L’auteur est constitutionnaliste
Dans les deux campagnes référendaires sur la souveraineté, on a beaucoup entendu parler du droit à l’autodétermination. On l’appelle aussi le droit d’un peuple à disposer librement de lui-même, ou le droit à la sécession, ou le droit à l’indépendance. Après avoir longtemps été uniquement un principe d’action politique, apparu pour la première fois dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776, il a acquis une valeur juridique limitée dans le droit international du 20e siècle.
Son étendue juridique est débattue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’indépendance de l’Inde en 1947 et d’Israël l’année suivante en sont des exemples contemporains parmi d’autres très nombreux. L’opinion juridique dominante sur le plan mondial est que les nations qui coexistent au Québec, la nation québécoise et les nations autochtones, ne peuvent pas l’invoquer en l’état actuel du droit international, même si elles peuvent toujours le faire sur le plan des principes politiques.
En fait, il s’agit, dans les cas d’accession à la souveraineté, du droit à l’autodétermination externe. On sait depuis longtemps qu’il existe aussi un droit à l’autodétermination interne, mais il a été le parent pauvre de ce débat tant au Québec qu’à l’étranger. Le droit à l’autodétermination interne a été associé au 20e siècle à la démocratie et au respect des droits fondamentaux individuels et collectifs, mais son fondement théorique a été moins exploré.
Plus récemment, vers la fin du 20e siècle, on l’a associé à un droit à l’autonomie pour un peuple ou une nation qui est minoritaire à l’intérieur d’un État. Il s’agit d’un droit plus important que celui consenti aux minorités en général, qui sont essentiellement de nature culturelle ou linguistique. Ces droits plus étendus supposent une relation particulière avec le territoire qui découle d’une présence historique antérieure à la création de l’État. C’est le cas pour la nation québécoise et les onze nations autochtones reconnues au Québec.
La loi 99, dont le titre officiel un peu pompeux est la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, est un héritage positif important du gouvernement Bouchard. Voici un extrait de son préambule et ses trois premiers articles :
« CONSIDÉRANT qu’il y a lieu de réaffirmer le principe fondamental en vertu duquel le peuple québécois est libre d’assumer son propre destin, de déterminer son statut politique et d’assurer son développement économique, social et culturel ;
CONSIDÉRANT que, par le passé, ce principe a trouvé à plusieurs reprises application, plus particulièrement lors des référendums tenus en 1980, 1992 et 1995 ;
CONSIDÉRANT qu’il est nécessaire de réaffirmer les acquis collectifs du peuple québécois, les responsabilités de l’État du Québec ainsi que les droits et les prérogatives de l’Assemblée nationale à l’égard de toute question relative à l’avenir de ce peuple ;
LE PARLEMENT DU QUÉBEC DÉCRÈTE CE QUI SUIT:
CHAPITRE I
DU PEUPLE QUÉBÉCOIS
1. Le peuple québécois peut, en fait et en droit, disposer de lui-même. Il est titulaire des droits universellement reconnus en vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes.
2. Le peuple québécois a le droit inaliénable de choisir librement le régime politique et le statut juridique du Québec.
3. Le peuple québécois détermine seul, par l’entremise des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, les modalités de l’exercice de son droit de choisir le régime politique et le statut juridique du Québec.
Toute condition ou modalité d’exercice de ce droit, notamment la consultation du peuple québécois par un référendum, n’a d’effet que si elle est déterminée suivant le premier alinéa. »
Cette loi a été déclarée valide en regard de la Constitution canadienne par la Cour d’appel du Québec plus tôt cette année. Notons au passage qu’un parlement régional en Corse, en Bretagne, en Écosse ou en Catalogne (je ne sais pas pour la Flandre ou la Wallonie) ne pourrait certainement pas adopter une telle loi. Il faut admettre que pour un regard étranger, il s’agit d’une tolérance constitutionnelle remarquable et peut-être unique au monde de l’État canadien. Dans notre monde tel qu’il est en 2021, les Kabyles en Algérie, les Sahraouis au Maroc, les Palestiniens dans les territoires occupés, les Tibétains en Chine et beaucoup d’autres peuples ne peuvent qu’en rêver.
Il est frappant que la loi 99 ne contienne aucune référence au droit international. Le gouvernement du Québec savait qu’il allait au-delà de l’interprétation dominante de ce dernier, tout en faisant de sa position une règle du droit québécois. Il a pu le faire en relation avec le droit canadien même s’il a affirmé le droit à l’autodétermination en termes généraux qui recouvrent tant le volet externe qu’interne.
La Cour d’appel a accepté la validité de cette affirmation générale et l’affaire n’a pas été portée en appel devant la Cour suprême, parce qu’il existe une règle d’interprétation judiciaire bien établie, l’interprétation atténuée, qui est à l’effet que si deux interprétations d’une loi sont possibles, et que l’une est constitutionnelle et l’autre pas, le tribunal choisira la première pour maintenir la loi en vigueur.
J’ai suggéré, en commission parlementaire sur le projet de loi 96, que l’article 1 de la loi 99 devrait être le premier article de la Constitution du Québec. J’ai ajouté que toutes les grandes lois du Québec qui expriment son identité nationale singulière, depuis le Code civil jusqu’à la loi 21, sont des manifestations de son droit à l’autodétermination interne. J’ai aussi dit, dans un débat tenu récemment par les Intellectuels pour la souveraineté, que l’article 1 de la loi 99 devrait également être le premier article des constitutions des nations autochtones du Québec.
Les nations autochtones et la nation québécoise détiennent toutes le droit à l‘autodétermination interne, qui comprend le droit de se doter de sa propre constitution et de ne pas se voir imposer la constitution d’une autre nation, comme en 1867 et en 1982. Une fois adoptées, les constitutions de toutes les nations qui vivent au Québec devront être réconciliées. Les nations québécoise et autochtones détiennent conjointement à mes yeux le droit à l’autodétermination externe, si elles sont unanimes ou du moins la majorité des membres de la nation québécoise en accord avec la majorité des nations autochtones.
Cependant, la nation québécoise peut aussi emprunter un autre chemin politique et juridique vers l’indépendance, celui de la souveraineté de fait ou de facto qui est suivi par Taiwan, dont je reparlerai prochainement. Cet autre chemin n’est pas fondé sur le droit à l’autodétermination externe de la nation québécoise, mais il demeure soumis au droit à l’autodétermination interne, ou à l’autonomie, des nations autochtones. Il ne requiert pas leur consentement pour accéder à l’indépendance, même si ce consentement est hautement souhaitable, notamment pour faciliter la reconnaissance internationale de la République du Québec.
Les autres provinces, la minorité anglophone, les autres minorités culturelles formées d’immigrants, les régions et les villes ne sont pas des nations. Elles ne détiennent par conséquent aucun droit à l’autodétermination. Les nations autochtones ne détiennent un droit à l’autodétermination que pour un territoire ancestral situé au Québec qu’elles occupaient avant l’invasion européenne, ce qui n’est pas le cas de trois des nations autochtones du Québec (les Mohawks, les Abénaquis et les Hurons-Wendat), sauf si l’Assemblée nationale en décide autrement.
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