Le directeur de Dawson College, M. Richard Filion, signait le 22 octobre dernier un texte dans le Devoir intitulé « La désinformation au sujet du collège Dawson doit cesser ». Dans ce texte, il étrille tous les « hérauts de la bien-pensance nationaliste » qui s’opposent au projet d’agrandissement de Dawson, agrandissement qui est priorisé par le projet de loi 66 de la CAQ.
Disons-le d’emblée; je suis parfaitement en accord avec M. Filion; la désinformation doit effectivement cesser. Cependant, dans son texte, le directeur de Dawson contourne les faits, tergiverse, use d’arguments d’autorité, omet de dire la vérité, affabule, mystifie. Voyons ce qu’il en est.
M. Filion débute en lion en affirmant que penser que « les établissements anglophones constituent un vecteur d’anglicisation procède d’une ignorance volontaire des données en jeu ». Il termine cependant en souris en ne fournissant absolument aucun argument pour appuyer son propos. Je le comprends; la démonstration à l’effet que les institutions anglophones de Montréal sont des machines à assimiler est accablante; l’ignorance volontaire est la sienne.
Je renvoie les lecteurs à une étude majeure, réalisée par l’Institut sur le français en Amérique (IRFA) en 2010. Cette étude, commanditée par la CSQ, d’une redoutable puissance statistique (3200 étudiants collégiaux sondés de façon aléatoire), arrivait à des conclusions extrêmement claires; d’abord que 85% des allophones et francophones inscrits au collégial anglais souhaitent ensuite poursuivre à l’université en anglais. Le choix du collégial anglais est pour la majorité de ces étudiants une voie de sortie permanente hors du Québec français.
Ensuite que le cégep anglais est un milieu de vie anglicisant dans toutes les sphères publiques comme privées; les étudiants inscrits au collégial anglais, par exemple, utilisent beaucoup moins le français comme langue d’usage publique que ceux inscrits au cégep français (45,4% comparativement à 96%). Ils consomment aussi presque exclusivement des produits culturels anglophones. Ces étudiants prévoient aussi travailler en anglais après la graduation. Le cégep anglais anglicise massivement la langue de travail à Montréal. L’étude peut être consultée ici
Notons ensuite que le « devis » ministériel de Dawson est de 7075 étudiants. Ceci représente la capacité d’accueil autorisée par le ministère de l’Éducation et l’Enseignement supérieur (MEES). Or, en 2018, Dawson accueillait 7889 étudiants à temps plein en formation ordinaire, le devis était donc excédé de 11,5%.
La place manque tellement à Dawson que le collège est obligé de louer des locaux hors campus (par exemple, dans l’ancien forum de Montréal) pour les transformer en salles de cours. D’où la nécessité d’un agrandissement. Bien sûr, si le devis était respecté, il n’y aurait nul besoin de cet agrandissement.
Pendant ce temps, la fréquentation est en baisse dans plusieurs cégeps français de Montréal; les places pour accueillir ces étudiants existent donc déjà à Montréal. Ce qui plombe l’attractivité des cégeps français, de plus en plus, semble être leur langue d’enseignement… Les raisons pour lesquelles le MEES n’applique plus les pénalités pour excès de devis qui avaient cours jadis et qui assuraient une répartition adéquate des étudiants entre les différents établissements ne sont pas claires.
Notons également que, dans un communiqué interne, Dawson affirme que le nouveau pavillon accueillera environ 950 étudiants et un nouveau programme en « medical ultrasound technology ». Un nouveau programme, mais pas de nouveaux étudiants? En juin, M. Filion, en entrevue au Journal de Montréal, affirmait que la « capacité d’accueil va être augmenté d’à peu près 800 étudiants ». C’est 950 ou 800 étudiants? Voilà qui n’est pas clair non plus.
Enfin, là où je décroche complètement, c’est quand le directeur de Dawson écrit que la proportion de francophones dans son établissement est de 17% alors que les allophones représentent 23% de la clientèle. Probablement conscient de s’aventurer en terrain miné, M. Filion met « francophones » et « allophones » entre guillemets dans son texte. On comprend qu’il semble avoir redéfini ces termes pour servir son propos.
Il s’avère que le MEES m’a communiqué des données sur la langue maternelle des étudiants (ce qui est la définition correcte de d’anglo, franco et allophone) à Dawson. Pour les 7889 étudiants inscrits au DEC à temps plein, les proportions sont les suivantes en 2018; allophones 39,5%, anglophones 38,4%, francophones 22,1%. Le nombre d’allophones a donc dépassé le nombre d’anglophones inscrits à Dawson; les anglophones y sont maintenant minoritaires. Le groupe majoritaire à Dawson est celui des allophones. Avec cet agrandissement, Québec va donc financer, encore plus, l’anglicisation des « enfants de la loi 101 ».
Je suis donc d’accord avec M. Filion; la désinformation doit cesser. Et la source principale de celle-ci est nulle autre que la direction de Dawson college.