Le français en tant que langue d’enseignement au postsecondaire est en recul depuis plus de vingt-cinq ans au Québec. Le recul est si grave que même le gouvernement du Québec, qui a nié la chose avec la dernière énergie pendant deux décennies, semble avoir compris qu’il fallait faire quelque. Ou du moins qu’il fallait faire semblant de faire quelque chose.
Le réseau collégial constitue l’un des leviers essentiels à actionner afin de pouvoir prétendre stopper le recul du français au Québec, l’autre levier étant l’immigration.
Ainsi, le 18 juin dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur Danielle McCann annonçait son intention de « geler » les effectifs (absolus) dans les cégeps anglais pour les dix prochaines années[1]. Dans un contexte de croissance de la population globale des cégeps, ce gel des places en absolu équivaut à une (légère) décroissance de la fréquentation relative des cégeps anglais au cours du temps. Ce gel du côté anglophone signifie aussi, selon Mme McCann, qu’il y aurait création de 21 814 « nouvelles places » dans les cégeps français dans les 10 prochaines années.[2] Des « nouvelles places », est-ce que cela correspond aussi à de « nouveaux étudiants » ? Voilà qui n’est pas si clair.
Rappelons que le projet de loi 96, sur la « langue officielle et commune du Québec, le français », a été déposé le 13 mai 2021, soit un peu plus d’un mois seulement avant cette annonce de Mme McCann. Il ne comportait pas de gel des places dans les cégeps anglais, mais plutôt une clause de croissance contingentée des effectifs dans les cégeps anglais; en effet, une croissance des effectifs de 8,7% chaque année est permise par le PL96, pourvu que l’effectif global des cégeps soit en hausse.
Le gel annoncé par Mme McCann est donc plus « costaud » que la clause de croissance contingentée correspondante du PL96.
Cette annonce de Mme McCann constitue donc un aveu indirect que le gouvernement a raté son coup sur la question des cégeps avec le PL96. Rappelons que le Parti libéral du Québec avait pour sa part proposé, avant le dépôt du PL96, un gel des places dans les cégeps anglais. Politiquement, ce gel était donc l’absolu minimum à atteindre pour pouvoir assumer une posture un tant soit peu « nationaliste ». Le PL96 a pourtant réussi à viser en bas du seuil minimal proposé par le PLQ.
Et un gel des places dans les cégeps anglais n’aura aucunement pour effet d’arrêter le recul du français à Montréal. Pourquoi ? Parce que ce gel est beaucoup trop modéré et vient après vingt-cinq ans de croissance des effectifs dans les cégeps anglais.
De plus, le gouvernement n’ose pas s’attaquer à l’autre problème fondamental qui plombe les cégeps français, soit la question de l’écrémage des meilleurs étudiants par les cégeps anglais. Cet écrémage est un puissant message symbolique du déclassement du français comme langue d’enseignement au postsecondaire. Aucune mesure ne cible cela. Les cégeps français vont rester des cégeps de second rang.
L’annonce de la création de 21 814 « nouvelles places » dans les cégeps français semble provenir du modèle de prévision des effectifs du ministère, un modèle qui a démontré de sérieuses lacunes par le passé[3].
Plusieurs éléments se profilent déjà à l’horizon qui laissent supposer que cette annonce de 21 814 nouvelles places ne se concrétisera peut-être pas, ou en tout cas pas à la hauteur de ce qui est annoncé par la ministre.
Parmi ceux-ci, mentionnons : la hausse du décrochage scolaire au secondaire (en hausse de 2,8 % depuis 2015-2016)[4], décrochage qui frappe de façon démesurée les francophones (et surtout les garçons) ainsi que la hausse beaucoup moins forte que prévue de la fréquentation au collégial à l’automne 2021 (0,3 % seulement comparativement au 3 % qui était attendu), hausse qui provient surtout des étudiants internationaux, dont le nombre a bondi de 20 % cette année[5].
Ces éléments ne sont pas pris en compte dans le modèle de prévision des effectifs du ministère de l’Enseignement supérieur. L’annonce de la création de 21 814 « nouvelles places » dans les cégeps français au cours des dix prochaines années est déjà caduque.
Sur les cégeps, il va falloir que la CAQ prenne de la hauteur et vise plus haut.
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