Le directeur de l’aut’journal, Pierre Dubuc, vient de faire paraître Le droit à un revenu de citoyenneté. Entre la gauche et la droite. Pour une présentation du livre, cliquez ici.
Ci-dessous, la préface de Gabriel Ste-Marie, député du Bloc Québécois de la circonscription de Joliette.
Quelle que soit son appellation – revenu minimum garanti, revenu de base, allocation universelle, revenu d’existence – le revenu de citoyenneté sera à l’ordre du jour des débats politiques au cours des prochaines années, tant au Québec et au Canada, qu’à l’échelle internationale.
Deux phénomènes l’expliquent. D’une part, l’extraordinaire accumulation de richesses dans les sociétés avancées, accaparées par une poignée d’individus, qui appelle à sa répartition et, d’autre part, l’augmentation extraordinaire de la précarité de l’emploi avec son cortège d’insécurité, de pauvreté et de misère. Au Canada, le 1% le plus riche engrange plus de 10% de la richesse, alors que plus du tiers de la main-d’œuvre occupe un emploi atypique. Le filet social ne protège plus ces travailleuses et travailleurs autonomes, à temps partiel ou occupant des emplois temporaires. Les différents programmes sociaux, et plus particulièrement l’assurance-emploi et l’aide sociale, n’assurent pas la protection sociale minimale que sont en droit de recevoir nos concitoyennes et nos concitoyens.
C’est sans surprise que les travailleuses et les travailleurs à statut précaire ouvrent grands les yeux lorsqu’on leur fait miroiter le droit à un revenu de citoyenneté, qui leur serait versé sans les exclusions et les contrôles bureaucratiques tatillons des programmes existants. Cependant, à cette conception généreuse de la redistribution de la richesse dans notre société, s’oppose une autre conception, celle d’un revenu minimum garanti, promu par les chantres du néolibéralisme. Un revenu minimum garanti, tout juste suffisant pour vivoter, en échange du démantèlement de la protection sociale actuelle. Ce livre présente les arguments des principaux promoteurs, tant à gauche qu’à droite, de ce nouveau concept et permet au lecteur d’aborder la question dans sa globalité et de se faire sa propre opinion.
Le livre aborde également la dimension politique de ce « précariat », un nouveau concept né de la contraction des mots « précaire » et « prolétariat ». Selon certains auteurs, le précariat forme une nouvelle classe sociale en devenir qui, dans certains pays européens, est une clientèle cible pour les partis d’extrême-droite. Le précariat serait une classe potentiellement « dangereuse » dont l’insécurité, la frustration et la colère pourraient l’amener à tomber sous l’influence des démagogues.
Il est urgent que les progressistes s’intéressent au sort de ce précariat et au revenu de citoyenneté, d’autant plus que, tant à Québec qu’à Ottawa, les gouvernements ont mis sur pied des comités chargés de proposer une refonte des programmes de sécurité sociale avec comme pivot le revenu minimum garanti. Les indépendantistes doivent aussi s’en préoccuper parce que toute initiative majeure en ce sens implique nécessairement une collaboration des deux paliers de gouvernement. À cet égard, le bilan n’est pas à l’avantage du Québec.
En 1940, le Québec a cédé à Ottawa sa compétence sur l’assurance-chômage à la faveur d’un amendement constitutionnel. Au fil de multiples réformes, l’assurance-emploi a perdu son but premier et presque sa raison d’être. Aujourd’hui, à peine quatre sans-emploi sur dix ont droit aux prestations. Chez les femmes et les jeunes, c’est à peine le tiers. Cela n’est pas étranger à l’augmentation de la proportion totale des emplois qui ne sont pas permanents à temps plein, En 2012, cette proportion s’établissait à 42 %. De plus, les différents gouvernements à Ottawa ont transformé le régime assuranciel en taxe déguisée en pigeant 59 milliards de dollars dans sa caisse, privant d’autant les sans-emploi.
Si le Québec voulait instaurer un revenu de citoyenneté, il devrait rapatrier le programme d’assurance-emploi. Mais, comme l’a souligné le constitutionnaliste Henri Brun devant la Commission nationale d’examen de l’assurance-emploi, présidée par Gilles Duceppe et Rita Dionne-Marsolais, la compétence exclusive du gouvernement fédéral en matière d’assurance-emploi « ne pourrait être transférée aux provinces, ou au Québec en particulier, sans un amendement constitutionnel » qui aurait obtenu préalablement l’accord de sept provinces représentant plus de 50 % de la population canadienne ».
Dans les faits, la mise en place d’un revenu de citoyenneté, ou même d’un programme de revenu minimum garanti plus modeste, engage nécessairement la collaboration des deux paliers de gouvernement, car le système de sécurité du revenu est un tissu complexe de mesures d’assistance et d’assurance sociale, sans oublier les implications majeures sur les barèmes d’impôt sur le revenu.
Dans le cas où une telle initiative viendrait d’Ottawa, cela signifierait un élargissement, voire une intrusion, du fédéral dans le champ de compétences constitutionnelles du Québec. L’histoire de tels envahissements appelle à la prudence. C’est le moins qu’on puisse dire. Prenons l’exemple de la santé. Bien qu’elle soit de compétence provinciale, cela n’a pas empêché Ottawa d’intervenir en vertu du pouvoir de dépenser que lui reconnaît la constitution canadienne. En 1957, le gouvernement fédéral adopte la Loi sur l’assurance-hospitalisation en promettant d’assumer 50% des coûts des régimes provinciaux et territoriaux qui offrent une assurance hospitalisation à tous leurs résidents. En 1966, le gouvernement fédéral adopte la loi de l’assurance-maladie en s’engageant à en défrayer la moitié des coûts.
Quelle est la situation aujourd’hui? Si les transferts fédéraux représentaient 50% du financement de ce secteur dans les années 1970, ils constituent aujourd’hui à peine 22% du financement de la santé au Québec, et ce pourcentage baissera autour de 18% d’ici quelques années parce qu’Ottawa a décidé, unilatéralement, d’utiliser une nouvelle méthode de calcul liée à la croissance du PIB, qui privera le Québec de milliards de dollars.
Le gouvernement fédéral a aussi changé sa règle pour la répartition de l’enveloppe fiscale entre les provinces. Le partage se fait désormais au prorata de la population. Or, la population du Québec est plus âgée et les personnes âgées recourent davantage aux services de santé que les plus jeunes. Le gouvernement du Québec calcule que cette nouvelle règle le prive de 174 millions de dollars cette année, et de plus de 2 milliards de dollars pour les dix prochaines années. Ajoutez à cela que le gouvernement Trudeau semble vouloir rendre conditionnelle toute aide supplémentaire aux provinces en matière de santé.
La Commission nationale d’examen de l’assurance-emploi a démontré que le régime fédéral n’était pas adapté aux besoins spécifiques du Québec et de ses régions et nous voyons que ce n’est pas le cas non plus pour les transferts fédéraux en santé. Il en irait de même pour le revenu de citoyenneté. Autrement dit, un revenu de citoyenneté digne de ce nom n’est concevable que dans le cadre de l’indépendance du Québec.
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