec en lui donnant l’heure juste quant au recul réel de son poids entre 2006 et 2011. L’OQLF à Couillard non plus.
Chose également certaine, nous sommes en 2014. Trois ans se sont écoulés depuis le recensement de 2011, pendant lesquels l’immigration s’est maintenue au niveau record réalisé sous Charest. Autrement dit, on peut être raisonnablement certain qu’à l’heure qu’il est, le Québec est à moins de 78 % francophone.
Il faut sortir de ce cauchemar. Les solutions ne manquent pas.
Dans L’immigration et le déséquilibre linguistique, Jacques Henripin appréhendait que l’anglicisation démesurée des immigrants allophones au Québec conduise au recul du poids des francophones au profit de l’anglais. C’était en 1974, avant que l’élection du Parti Québécois ne transforme sur-le-champ Henripin en défenseur de la veuve anglophone et de son orphelin.
La loi 101 et la sélection par le Québec d’une partie de ses immigrants ont pendant un certain temps repoussé cette éventualité. Mais Charest a porté l’immigration à un niveau record, ce qui ramène au galop le scénario d’Henripin.
Les congés parentaux et les garderies à prix modique ont cependant haussé la fécondité au Québec, y compris sans doute celle des francophones. Cela atténue aussi l’effet de l’anglicisation démesurée des allophones.
Or Couillard sera tenté de rendre l’accès aux garderies publiques plus coûteux. Rendons-les gratuites et mettons plutôt fin à une immigration disproportionnée qui, dans une conjoncture économique difficile, coûte plus cher à la société que ce qu’elle en retire.
Couillard aime lire ? Qu’il ouvre au plus vite Le remède imaginaire. Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, signé en 2010 par Benoît Dubreuil et Guillaume Marois. Toutes affaires cessantes, il faut débattre d’une politique de population pour le Québec.
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