Mathieu Bock-Côté consacrait sa première chronique parisienne dans le Journal de Montréal (31 octobre 2021) au « phénomène Zemmour, l’homme qui vient troubler l’élection présidentielle française ». MBC se disait « atterré » que des « commentateurs ne connaissant à peu près rien à la politique française le présentent comme un monstre ».
Selon MBC, cet homme « extrêmement intelligent, incroyablement cultivé » a le mérite « de placer au cœur du débat public la question de l’immigration massive, dans un pays où ses effets sont catastrophiques ».
Éric Zemmour adhère et propage la thèse du Grand Remplacement, selon laquelle les musulmans remplaceraient la population française de souche. Son programme est presque exclusivement centré sur cette question, l’immigration.
Le programme
Examinons donc le programme de cet émule français de Donald Trump. (Zemmour s’en vante. MBC sait que ça passe mal au Québec, alors il nuance : « Faut-il le comparer à Donald Trump? Plus ou moins. S’il polarise beaucoup, il est infiniment plus profond que l’ancien président américain. »)
Éric Zemmour veut expulser de France deux millions d’étrangers au cours des cinq années de son mandat présidentiel.
Zemmour se prononce pour la suppression du droit du sol (octroi de la citoyenneté à un enfant né en France de parents étrangers), du droit d’asile, du regroupement familial, du renouvellement automatique des cartes de séjour.
Il prône l’admission au cas par cas des étudiants étrangers et leur départ dès la fin de leurs études.
Il est pour l’expulsion des étrangers en chômage depuis trop longtemps et des délinquants. Il a été jugé pour « provocation à la haine et à la discrimination raciale » pour ses propos sur les mineurs non accompagnés, qu’il a traités de « voleurs », « violeurs » et « assassins ». (Trump avait dénoncé ainsi les immigrants mexicains : « Ils apportent de la drogue, ils apportent de la délinquance, ce sont des violeurs. »)
Zemmour est pour la suppression de toutes les aides sociales aux étrangers extra-européens.
Il prône la déchéance de nationalité dans les cas de crime ou de trois délits. Il s’inspire de la loi américaine des trois prises (Three strikes law) en vigueur tant au niveau fédéral qu'au niveau de plusieurs États, permettant ou contraignant les juges à prononcer des peines de prison perpétuelle à l'encontre d'un prévenu condamné pour la troisième fois pour un délit ou un crime.
Il veut soumettre tout mariage avec un étranger à l’autorisation du préfet. Il somme les croyants de faire preuve de « discrétion » dans la pratique de leur religion et de s’assimiler. Une façon de les inciter à le faire serait de les obliger à choisir le premier prénom de leurs enfants dans le calendrier chrétien. Pierre ou Paul plutôt que Mohammed, par exemple.
Les prénoms
Cette question des prénoms est celle qui fait le plus parler. Bien qu’une personne sur dix (10,2%) soit immigrée en France – soit beaucoup moins qu’au Canada (21 %) – on cite régulièrement le chiffre de 18,8% de nouveau-nés portant un prénom arabo-musulman en France.
Ce chiffre se référant à l’année 2016 est tiré de L’Archipel français (Seuil, 2019), de Jérôme Fouquet. Cependant, comme le souligne le démographe Emmanuel Todd dans son livre Les Luttes de classes en France au XXIe siècle (Seuil, 2020), il existe des écarts gigantesques entre les régions de la France (40% de prénoms arabo-musulmans en Seine-Saint-Denis et 0% dans le Gers). Selon Todd, il n’y a pas là matière à s’alarmer. « Les 18,8% de prénoms arabo-musulmans résultent du cumul de petites différences année après année depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. »
Il ajoute : « De prétendre, par exemple, à la façon d’un Éric Zemmour, que si on continue de donner un prénom musulman, c’est parce qu’on est toujours un Arabe qui, quoique vivant en France, refuse de s’y intégrer, c’est ignorer le nombre de mariages mixtes et que, comme l’a montré Jérôme Fouquet, l’usage des prénoms a beaucoup changé ces dernières années : ce que les parents cherchent maintenant, c’est une distinction qui n’est pas forcément identitaire et qui est loin de concerner les seuls musulmans. »
« Le prénom Marie, poursuit Todd, donné à une petite fille sur cinq en 1900 a presque disparu, les prénoms anglo-saxons comme Kevin ou Dylan, tirés de feuilletons américains, s’épanouissent chez les électeurs populaires du Rassemblement national et les Bretons se sont mis à choisir des prénoms bretons. Personne à ma connaissance n’accuse les électeurs du Rassemblement national et les Bretons de rejeter la France. »
Todd reconnait un freinage de l’assimilation en France. Toutefois, il ne l’attribue pas au multiculturalisme, « dont l’emprise reste finalement marginale sur le comportement des Français ». La réalité de la France est que « le pays est doué – plus que l’Allemagne, plus aussi que les États-Unis ou l’Angleterre – pour assimiler les populations immigrées ».
« La principale cause du début de recommunautarisation auquel on a pu assister sur certains territoires me semble, en fait, d’ordre économique », affirme-t-il. Il se dit « convaincu que n’importe quelle différence anthropologique est réductible avec le temps, par la naissance d’enfants nés dans le pays et qui parlent la langue. Mais pour que l’intégration-assimilation se passe bien, il faut que l’économie soit dynamique, qu’elle permette aux individus d’avancer, de gravir les échelons ».
Plus loin dans son volume, il donne l’exemple de sa propre famille : « Il est compréhensible, à une époque où aucune forme n’existe plus dans le choix des prénoms, que certains groupes s’en tiennent pour une génération, à la tradition, s’assimilant tout à fait par ailleurs. Trois de mes petits-enfants ont un père d’origine algérienne et je suis très bien placé pour ne pas m’affoler. Je trouve mon propre ‘‘remplacement’’ par ces petits Français-là merveilleux, sans oublier leurs cousins, autres merveilles du monde ».
Le Grand Remplacement
La théorie du Grand Remplacement n’est pas nouvelle en France. Dans L’Obs du 11 novembre 2021, on rappelle qu’elle « est née à la fin du XIXe siècle, dans le sillon de L’Action française, fondée par le journaliste vichyste et antisémite Charles Maurras, emprisonné à la Libération ».
L’article précise qu’elle « a été exhumée par l’écrivain Renaud Camus – condamné pour incitation à la haine raciale et à la violence contre les musulmans en 2014 –, puis popularisée par Éric Zemmour, plusieurs fois condamné lui aussi pour provocation. »
Malgré un pourcentage d’immigrés inférieur à celui de l’Allemagne (16%), de l’Espagne (14%) ou de la Grande-Bretagne (14%), 57% des Français jugeaient, en mai dernier, le nombre d’immigrés « trop élevé » et, en octobre, 67% se disaient même inquiets d’un éventuel « grand remplacement. » Cela explique que les intentions de vote additionnées d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen totalisent 30% de l’électorat.
Comment expliquer cette situation? Il faut y voir, entre autres, des vestiges de l’empire colonial français et de la guerre d’Algérie (perdue par la France). Pour certains, le colonialisme existe toujours à l’intérieur et à l’extérieur de l’Hexagone; d’autres rêvent d’une guerre (civile) revancharde. Ajouter à cela, des erreurs monumentales de la gauche au cours des dernières décennies. Nous y reviendrons.
Quelques statistiques sur l’immigration française
En 2020, la France, pays de 67 millions d’habitants, a émis 219 302 titres de séjour, en baisse de 20,9 % par rapport à 2019. (Pour la même année, le Canada, pays de 38 millions d’habitants, a admis plus de 341 000 résidents permanents.)
Dans le cas de la France, ils se ventilent ainsi :
35% : regroupement familial.
33 % : étudiants
14 % : humanitaire
12 % : économique
Divers : 6 %
Un immigrant sur trois vient d’Europe
Afrique : 47,5%; dont 12,7 % d’Algérie; 12% du Maroc; 4,5% de Tunisie; 18,3% d’autres pays d’Afrique.
Europe : 32,3%; dont 3,5% d’Espagne; 4,1% d’Italie; 8,6% du Portugal; 10,9% d’autres pays de l’Union européenne; 5,2% d’autres pays d’Europe.
Asie : 14,4%; dont 3,6% de Turquie; 2,3% du Cambodge, Laos et Vietnam; 1,6% de Chine; 6,9% d’autres pays d’Asie;
Amérique et Océanie : 5,8%
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